La monadologie (1909) avec étude et notes de Clodius Piat. Gottfried Wilhelm Freiherr von Leibniz

La monadologie (1909) avec étude et notes de Clodius Piat - Gottfried Wilhelm Freiherr von Leibniz


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XXIII au même, p. 688b.]

      Non seulement les états intérieurs des monades se déroulent dans un ordre parallèle; mais encore il existe entre eux une certaine similitude: ils se font écho. «La représentation a un rapport naturel à ce qui doit être représenté. Si Dieu faisait représenter la figure ronde d'un corps par l'idée d'un carré, ce serait une représentation peu convenable; car il y aurait des angles ou éminences dans la représentation, pendant que tout serait égal et uni dans l'original[77].» «Les projections de perspective, qui reviennent dans le cercle aux sections coniques, font voir qu'un même cercle peut être représenté par une ellipse, par une parabole, et par une hyperbole, et même par un autre cercle et par une ligne droite et par un point[78].» Cette variété dans l'unité donne une idée approchante de ce qui se passe de monades à monades.

      [Note 77: LEIBNIZ, Théod., p. 607b, 356.]

      [Note 78: Ibid., p. 607b, 357.]

      Toutefois, l'analogie de «la représentation et de la chose» n'est pas la même dans les différents êtres. Chaque monade a son point de vue d'où elle perçoit l'univers; et, par conséquent, comme il existe une multitude infinie de monades, il existe aussi une multitude infinie de représentations du monde, toutes différentes les unes des autres: il en est comme d'une ville dont les perspectives se multiplient, au fur et à mesure que varient les sites où l'on se met pour la regarder[79]. En outre, chaque monade, en vertu même de la matière première qui lui est inhérente et qui l'individue[80], a toujours un nombre plus ou moins grand d'idées confuses, comme celles «de la chaleur, du froid et des couleurs», qu'elle ne réussit jamais à éclaircir. Et de là des degrés à l'infini dans la connaissance que les créatures ont des choses[81].

      [Note 79: LEIBNIZ, Théod., p. 607b, 357; Monadol., p. 709b, 57.]

      [Note 80: Ibid., p. 477b.]

      [Note 81: LEIBNIZ, Réplique aux réflexions de Bayle, p. 187b; Théod., p. 6O7b, 357 et p. 620a, 403; Monadol., p.709a, 49.—Il est bon de remarquer ici que l'idée que Leibniz s'est faite du rapport des représentations aux choses n'est pas d'une interprétation facile. On est toujours tenté de croire, en le lisant, qu'il parle des corps, tels que le vulgaire se les figure, c'est-à-dire d'agrégats qui sont étendus et dont l'existence est indépendante de toute pensée. Mais il ne peut rien y avoir de pareil dans sa théorie; et la difficulté qu'on éprouve à le mettre d'accord avec lui-même vient uniquement de ce qu'il se sert ordinairement de termes communs pour exposer un système nouveau.]

      Que peut être le corps humain, d'après une semblable doctrine? Rien de ce qu'imagine le commun des hommes. Qu'on ne se le figure point comme une colonie d'éléments étendus, qui existent en eux-mêmes, qui s'actionnent les uns les autres et sont pour ainsi dire «mêlés à notre âme». Qu'on ne se le figure pas davantage comme une portion de matière que meut la pensée du haut de la glande pinéale, à la manière dont un cocher gouverne ses chevaux du haut de son char; car il ne peut rien exister de pareil; et Descartes lui-même n'a pas fait la part assez belle à la doctrine spiritualiste. Considéré tel qu'il nous apparaît, l'organisme humain n'est qu'un système de représentations, le point de vue spécial dont nous percevons l'univers[82]: sa réalité est toute phénoménale. Et, considéré tel qu'il existe en soi, ce n'est qu'un groupe de substances simples et dépourvues d'activité transitive, une hiérarchie de monades qui se fonde uniquement sur une certaine correspondance d'états intérieurs soit entre elles, soit avec l'âme elle-même. Rien, absolument rien qu'on y puisse voir ou toucher ou imaginer; rien non plus qui s'y produise sous forme d'action réciproque. L'intelligence seule le conçoit et comme un cas de l'harmonie préétablie[83].

      [Note 82: LEIBNIZ, Syst. nouv. de la nature, p. 127b.]

      [Note 83: LEIBNIZ, Lettre IV au P. des Bosses, p. 438b, ad 22; N. Essais, p. 238b, 7; Monadol., p. 709a, 49.]

      A ce «système de la communication des substances» se rattache une théorie de l'espace et du temps, qui en est comme le corollaire.

      D'après Clarke et Newton, l'espace et le temps seraient deux «êtres absolus», «éternels et infinis», distincts par là même des corps qui composent la nature[84]. Or une telle conception ne peut être que chimérique; elle contredit à la fois et la perfection de Dieu, et le principe de la raison suffisante et celui des indiscernables.

      [Note 84: LEIBNIZ, Réponse à la seconde réplique de M. Clarke, p. 751b, 3.]

      Ou bien l'espace est un attribut de Dieu. Et, dans ce cas, Dieu lui-même se divise à l'infini; car l'espace «a des parties», et qui se sous-divisent sans fin[85]. Ou bien l'espace se distingue radicalement de Dieu, comme on veut qu'il se distingue des corps; et alors il y a «une infinité de choses éternelles hors de Dieu[86]». Dans l'une et l'autre hypothèses, les seules que l'on conçoive, l'idée fondamentale de l'Être parfait se trouve altérée. Et l'on peut raisonner de même à l'égard du temps; dès qu'on l'érige à l'état d'absolu, il faut que l'essence de Dieu en souffre ou du dedans ou du dehors.

      [Note 85: LEIBNIZ, Réponse à la seconde réplique de M. Clarke, p. 751b,3; Réponse à la troisième réplique de M. Clarke, p. 756a, 11; Réponse à la quatrième réplique de M. Clarke, p. 767b, 42.]

      [Note 86: LEIBNIZ, Réponse à la troisième réplique de M. Clarke, p. 756a, 10.]

      En outre, si l'espace est un absolu, si c'est une réalité qui préexiste à la création du monde physique, les points qui le composent ne diffèrent en rien les uns des autres: ils sont «uniformes absolument». Or, dans cette uniformité sans bornes, il est impossible de trouver «une raison pourquoi Dieu, gardant les mêmes situations des corps entre eux, les a placés dans l'espace ainsi et non pas autrement; et pourquoi tout n'a pas été pris à rebours, (par exemple), par un échange de l'Orient et de l'Occident[87]. Et l'on se heurte à une difficulté analogue, lorsqu'on suppose que le temps, de son côté, est un autre absolu. Car, d'après une telle hypothèse, le temps existait avant la création: antérieurement à l'apparition du monde, il se prolongeait déjà comme une ligne à la fois infinie et homogène. Et, dans cette éternelle ressemblance, Dieu n'a jamais pu trouver une raison de créer à tel moment plutôt qu'à tel autre: ce qui revient à dire qu'il n'a jamais pu créer et que le commencement de l'univers est inexplicable[88].

      [Note 87: LEIBNIZ, Réponse à la seconde réplique de M. Clarke, p. 752a, 5.]

      [Note 88: LEIBNIZ, Réponse à la seconde réplique de M. Clarke, p. 752, 6.]

      C'est aussi une loi de la nature que tout ce qui se ressemble s'identifie dans la mesure même où il y a ressemblance: «non pas» qu'il soit impossible absolument de poser deux ou plusieurs êtres qui n'aient entre eux aucune différence; mais «la chose est contraire à la sagesse divine», qui demande que le monde soit le plus beau possible et renferme de ce chef le plus de variété possible[89]. Par conséquent, supposé, comme le veut la théorie de Clarke et de Newton, que l'espace soit chose absolument homogène, il faut de toute rigueur que son immensité se réduise à un point géométrique[90]. Et supposé que telle soit aussi la nature du temps, il faut de même que tous les moments de l'éternelle durée se ramassent en un instant indivisible[91]: et, de la sorte, Homère sera le contemporain de Spinoza.

      [Note 89: LEIBNIZ, Réponse à la quatrième réplique de M. Clarke, p. 765b, 25.]

      [Note 90: LEIBNIZ, Réponse à la seconde réplique de M. Clarke, p. 752a, 5; Réponse à la troisième réplique de M. Clarke, p. 756b, 18.]

      [Note 91: LEIBNIZ, Réponse à la troisième réplique de M. Clarke, p. 756, 6 et 13.]

      Il n'y a donc que des idola tribus, «des chimères toutes pures» et «des imaginations superficielles», dans l'hypothèse d'un espace et d'un temps absolus[92]. L'espace et le temps ne peuvent être ni des attributs de Dieu, ni des réalités éternelles et distinctes de Dieu. Ils ont commencé avec le monde; et ils n'existeraient point, «s'il n'y avait point de créatures». Il


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