Fêtes et coutumes populaires. Charles Le Goffic

Fêtes et coutumes populaires - Charles Le Goffic


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dans les salons de l'Élysée, l'hommage respectueux du corps diplomatique, des ministres et des grands corps de l'État. Quant à la foule des simples citoyens, elle se charge de démontrer par l'exubérance de sa joie à quel point le député La Bletterie était ignorant des mystères du cœur humain.

      Le premier de l'An sans doute n'a que l'importance que nous lui attribuons. Il y a belle lurette que les philosophes nous ont appris que le temps et l'espace ne sont que des catégories de l'entendement. C'est notre imagination seule qui attache aux divisions chronologiques une signification faste ou néfaste. N'empêche qu'en tous pays, même chez les Japonais, dont l'année officielle ne commence pourtant que le 8 février, le premier jour de l'année est le prétexte de grandes réjouissances.

      «Dès la veille, raconte un voyageur, M. Melcy, toutes les maisons japonaises sont nettoyées et même exorcisées; c'est-à-dire qu'à l'heure de minuit le chef de famille, revêtu de ses plus riches habits, doit parcourir tous ses appartements, tenant, de la main gauche, une petite table de laque sur laquelle est posée une boîte de fèves rôties. Il y puise par poignées, pour en jeter un peu çà et là dans chaque pièce, en répétant: «Sortez, démons! Entrez, richesses!» Peu après, il s'élève dans la cour de chaque demeure une flamme très vive qui part du sol et dure à peine quelques minutes. C'est un faisceau de bûchettes de bois aspergées d'eau bénite et qui doit, selon la direction que prend la flamme, présager aux assistants la bonne ou la mauvaise fortune pour l'année qui s'ouvre. On n'oublie pas non plus, en cette nuit mémorable, de parer l'autel domestique des dieux du bonheur. Un coin de la pièce est réservé à cet usage dans chaque habitation bourgeoise. L'autel est fait d'un léger échafaudage de bois de cèdre recouvert d'un tapis rouge. Il sert de piédestal à deux idoles en bois qu'accompagnent deux lampes allumées. En avant d'elles sont posés trois guéridons minuscules en laque chargés des prémices de l'année: l'un de deux pains de riz, l'autre de deux langoustes ou poissons aux nageoires ornées de papier d'argent, et le troisième de deux flacons de saki enveloppés également de papier argenté. Le tout est complété par deux grands chandeliers de bronze, surmontés d'énormes bougies qui brûlent en l'honneur des dieux. Dans toutes les cuisines, les mitrons ont pétri, mis au four et surveillé la cuisson des innombrables gâteaux de riz qui doivent être donnés en étrennes aux ouvriers et aux domestiques. Dans tous les ménages, on a pilé, en de grands mortiers, la quantité de riz représentant la provision de farine qui doit alimenter la famille jusqu'au mois d'octobre. Tout le monde enfin a fait ses différents préparatifs pour pouvoir le lendemain se livrer à la gaîté, aux rires et aux divertissements de toutes sortes qui vont, dans certains quartiers, présenter l'aspect de véritables bacchanales.»

      LE JOUR DE L'AN, AU JAPON: LES ÉTRENNES LE JOUR DE L'AN, AU JAPON: LES ÉTRENNES.

      Voulez-vous maintenant, en opposition avec le réjouissant spectacle de cette joie populaire, connaître un premier de l'An gourmé, solennel et, si je puis dire, caporalisé? Oyez cette description empruntée à un rédacteur du Gaulois:

      «A Berlin, le 31 décembre, dans les brasseries ouvertes jusqu'au matin, un peu avant minuit les lumières s'éteignent. Partout vibre le grincement saccadé des rideaux de fer qui se ferment. Là où manque un rideau de fer, on applique en hâte des planches pour garantir les glaces. Voici qu'un rythme lourd annonce l'arrivée de la police. Par les brigades renforcées de pelotons d'agents à cheval, les carrefours sont occupés militairement. Passages interdits aux voitures! Grandes artères, même celle de la Friedrichstrasse, expurgées de tout piéton! Çà et là, les lieutenants de police, qui ont remplacé leur grande casquette bleue par le casque à pointe, donnent d'une voix hachée des ordres pour balayer tout. Mais, peu à peu, les rangs des agents s'entr'ouvrent. La foule se glisse et se répand dans l'ombre. Tout à coup, rauque, forcenée, monstrueuse, s'élève cette clameur: Prosit Neujahr! «Que la nouvelle année soit bonne!» De la rue et des maisons, les cris aigus des femmes, les piaulements des enfants, se mêlent aux vociférations des hommes. Bonne année, soit! mais qui vous arrive en vous déchirant les oreilles.»

      Combien différent notre premier de l'An parisien, surtout le premier de l'An tel qu'on le célèbre encore dans nos vieilles provinces françaises! Voici venir, devançant Noël, les petits quêteurs d'étrennes. Au soir tombant, la veille du 1er janvier, dans les villages d'Alsace, ils s'arrêtent devant chaque porte pour chanter une complainte qui commence ainsi:

      Nous souhaitons tous à Madame

      L'or d'une couronne d'amour,

      Et, pour l'an prochain, jour pour jour,

      Le jeune héritier qu'on réclame.

      À Monsieur, qui déjà sourit,

      Nous souhaitons meilleure chère, etc., etc.

      En Poitou et en Saintonge, la complainte se chante sur l'air de l'Aguilé, plus spécial cependant au jour des Rois3:

      Voir sur le sens du mot aguilé le chapitre Noëls de France.

      Messieurs et Mesdames de cette maison,

      Ouvrez-nous la porte, nous vous saluerons.

      Notre guillaneu nous vous demandons...

      Guiettez dans la nappe, guiettez tout au long.

      Donnez-nous la miche et gardez l'grison:

      Notre guillaneu nous vous demandons.

      Arribas! Son arribas! (Arrivés, nous sommes arrivés!) crient les étrenneurs du Limousin devant chaque maison où ils frappent, et ils continuent dans leur patois, que M. d'Aigueperse traduit ainsi: «Le guillaneu nous faut donner, gentil maître; le guillaneu donnez-le-nous.» Le guillaneu limousin consiste en pommes, poires, châtaignes, noix, noisettes et menus sous. Une fois pourvus, les étrenneurs font mille vœux pour leur hôte sans oublier ses serviteurs, la ménagère qui blute la farine, le porcher qui garnit le charnier de lard, etc., etc.

      À Saint-Malo, les étrenneurs remplacent la sérénade par une aubade, la tournée crépusculaire par une tournée matinale. Il faut voir, dès la fine pointe du jour, les petits gamins de la vieille cité bretonne se former en bandes pour courir la ville, cogner aux portes et souhaiter la bonne année! Chaque souhait leur vaut un petit sou. Au premier marmot qui se présente, les jeunes filles demandent:

      «Comment se nomme-t'il

      Il, c'est le fiancé rêvé dont on espère la venue. Le gamin cite un nom de baptême au hasard, et les jeunes Malouines n'ont plus qu'à chercher, parmi les jeunes gens qu'elles connaissent, celui qui porte le prénom désigné.

      D'autres croyances, d'autres superstitions, si l'on veut, mais si gracieuses, si émouvantes quelquefois, mériteraient encore d'être tirées de l'oubli où elles sombrent peu à peu. Il en est aussi dont le sens s'est perdu en chemin et qui nous paraissent à cette heure passablement singulières. C'est ainsi qu'en Champagne et en Bourgogne, on croit que l'année sera bonne si la première personne qu'on rencontre le matin du jour de l'An est un homme, mauvaise si c'est une femme. Et voilà qui n'est guère flatteur pour le «beau sexe»!

      Au Havre, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, il y a toujours grande affluence du public devant le portail de l'église Notre-Dame. La tradition locale prétend qu'il suffit de s'agenouiller sous la statue de la Vierge et de lui demander trois grâces à minuit tintant pour que l'une d'elles soit exaucée. Les gamins, comme on peut croire, ne manquent pas dans l'assistance et, au moment où l'heure sonne, on les entend crier irrespectueusement à tue-tête:

      «L'aura! L'aura pas!»

      D'autres traditions, répandues un peu partout, veulent qu'au premier de l'An, à votre lever, si vous avez eu la chance de briser sans le vouloir ou tout au moins de fêler un verre dans


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