Pile et face. Lucien Biart

Pile et face - Lucien Biart


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pour vivre.

      —Ah, les voleurs! mais ça n'est pas du monde, ces gens-là! Attendez, j'ai cinq cents francs, moi, je vais leur acheter M. Gaston…

      —Ils en exigent deux mille, ma pauvre Catherine.»

      La brave servante demeura interdite. Pour son esprit naïf, deux mille francs représentaient une de ces sommes fabuleuses dont on parle, mais qu'un souverain seul peut réunir.

      «Il faut prévenir le maire, s'écria-t-elle enfin.

      —Le maire est impuissant, répliqua Mademoiselle, mon frère a le code pour lui.»

      Pour le coup, Catherine cessa de comprendre. Le code, quel était ce personnage plus puissant que M. le maire, et assez injuste pour donner raison à l'ex-sergent contre Mademoiselle? Mais non, la douleur égarait sa maîtresse, et le code, si hardi qu'on le supposât, ne pourrait commettre une énormité qui révolterait tous les honnêtes gens. Qui donc, depuis sa naissance, soignait, entretenait, nourrissait Gaston, et qui donc oserait soutenir qu'il n'était pas la propriété de Mademoiselle? Catherine feignit pourtant de se rendre aux explications de sa maîtresse, tout en se proposant d'éveiller au jour le docteur Fontaine. Par malheur, en ce moment même, le docteur se mettait en selle pour se rendre au château de Pontchartrain.

      L'heure avançait; il fallut avoir recours à la prière pour obtenir de Catherine qu'elle allât se reposer, et pour lui arracher la promesse formelle qu'elle accueillerait le lendemain M. et Mme de La Taillade autrement qu'avec son balai.

      Demeurée seule, Mademoiselle s'établit près du lit de son neveu. L'enfant dormait d'un sommeil paisible; ses boucles blondes inondaient son oreiller; ses mains croisées soutenaient sa tête. Au dehors, le vent continuait à souffler par rafales; la girouette grinçait, et vingt autres girouettes, comme entraînées par l'exemple, pivotaient à leur tour, changeant sans cesse le point de mire de leurs impassibles chasseurs. L'âme pleine de pensées lugubres, Mademoiselle ne relevait le front que lorsqu'un tourbillon accourait à l'improviste, secouait les fenêtres avec rage, enveloppait la maison, essayait de l'ébranler, et fuyait en sifflant comme un malfaiteur qui appelle à son aide des compagnons invisibles. A ces furieux efforts succédait un silence profond; on entendait alors la respiration de Gaston et le tic-tac de la grande horloge qui comptait dans l'ombre les secondes de l'éternité. Parfois un meuble craquait et faisait tressaillir Mademoiselle, qui prêtait machinalement l'oreille. Ses larmes coulaient encore, et sous son front endolori les idées se pressaient amères et confuses. Gaston allait partir, être malheureux, et elle ne pouvait rien. Elle regardait l'enfant d'un œil voilé, aussi brisée, aussi morne, aussi anéantie que si elle l'eût contemplé mort entre les planches d'un cercueil.

      La première lueur du jour la surprit encore accoudée sur le lit de son neveu. A force de penser, son cerveau ne lui présentait plus qu'une image infidèle des choses, et sa raison, fatiguée de chercher une solution introuvable, la demandait au monde surnaturel. Elle songeait qu'à la dernière heure Dieu pourrait intervenir; puis, retombant dans la réalité, elle rêvait de se rendre avec Catherine dans la tour de l'ancien manoir, et de creuser la terre pour trouver les trésors que la rumeur publique prétendait y avoir été enfouis. Parfois aussi elle pressait son front entre ses mains comme pour en faire jaillir un moyen de gagner en une semaine, en un jour, en une heure, un peu de cet or devenu nécessaire pour assurer son bonheur. Hélas! Gaston avait comblé tous les vides de ce cœur créé pour être celui d'une épouse, d'une mère, et que l'indifférence des hommes avait meurtri sans le dessécher.

      A la vue du premier rayon qui vint s'implanter comme un javelot d'or dans les rideaux de Gaston, Mademoiselle se leva, les membres engourdis. Elle se rapprocha de la fenêtre et appuya sa tête en feu contre la vitre glacée. Son regard erra dans le jardin. Des oiseaux se querellaient; on les voyait sautiller entre les branches déjà nues des pommiers, tandis que des merles parcouraient magistralement les plates-bandes. Au milieu d'une allée, une petite charrette remplie de cailloux barrait le passage: c'étaient les matériaux que Gaston transportait depuis deux jours, afin d'édifier un château où il devait loger sa tante, Catherine et le docteur. Mademoiselle poussa un soupir et ferma les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, ce fut pour regarder au loin, par-dessus les haies, un champ immense qui commençait à jaunir. Le ciel, sans un seul nuage, empruntait au soleil levant de splendides teintes orangées; le sol jonché de feuilles rousses rappelait seul la tourmente de la nuit. Mademoiselle s'enveloppa d'un châle, sortit sans bruit et se rendit au cimetière. Un vieux fossoyeur achevait de creuser une tombe et disparaissait à demi dans le trou béant. Il se redressa au bruit des pas de la visiteuse matinale, qui, si légers qu'ils fussent, faisaient crépiter les feuilles. Elle passa sans le voir. Le sourire qui avait éclairé un instant la face du vieillard s'effaça.

      «Il y a du nouveau,» murmura-t-il en branlant la tête.

      Il trancha du revers de sa bêche deux ou trois vers qui se tordaient sur la terre brune et reprit sa tâche funèbre, après avoir craché dans ses mains calleuses. La cloche de l'église tinta; en cet instant, Mademoiselle s'agenouillait sur la pierre qui, depuis dix ans, recouvrait la dépouille de la mère de Gaston.

      Le soir du même jour, ménageant sa monture fatiguée, le docteur revenait de Pontchartrain. Au moment d'abandonner la grand'route pour s'engager sur un sentier, il entendit le bruit de la diligence de Brest cachée par un taillis, et s'arrêta pour la voir passer. Elle arriva au galop furieux de ses chevaux frais. Le docteur releva ses lunettes; sous l'ombre de la bâche de cuir qui recouvrait l'impériale, il avait cru reconnaître M. de La Taillade et Gaston.

      «Je suis fou,» pensa-t-il.

      Cependant son cœur battait, et il regardait fuir avec inquiétude le lourd véhicule qui rebondissait sur les pavés, vacillant, de droite à gauche, au milieu d'une poussière vermeille. Tout à coup le docteur tourna bride, et tenta de faire galoper sa jument. Une heure plus tard, il mettait pied à terre devant la demeure de sa vieille amie, et s'élançait vers le salon. Mademoiselle, comme au lendemain du mariage de celui qu'elle avait aimé, se débattait dans le délire de la fièvre entre les bras de Catherine éplorée.

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