Chevalier de Mornac: Chronique de la Nouvelle-France (1664). Joseph Marmette

Chevalier de Mornac: Chronique de la Nouvelle-France (1664) - Joseph Marmette


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de l'aile du temps. Quoique campé crânement sur l'oreille gauche, son feutre gris avait évidemment dû voir bien du pays et essuyer beaucoup d'orages depuis qu'il était sorti des mains de certain chapelier de Caudebec. Ses larges bords s'affaissaient quelque peu et sa couleur grise primitive tirait singulièrement sur le jaune pâle.

      Un pourpoint, sorte de gilet très-court, en drap rouge garni de passements d'or un peu ternis enserrait ses épaules, par dessus lesquelles retombait un ample manteau de route, en drap couleur de musc, que relevait par derrière le fourreau d'une épée retenu sur la hanche gauche par un baudrier encore assez richement brodé d'argent. Entre les deux pans de ce manteau, apparaissaient d'abord le haut-de-chausses, d'une couleur écarlate qui avait dû être vive quelques mois auparavant, mais qui tendait maintenant à prendre une teinte violette, puis les plis bouffants de la chemise, que le peu de longueur du pourpoint laissait librement voir au-dessus du haut-de-chausses, car la mode du temps le voulait ainsi.

      Enfin de lourdes bottes de voyage à éperons d'argent, et dont l'entonnoir affaissé s'évasait au-dessus du genou, chaussaient ses pieds, petits comme ceux de tout homme de bonne race.

      Malgré l'état assez délabré de son costume, notre gentilhomme avait bonne et fière mine.

      Il était grand, brun, et sa figure longue mais fine accusait vingt-huit ans. Dominée par un nez fortement aquilin, sa lèvre supérieure disparaissait sous une moustache noire, dont les bouts, soigneusement frisés, serpentaient coquettement aux coins de sa bouche ferme et moqueuse, tandis qu'une royale se tordait en spirale sur un menton avancé, dont la forme annonçait un joyeux appétit. La mode de porter la barbe commençait à se passer à la cour du jeune roi, et pourtant les gens de guerre conservaient encore ces belles moustaches du temps de Richelieu, qui donnaient un air si crâne et que les femmes aimaient tant.

      —Cap-de-diou! s'écria-t-il soudain, (car c'était un brave enfant de la Gascogne que le sieur Robert du Portail, chevalier de Mornac)—le beau cap!

      Et son oeil noir et intelligent montait et se promenait sur le

       Cap-aux-Diamants.

      —Mais sangdiou! la pauvre petite ville que cette capitale où nous venons faire la cour à dame Fortune!

      Il disait cela avec ce diable d'accent gascon, unique en son genre, et que nous nous garderons bien de vouloir imiter en ce récit.

      Puis, abaissant son regard jusqu'à l'eau.

      —Oh! mais, capitaine, dites donc, quel est ce gros homme coiffé d'un bonnet rouge, et qui emplit à lui seul l'arrière de la chaloupe que l'on voit s'approcher?

      —Ce doit être notre joyeux hôtelier, compère Jacques Boisdon, répondit le capitaine en se penchant sur le bastingage pour mieux examiner ceux qui montaient l'embarcation signalée.

      —Celui qui tient l'unique hôtellerie de Québec?

      —Précisément, et, comme je vous l'ai déjà dit, c'est chez lui qu'il vous faudra descendre.

      La chaloupe du père Jérôme Thibault arrivait en longeant le navire et la face épanouie de Jacques Boisdon apparaissait souriante au-dessus du ventre rebondi qui, à chaque oscillation du canot, ballottait lourdement sur les genoux de l'aubergiste.

      —Mordiou! la bonne trogne ricana le Gascon. Si j'avais sur le chaton de ma bague autant de rubis que ce gaillard en a sur le nez, je pourrais rebâtir le château de Mornac, ce pauvre manoir de mes aïeux dans les ruines duquel nichent en paix les hirondelles. Oh! cadédis! la belle outre à gonfler de vin que cette large panse!

      En ce moment, plusieurs interpellations, parties de tous les points du vaisseau, indiquèrent au Gascon à quel point l'aubergiste était populaire parmi les marins.

      —Hé! bonjour, père Boisdon. Comment ça va-t-il, vieux cachalot? Et dame

       Pétue se porte comme un charme? Buvons-nous toujours sec, grosse éponge!

      Puis une voix grêle qui descendait du bout de la grande vergue:

      —Père Boisdon, mes amours! avons-nous encore de ce bon vieux guildive du petit tonneau rouge. Hé! dites donc, vieux loup de terre?

      Boisdon, ahuri par tant de questions, levant en l'air sa figure apoplectique et criait de sa voix grasse:

      —Bien, mes enfants, merci! Oui, oui, nous avons encore de fines liqueurs, allez!

      —Trois bravos pour Boisdon! dit le capitaine, qui, depuis son dernier voyage, devait deux écus à l'aubergiste.

      Et de quarante gosiers marins sortirent trois vociférations, qui causèrent tant d'émotions à l'hôtelier que sa figure s'empourpra comme s'il allait être frappé d'un coup de sang.

      —Chers bons enfants! murmurait-il, tandis qu'une larme furtive glissait de ses yeux pour se dessécher aussitôt sur sa joue en feu. Allons-nous nous arroser un peu le dalot du cou pendant une quinzaine! Sapreminette!

      Dans ses grands moments de joie, le paisible aubergiste se permettait cet inoffensif juron.

      On venait cependant de glisser jusqu'à fleur d'eau une échelle volante, et les passagers se préparaient à descendre dans les chaloupes, lorsque Boisdon cria d'en bas:

      —Si quelqu'un de ces messieurs désire loger l'auberge du Baril-d'Or, qu'il veuille embarquer avec moi.

      Mornac fut un des premiers qui se rendit cette invitation. Un matelot transporta dans la chaloupe du père Thibault une petite valise qui contenait tout le bagage et la fortune du Gascon.

      En voyant le mince porte-manteau de son hôte, l'aubergiste fit la grimace. Pourtant, lorsque le chevalier mit le pied dans la chaloupe, Boisdon le salua respectueusement et lui dit qu'il était flatté d'avoir l'honneur d'héberger un gentilhomme.

      —Qui sait, après tout, s'était dit l'hôtelier, cette valise peut être remplie d'argent, et notre hôte payer libéralement.

      Quelques personnes prirent place à côté du chevalier, les autres dans les deux chaloupes du vaisseau, et ces embarcations se dirigèrent, force de rames, vers l'endroit de la basse-ville où s'élevait encore le magasin construit par Champlain.

      Sur le rivage plusieurs gens attendaient les arrivants. Car c'étaient des compatriotes, des amis, des parents peut-être, qu'ils allaient recevoir. Et n'aurait-on pas aussi de récentes nouvelles de France, du bon pays des aïeux dont on conservait si douce souvenance, où les pères dormaient leur dernier sommeil et que les enfants ne reverraient probablement jamais.

      Des acclamations des cris de joie et de reconnaissance, accueillirent les nouveaux venus. Mornac ne connaissait personne et s'empressait de débarquer avec sa valise, lorsque l'aubergiste héla certain gamin de douze ans, qui, la tignasse ébouriffée, le nez au vent et les mains dans les poches, regardait chacun d'un air effrontément inquisiteur.

      —Jean! cria l'hôtelier, arrive ici, petiot, et monte, à la maison le porte-manteau de monsieur.

      C'était le fils aîné de Jacques Boisdon, messire Jean dont nous avons raconté, dans François de Bienville, les mésaventures si bien méritées.

      Jean s'approcha et fit mine de s'emparer de la valise du Gascon.

      Celui-ci s'écria:

      L'enfant va s'éreinter!

      —Oh! non, monsieur, repartit l'affreux gamin: ça ne pèse pas le diable, vos bagages, allez!

      Et d'un tour de main, il enleva la valise qu'il mit sur son épaule gauche.

      —Mordiou! Maroufle! s'écria le Gascon, prétends-tu te moquer de moi?

       C'est que je te couperais la langue, vois-tu?

      —Ne lui coupez rien, monsieur le marquis! s'écria Boisdon. Quoiqu'il n'y paraisse pas, voyez-vous, mon Jeannot est robuste et aime montrer sa force.

      —A la bonne heure; sandis! répondit Mornac.


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