Miss Rovel. Victor Cherbuliez

Miss Rovel - Victor Cherbuliez


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       Victor Cherbuliez

      Miss Rovel

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066082994

       PREMIERE PARTIE

       I

       DEUXIEME PARTIE

       TROISIEME PARTIE

       QUATRIEME PARTIE

       CINQUIEME PARTIE

       FIN.

       Table des matières

       Table des matières

      Tom Jones, s'il faut en croire son biographe, rencontra un soir dans les environs d'Upton un vieux misanthrope qui s'était fait ermite; on l'appelait l'homme de la montagne. Vêtu d'une peau d'âne, il vivait au fond d'un bois, où il n'avait pas de peine à éviter les passants, attendu qu'il n'y passait personne. Il employait ses journées, soit à contempler sa longue barbe blanche, soit à observer les plantes et les étoiles. Il professait que tout est beau dans l'univers, excepté l'homme, qui déshonore la création; sa misanthropie lui venait d'avoir été dans ses jeunes années abandonné par sa maîtresse, trahi par son ami, qui était son obligé. Tom Jones essaya vainement de lui faire entendre raison. "Pourquoi, lui disait-il, vous en prendre à tout le genre humain de vos injures particulières? Vous avez été la victime d'un accident fâcheux; mais, croyez-moi, je connais des hommes sans venin et des femmes sans tache.—Vous êtes encore bien jeune, lui répondit le vieillard, et à votre âge je pensais comme vous."

      Raymond Ferray ne portait point une barbe blanche; au moment où commence cette histoire, il avait à peine trente-quatre ans. Il n'était point vêtu d'une peau d'âne, car, s'il s'inquiétait peu de déplaire aux autres, il tenait à se plaire à lui-même. Ce qui lui était commun avec l'homme de la montagne, c'est qu'ayant été, lui aussi, trahi par la femme qu'il aimait, son aventure l'avait rendu misanthrope ou, pour mieux dire, misogyne. A l'âge des passions sérieuses, il avait juré qu'il n'en aurait plus et mis les femmes au défi de forcer l'entrée de son coeur. Il se sentait protégé contre elles par la hauteur de son mépris.

      Fils d'un médecin de province qui s'était établi à Paris, il était demeuré orphelin de fort bonne heure. Un oncle lui servit de tuteur, et lui fut plus utile pour gérer son patrimoine, qui n'était point méprisable, que pour le conseiller dans le choix d'un état. Il est superflu de dire aux vignobles de la Bourgogne qu'ils sont nés pour produire du vin; Raymond n'avait pas besoin qu'on l'aidât à démêler sa vocation. Après avoir balancé quelque temps entre la poésie et la science, il se résolut à les cultiver l'une et l'autre. Il estimait que l'exacte précision est la vertu des grands poètes, et que, si un peu de science éloigne de la poésie, beaucoup de science y ramène. Sa prodigieuse précocité d'esprit avait été l'admiration et l'effroi de ses professeurs. A dix-huit ans, il savait l'hébreu, le persan et l'arabe. La nature l'avait visiblement prédestiné au métier d'orientaliste. De taille moyenne, robuste et nerveux, maigre, basané, le nez aquilin, les yeux noirs, bien fendus, le regard à la fois vif et caressant, la bouche mince et un peu dure, il avait l'air d'un Arabe; sa physionomie offrait ce singulier mélange de douceur presque féminine et de fierté sauvage, presque féroce, qui est propre à l'Oriental. Ses camarades de lycée l'avaient surnommé le Bédouin. Dans leur bouche, ce sobriquet n'était pas une injure. S'ils goûtaient médiocrement ses manières brusques, où perçait quelque hauteur, en revanche ils appréciaient la sûreté de son commerce, la noblesse de son caractère généreux et franc comme l'or.

      Sa barbe poussait à peine qu'il avait commencé à rassembler des matériaux pour écrire l'histoire de Mahomet, qui selon lui n'avait pas encore été écrite. Ce devait être son monument. Quelques juges compétents, qui étaient dans le secret de ses portefeuilles, assuraient que le futur biographe du prophète était un homme de génie, qu'il unissait à une vaste érudition une sagacité peu commune, qu'il était appelé à renouveler l'histoire de l'Orient par d'importantes découvertes. Comme Ansse de Villoison, Raymond aurait mérité d'être de l'Institut à vingt-quatre ans. Il s'en souciait peu; il avait l'humeur libre, volontaire, un peu cassante, répugnait à se laisser enrégimenter, et préférait infiniment la science aux corps savants.

      Il approchait de la trentaine quand il publia le premier volume de son histoire de Mahomet, qui justifia toutes les prédictions de ses amis. Avant d'écrire le second, il voulut faire connaissance avec l'Arabie. Il y passa deux ans, parcourut à cheval ou à dos de chameau les vallons rocheux de l'Yémen, les pâturages du Nedjed, les plages sablonneuses de l'Asha, devisa sous la tente avec le Wahabite et le Bédouin. Par un trait d'audace qui aurait pu lui être fatal, il voulut visiter les saints lieux. Déguisé en derviche, il se fit recevoir dans une caravane de pieux pèlerins musulmans; il alla prier avec eux sur le tombeau du prophète, avec eux il fit sept fois le tour de la Caaba et baisa dévotement la pierre noire. S'il eût été reconnu, il aurait payé cher sa témérité, et, à vrai dire, il fut plus d'une fois en danger de sa vie; il dut son salut à son teint bronzé, à son nez aquilin, à sa merveilleuse possession de la langue et à son remarquable sang-froid. De retour à Djeddah, il écrivit un récit de sa prouesse, qui parut dans une revue célèbre et attira sur le faux pèlerin l'attention de l'Europe. Il publia peu après un recueil de sonnets faits de main d'ouvrier, où respiraient l'Arabie, l'immensité du désert, une sagesse rêveuse qui avait pris le turban.

      Raymond n'était pas allé en Arabie à la seule fin d'y converser avec l'ombre de Mahomet; il s'était éloigné de Paris par obéissance. En coûte-t-il d'obéir quand on aime? Ce Bédouin avait le coeur ardent, il ne savait pas aimer à moitié. La belle Mme de P…, qu'il adorait, avait fait la sottise d'épouser un homme aussi violent que libertin, qui la rendait fort malheureuse. Raymond fut le confident de ses peines, bientôt il l'en consola; c'est un pas qui se franchit aisément. Il était depuis dix-huit mois le plus heureux des mortels, quand M. de P… fut atteint d'une de ces maladies qui ne pardonnent point. Il devint impotent, puis tout à fait perclus, perdit la vue, et les médecins déclarèrent qu'il n'avait plus longtemps à vivre. Mme de P…, qui joignait à la beauté toutes les délicatesses du coeur, dit un soir à Raymond: "Il me répugne de tromper un malade. Mon mari est condamné, respectons ses derniers jours. Allez au désert faire moisson de science et de gloire, illustrez un nom qu'avant peu je serai fière de porter. Quittons-nous pour quelque temps et jurez-moi de ne pas m'oublier."

      Cette dernière recommandation était superflue. Raymond emportait en Orient cinquante projets de travaux, cent problèmes à résoudre et un souvenir adoré, qui donnait du prix à tout le reste. Il s'en entretenait avec lui-même dans toutes les langues qu'il savait. Quand on a le bonheur de parler l'arabe et celui d'être aimé de Mme de P…, deux ans d'exil passent comme un jour. Il reçut de sa maîtresse, chemin faisant, plusieurs missives des plus tendres; il s'en exhalait un parfum de passion qui lui semblait plus précieux mille fois que la myrrhe et que le baume de La Mecque. La dernière qui


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