La Folle Journée ou le Mariage de Figaro. Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

La Folle Journée ou le Mariage de Figaro - Pierre Augustin Caron de Beaumarchais


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à qui son dévouement est cher, et dont tous les voeux sont honnêtes.

      Pourquoi, dans ses libertés sur son maître, Figaro m'amuse-t-il au lieu de m'indigner? C'est que, l'opposé des valets, il n'est pas, et vous le savez, le malhonnête homme de la pièce: en le voyant forcé par son état de repousser l'insulte avec adresse, on lui pardonne tout, dès qu'on sait qu'il ne ruse avec son seigneur que pour garantir ce qu'il aime, et sauver sa propriété.

      Donc, hors le Comte et ses agens, chacun fait dans la pièce à peu-près ce qu'il doit. Si vous les croyez malhonnêtes, parce qu'ils disent du mal les uns des autres, c'est une règle très-fautive. Voyez nos honnêtes gens du siècle: on passe la vie à ne faire autre chose! Il est même tellement reçu de déchirer sans pitié les absens, que moi, qui les défends toujours, j'entends murmurer très-souvent: quel diable d'homme, et qu'il est contrariant! il dit du bien de tout le monde!

      Est-ce mon Page enfin qui vous scandalise? et l'immoralité qu'on reproche au fond de l'ouvrage serait-elle dans l'accessoire? O censeurs délicats! beaux esprits sans fatigue! inquisiteurs pour la morale, qui condamnez en un clin d'oeil les réflexions de cinq années, soyez justes une fois, sans tirer à conséquence. Un enfant de treize ans, aux premiers battemens du coeur, cherchant tout, sans rien démêler, idolâtre, ainsi qu'on l'est à cet âge heureux, d'un objet céleste pour lui, dont le hasard fit sa marraine, est-il un sujet de scandale? Aimé de tout le monde au château, vif, espiégle et brûlant, comme tous les enfans spirituels, par son agitation extrême il dérange dix fois, sans le vouloir, les coupables projets du Comte. Jeune adepte de la nature, tout ce qu'il voit a droit de l'agiter: peut-être il n'est plus un enfant; mais il n'est pas encore un homme: et c'est le moment que j'ai choisi pour qu'il obtînt de l'intérêt, sans forcer personne à rougir. Ce qu'il éprouve innocemment, il l'inspire par-tout de même. Direz-vous qu'on l'aime d'amour? Censeurs! ce n'est pas-là le mot: vous êtes trop éclairés pour ignorer que l'amour, même le plus pur, a un motif intéressé; on ne l'aime donc pas encore; on sent qu'un jour on l'aimera. Et c'est ce que l'auteur a mis avec gaieté dans la bouche de Suzanne, quand elle dit à cet enfant: Oh! dans trois ou quatre ans je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien!...

      Pour lui imprimer plus fortement le caractère de l'enfance, nous le fesons exprès tutoyer par Figaro. Supposez-lui deux ans de plus, quel valet dans le château prendrait ces libertés? Voyez-le à la fin de son rôle; à peine a-t-il un habit d'officier, qu'il porte la main à l'épée aux premières railleries du Comte sur le quiproquo d'un soufflet. Il sera fier, notre étourdi! mais c'est un enfant, rien de plus. N'ai-je pas vu nos dames dans les loges aimer mon Page à la folie? Que lui voulaient-elles? hélas! rien: c'était de l'intérêt aussi; mais comme celui de la Comtesse, un pur et naïf intérêt, un intérêt.... sans intérêt.

      Mais est-ce la personne du Page ou la conscience du Seigneur qui fait le tourment du dernier, toutes les fois que l'auteur les condamne à se rencontrer dans la pièce? Fixez ce léger aperçu, il peut vous mettre sur sa voie; ou plutôt apprenez de lui que cet enfant n'est amené que pour ajouter à la moralité de l'ouvrage, en vous montrant que l'homme le plus absolu chez lui, dès qu'il suit un projet coupable, peut être mis au désespoir par l'être le moins important, par celui qui redoute le plus de se rencontrer sur sa route.

      Quand mon Page aura dix-huit ans, avec le caractère vif et bouillant que je lui ai donné, je serai coupable à mon tour, si je le montre sur la scène; mais à treize ans qu'inspire-t-il? quelque chose de sensible et doux, qui n'est ni amitié ni amour, et qui tient un peu de tous deux.

      J'aurais de la peine à faire croire à l'innocence de ces impressions, si nous vivions dans un siècle moins chaste, dans un de ces siècles de calcul où, voulant tout prématuré, comme les fruits de leurs serres chaudes, les grands mariaient leurs enfans à douze ans, et fesaient plier la nature, la décence et le goût aux plus sordides convenances, en se hâtant surtout d'arracher de ces êtres non formés des enfans encore moins formables, dont le bonheur n'occupait personne, et qui n'étaient que le prétexte d'un certain trafic d'avantages qui n'avait nul rapport à eux, mais uniquement à leur nom. Heureusement nous en sommes bien loin: et le caractère de mon Page, sans conséquence pour lui-même, en a une relative au Comte que le moraliste aperçoit, mais qui n'a pas encore frappé le grand commun de nos jugeurs.

      Ainsi, dans cet ouvrage chaque rôle important a quelque but moral. Le seul qui semble y déroger est le rôle de Marceline.

      Coupable d'un ancien égarement dont son Figaro fut le fruit, elle devrait, dit-on, se voir au moins punie par la confusion de sa faute lorsqu'elle reconnaît son fils. L'auteur eût pu même en tirer une moralité plus profonde: dans les moeurs qu'il veut corriger, la faute d'une jeune fille séduite est celle des hommes et non la sienne. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait?

      Il l'a fait, censeurs raisonnables! étudiez la scène suivante qui fesait le nerf du troisième acte, et que les comédiens m'ont prié de retrancher, craignant qu'un morceau si sévère n'obscurcît la gaieté de l'action.

      Quand Molière a bien humilié la coquette ou coquine du Misanthrope, par la lecture publique de ses lettres à tous ses amans, il la laisse avilie sous les coups qu'il lui a portés; il a raison; qu'en ferait-il? vicieuse par goût et par choix, veuve aguerrie, femme de cour, sans aucune excuse d'erreur, et fléau d'un fort honnête homme, il l'abandonne à nos mépris, et telle est sa moralité. Quant à moi, saisissant l'aveu naïf de Marceline, au moment de la reconnaissance, je montrais cette femme humiliée, et Bartholo qui la refuse, et Figaro, leur fils commun, dirigeant l'attention publique sur les vrais fauteurs du désordre où l'on entraîne sans pitié toutes les jeunes filles du peuple, douées d'une jolie figure.

      Telle est la marche de la scène.

      brid'oison.

      (Parlant de Figaro qui vient de reconnaître sa mère en Marceline.)

      C'est clair; i-il ne l'épousera pas.

      bartholo.

      Ni moi non plus.

      marceline.

      Ni vous! et votre fils? vous m'aviez juré....

      bartholo.

      J'étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d'épouser tout le monde.

      brid'oison.

      E-et, si l'on y regardait de si près, per-ersonne n'épouserait personne.

      bartholo.

      Des fautes si connues! une jeunesse déplorable!

      marceline, s'échauffant par degrés.

      Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit! je n'entends pas nier mes fautes; ce jour les a trop bien prouvées! mais qu'il est dur de les expier après trente ans d'une vie modeste! j'étais née, moi, pour être sage, et je la suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiégent, pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées!

      figaro.

      Les plus coupables sont les moins généreux; c'est la règle.

      marceline, vivement.

      Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes! c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse; vous et vos magistrats, si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les malheureuses filles? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes: on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe.

      figaro, en colère.

      Ils font broder jusqu'aux soldats!

      marceline exaltée.

      Dans


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