Les pilotes de l'Iroise. Edouard Corbiere
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Edouard Corbière
Les pilotes de l'Iroise
Publié par Good Press, 2020
EAN 4064066087630
Table des matières
Course, capture, baraterie du Patron, avant-goût de piraterie.
Appareillage pour courir bon-bord.
Crainte, dégoût, trame homicide, fuite, rencontre.
Londres, reconnaissance, contrariété, passagers, préparatifs de départ, départ.
Amour, jalousie, duel, délire, remords, désespoir, retour à Ouessant, fin.
1832.
1
Trouvaille en Mer.
Un jour que la brume d'automne, chassée par un vent d'Ouest assez fort, commençait à s'étendre sur les flots qui s'agitent presque continuellement entre l'île d'Ouessant et le terrible Raz-des-Saints, une petite barque de pilote, surmontée d'une misaine et d'un taille-vent, tournoyait au milieu des lames, dans le passage de l'Iroise, attendant les navires qui voudraient entrer à Brest ou relâcher à Camaret.1
Note 1: (retour) Les navires qui entrent à Brest y arrivent par une des trois passes suivantes: celle du Raz-des-Saints, formée par la côte du Sud-Est et l'île des Saints; celle de l'Iroise, comprise entre l'île des Saints et Ouessant: c'est la plus large et la moins dangereuse; et enfin celle que forme Ouessant et la terre du Conquet: cette dernière se nomme le Passage du Four.
En courant ça et là des bordées, tantôt au Nord-Nord-Ouest, tantôt au Sud-Sud-Ouest, le vieux patron du bateau s'entretenait gravement, la barre en main, avec les deux marins qui composaient son équipage. C'étaient tous trois de ces hommes simples, moitié cultivateurs, moitié matelots, comme la plupart de ces braves gens qui naissent sur les îlots et les rivages de la Basse-Bretagne. L'île d'Ouessant, posée avec son phare célèbre, à sept lieues de Brest, en sentinelle avancée de l'Océan, était la patrie du pilote Tanguy et de ses deux compagnons. La conversation qu'ils avaient entamée en bas-breton, en courant leurs bordées, roulait sur différents objets, monotone et inconstante, comme les vagues qui battaient la petite barque.
—Maître Tanguy, dit l'un, des jeunes matelots, vous allez souvent à Brest, vous, n'est-ce pas? Pour moi, je ne l'ai encore vu ce fameux Brest, qu'en traversant le Goulet. On dit que c'est une bien belle ville.
—Superbe, répond Tanguy à son élève Jean-Marie. Il n'y a rien de plus beau que le spectacle; mais ce qu'il y a de plus joli, c'est le bagne, où l'on garde huit mille forçats habillés en rouge de la tête aux pieds.
—Qu'est-ce que c'est que ça, le spectacle?
—La comédie, fichue bête! Borde six pouces de ton écoute de misaine, et tiens bon dessous!
Jean-Marie, après avoir exécuté l'ordre que vient de lui donner son patron, reprend ainsi le fil de l'entretien.
—Vous disiez donc que le spectacle de Brest est une bien belle chose?
—Comment, je te demande un peu, ça ne serait-il pas beau? C'est un grand magasin tout doré en dedans, où de belles dames et des messieurs ne parlent qu'en musique, et où on brûle trente-six mille chandelles en plein jour dans l'été... Pare-toi à filer ton écoute en grand; voilà un grain qui va nous tomber à bord.... Tu ne vois donc plus les grains, toi, à présent?...—Le grain passe, le dialogue continue.
—Mais comment vous, maître Tanguy, qui étiez chef de pièce à bord d'un vaisseau de 74, avez-vous pu quitter Brest pour venir vivre chez nous? Je suis bien sûr que si vous étiez resté au service, vous seriez à présent second maître canonnier au moins; qu'est-ce que je dis? maître-canonnier, peut-être bien....
—Si j'avais voulu, j'aurais été ce que je ne suis pas, je le sais bien; mais jamais je n'ai eu d'ambition, moi. J'aime mieux manger ma bouillie