Fêtes et coutumes populaires. Charles Le Goffic

Fêtes et coutumes populaires - Charles Le Goffic


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Bouchor, lui ont tressé de beaux vers. Quant aux musiciens, il n'en est point un qui ne lui ait dédié quelque cantate ou quelque symphonie. Cette unanimité des artistes et des poètes est bien significative et donne une physionomie à part, dans la hiérarchie des bienheureux, à l'exquise martyre chrétienne qui ne marchait dans la vie qu'accompagnée de lyres invisibles et dont la mort même eut je ne sais quoi de mélodieux.

       Table des matières

      Encore un an de plus qui s'efface et retombe

      Dans ce gouffre sans fond qu'on nomme le passé!

      Encore un pas que fait le siècle vers sa tombe,

      Sur la route où déjà six mille ans ont passé!

      Qui donc pousse en avant ce cortège d'années?

      Qui les emporte ainsi? Pauvres filles du temps!

      Elles s'en vont soudain comme des fleurs fanées

      Et, mourant en hiver, ne vivent qu'un printemps!

      Mais, si vous les couchez dans leur cercueil immense,

      Vous en créez aussi de nouvelles, Seigneur;

      Lorsque l'une est passée, une autre recommence;

      L'une meurt aujourd'hui, demain naîtra sa sœur.

      Salut à ce berceau! Salut à cette année

      Qui se lève à son tour sur l'éternel chemin,

      Et, vierge encore de mal, et d'espoir couronnée,

      Escorte en souriant les pas du genre humain!

      L'auteur de ces jolis vers, Émile Trolliet, a raison: il y a toujours un peu de mélancolie, sans doute, dans nos adieux à l'année qui s'en va; mais les regards ont tôt fait de se tourner vers celle qui vient et qui, aux plis mystérieux de sa robe, nous apporte peut-être le bonheur et, en tout cas, nous en réserve l'illusion. La pauvre âme humaine vit de rêves sous toutes les latitudes. Sans compter que pour quelques-uns,—les concierges, les facteurs et les petits enfants par exemple,—ces rêves deviennent au jour de l'an de très appréciables réalités. Sous quelque forme qu'elles se présentent, bonbons ou pièces d'or, les étrennes sont toujours pour eux les bienvenues. Peut-être, cependant, y a-t-il un peu moins d'enthousiasme chez ceux qui les offrent que chez ceux qui les reçoivent.

      L'usage des étrennes nous vient des Romains (les premiers qui aient sacrifié à la déesse Strenna), et il est général. Un autre usage, non moins constant, est celui des cartes de visite qu'on envoie au premier de l'An, agrémentées de quelques mots de politesse ou vierges de toute mention, aux personnes avec qui l'on a eu commerce d'amitié ou d'affaires pendant l'année. C'est encore un usage qui nous vient de l'étranger, non plus de Rome, il est vrai, mais de l'Extrême-Orient. Les Célestiaux se servaient de cartes de visite bien avant nous; seulement, chez eux, les cartes étaient de grandes feuilles de papier de riz, dont la dimension augmentait ou baissait suivant l'importance du destinataire et au milieu desquelles, avec des encres de plusieurs nuances, on écrivait les nom, prénoms et qualités de l'envoyeur. Il paraît que, quand la carte était à l'adresse d'un mandarin de 1re classe, elle avait la dimension d'un de nos devants de cheminée!

      À en croire M. Élie Frébault, la distribution des cartes de visite, à Stuttgard, dans le Wurtemberg, est le prétexte d'une scène piquante. Pendant l'après-midi du premier de l'An, sur une place publique, se tient une sorte de foire ou de bourse aux cartes de visite. Tous les domestiques de bonne maison et tous les commissionnaires de la ville s'y donnent rendez-vous, et là, grimpé sur un banc ou sur une table, un héraut improvisé fait la criée des adresses. À chaque nom proclamé, une nuée de cartes tombe dans un panier disposé à cet effet, et le représentant de la personne à laquelle ces cartes sont destinées peut en quelques minutes emporter son plein contingent. Chacun agit de même, et, au bout de peu d'instants, des centaines, des milliers de cartes sont parvenues à leur destination, sans que personne se soit fatigué les jambes.

      Remarquons, d'ailleurs, que l'usage des cartes de visite est apparu assez tard chez nous. Jusqu'au XVIIe siècle, les visites se rendaient toujours en personne. On peut noter cependant, comme un acheminement vers les cartes, l'usage dont nous parle Lemierre dans son poème des Fastes et qui était courant vers le milieu du grand siècle. À cette époque, des industriels avaient monté diverses agences, qui, contre la modique somme de deux sols, mettaient à votre disposition un gentilhomme en sévère tenue noire, lequel, l'épée au côté, se chargeait d'aller présenter vos compliments à domicile ou d'inscrire votre nom à la porte du destinataire. Mais un temps vint où le gentilhomme lui-même fut remplacé par la carte de visite. Cela se passa sous Louis XIV (dans les dernières années du règne), comme l'atteste ce sonnet-logogriphe du bon La Monnoye:

      Souvent, quoique léger, je lasse qui me porte;

      Un mot de ma façon vaut un ample discours;

      J'ai sous Louis-le-Grand commencé d'avoir cours,

      Mince, long, plat, étroit, d'une étoffe peu forte.

      Les doigts les moins savants me traitent de la sorte;

      Sous mille noms divers, je parais tous les jours;

      Aux valets étonnés je suis d'un grand secours;

      Le Louvre ne voit pas ma figure à sa porte.

      Une grossière main vient la plupart du temps

      Me prendre de la main des plus honnêtes gens.

      Civil, officieux, je suis né pour la ville.

      Dans le plus dur hiver, j'ai le dos toujours nu,

      Et, quoique fort commode, à peine m'a-t-on vu

      Qu'aussitôt négligé je deviens inutile.

      Inutile, le mot est dur, mais il est la justesse même. Est-ce l'abus qu'on faisait des cartes de visite qui décida les conventionnels à supprimer le premier de l'An? Ou fut-ce la vanité des vœux qu'on y déposait? Toujours est-il qu'abolie en décembre 1791, la coutume du Jour de l'An ne fut rétablie que six ans après, en 1797. Nos pères conscrits, qui ne barguignaient pas avec les délinquants, avaient décrété la peine de mort contre quiconque ferait des visites, même de simples souhaits de jour de l'An. Le cabinet noir fonctionnait, ce jour-là, pour toutes les correspondances sans distinction. On ouvrait les lettres à la poste pour voir si elles ne contenaient pas des compliments.

      Et pourquoi cette levée de boucliers contre la plus innocente des coutumes? Le Moniteur va nous le dire. Il y avait séance à la Convention. Un député, nommé La Bletterie, escalada tout à coup la tribune.

      «Citoyens, s'écria-t-il, assez d'hypocrisie! Tout le monde sait que le Jour de l'An est un jour de fausses démonstrations, de frivoles cliquetis de joues, de fatigantes et avilissantes courbettes...»

      Il continua longtemps sur ce ton. Le lendemain, renchérissant sur ces déclarations ampoulées, le sapeur Audoin, rédacteur du Journal Universel, répondit cette phrase mémorable:

      «Le Jour de l'An est supprimé: c'est fort bien. Qu'aucun citoyen, ce jour-là, ne s'avise de baiser la main d'une femme, parce qu'en se courbant il perdrait l'attitude mâle et fière que doit avoir tout bon patriote!»

      Le sapeur Audoin prêchait d'exemple. Cet homme, disent ses contemporains, était une vraie barre de fer. Il voulait que tous les bons patriotes fussent comme lui; il ne les imaginait que verticaux et rectilignes. Mais enfin le sapeur Audoin et son compère La Bletterie n'obtinrent sur la tradition qu'une victoire éphémère. Ni le calendrier républicain ni les fêtes instituées par la Convention pour symboliser l'ère nouvelle ne réussirent à prévaloir contre des habitudes plusieurs fois séculaires. Les institutions révolutionnaires


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