Les pilotes de l'Iroise. Edouard Corbiere

Les pilotes de l'Iroise - Edouard  Corbiere


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il est vrai, mais qui nous fait vivre, avec la protection de la sainte vierge Marie et du bon Jésus, son fils.

      Et puis Tanguy élève vers le ciel la petite croix qu'il a trouvée dans les vêtements des deux enfants. Chacun des pilotes, à l'exemple de leur chef, baise avec respect ce signe révéré, et la barque continue à courir entre les débris qui couvrent la mer.

      Toutes les recherches furent vaines: la nuit voilait déjà les flots; les vents d'Ouest semblaient en mollissant vouloir passer au Sud-Ouest. À onze heures du soir, ils hallèrent en effet le Ouest-Sud-Ouest, et puis après ils tournèrent au Sud: désespérés de ne rien trouver sur les vagues qu'ils avaient battues pendant plusieurs heures, nos pilotes se décidèrent à gouverner sur Ouessant, où leurs familles devaient s'inquiéter de ne pas les avoir vus rentrer à l'heure accoutumée. Ils orientèrent en larguant le ris qu'ils avaient encore conservé, de manière à rentrer chez eux sans perdre de tems. Ce fut après avoir fait leur petite manoeuvre, qu'ils purent examiner enfin en repos la trouvaille précieuse qu'ils venaient de faire.

      Le petit garçon, que Tanguy avait enveloppé dans sa capote, pouvait avoir dix-huit mois ou deux ans; la petite fille, dont Jean-Marie s'était emparé, paraissait plus jeune encore que son frère, car à la ressemblance parfaite qu'ils avaient entr'eux, il n'était guère permis de douter que ce ne fussent le frère et la soeur. Leurs cris perçants pendant le trajet déchiraient le coeur de ces pauvres gens. Je sais bien ce qu'ils demandent, répétait Tanguy: ils veulent téter; mais avec la meilleure volonté du monde, nous ne pouvons pas leur servir de mère. Une fois à la maison, ce sera différent. Ta femme nourrit, à toi, Jean-Marie, eh bien, elle aura un nourrisson de plus, et la mienne, un beau gros garçon en supplément.

      —Oh! pour ce qui est de ça, maître Tanguy, je vous promets bien que je ne laisserai pas aller à d'autres cette chère enfant. Ce que le bon Dieu nous envoie est toujours bien reçu chez nous. Et puis, voyez-vous, j'ai dans l'idée que ces enfants-là nous porteront bonheur.

      —Mon embarras à moi, tu ne le sais pas, toi, Jean-Marie, parce que tu n'as pas l'esprit assez ouvert pour ces sortes de choses-là: mon embarras donc, c'est de savoir à quelle nation ces deux petits particuliers appartiennent.

      —Mais à la nation des enfants trouvés.

      —Encore une bonne! Comment tu ne comprends pas que je veux dire, s'ils sont anglais ou français?

      —Mais le petit garçon dit à chaque instant da da. Est-ce anglais ou français, vous qui parlez toutes les langues?

      —Allons, imbécile, étarque ta misaine, et amarre-moi ferme ta drisse, qui a molli déjà de plus d'un pied. Tu ne comprends pas plus ce que je yeux te dire, que le pater noster que tu rognones à tout bout de champ, bord à bord avec notre curé.»

      Pendant cette conversation, qui ne jetait pas un grand jour sur l'origine des enfants qu'ils venaient de sauver, nos pilotes avaient fait de la route, et le feu de leur île bien-aimée brillait déjà vivement à leurs jeux. Quelle joie ils se promettaient, en déposant dans le sein de leurs familles leurs deux nouveaux hôtes! Avec quel plaisir Jeanne, la femme de Jean-Marie, et Soisic, la femme de Tanguy, recevront le cadeau que leurs époux leur destinent! Nos pilotes n'étaient pas riches, tant s'en faut; l'un avait déjà deux enfants, et l'autre cinq; mais un marmot de plus ou de moins ne fait pas grand'chose pour les pauvres gens. Il n'y a que les riches qui s'affligent, en comptant avec eux-mêmes, de voir leur famille s'augmenter. Où il n'y a rien le partage est bientôt fait. C'est là ce que disaient nos trois Ouessantins.

      L'arrivée du bateau pilote était impatiemment attendue dans l'île: le vent avait été fort et le temps brumeux pendant la journée; on commençait à avoir des inquiétudes sur le compte de nos trois chercheurs de navires. Tanguy passait pour ambitieux, et pour vouloir tenter trop souvent de faire des rencontres, quand ses autres confrères relâchaient prudemment. Déjà on l'accusait de s'être engagé trop témérairement dans de mauvais parages; mais quand on vit sa barque rentrer d'un air triomphant, avec quelques épaves de ce navire, qu'il avait inutilement cherché à sauver, on ne lui adressa plus que des félicitations. Sa femme lui sauta au cou; le syndic des gens de mer l'accabla de questions. Pour toute réponse il mit son petit garçon dans les bras de son épouse, en lui disant: En voilà un autre de ma façon; et au syndic des gens de mer il se contenta de dire en quelques mots, que lui, syndic, en savait tout autant que lui-même sur ce qu'il lui faisait l'honneur de lui demander.

      Pour Jean-Marie, il avait déjà fait cadeau à sa femme du marmot, avec lequel il n'avait fait qu'un saut du bateau au rivage, en accostant à terre.

       Table des matières

       Table des matières

      Le lendemain de l'arrivée du bateau de Tanguy, la curiosité publique se trouva très-vivement excitée à Ouessant, par la nouvelle de la trouvaille que venait de faire notre maître pilote. Tous les insulaires voulurent voir les deux jolis petits enfants sauvés si miraculeusement. Le commandant de place rendit visite aux nouveaux hôtes de la femme de Jean-Marie et de celle de Tanguy. Le juge de paix et le syndic de la marine se déplacèrent même pour féliciter ces deux bonnes mères de famille, sur l'hospitalité qu'elles avaient accordée à leurs infortunés nourrissons. Et puis arriva le curé du lieu, la pipe à la bouche, le bonnet brun sur la tête et les sabots aux pieds. Il examina attentivement la croix trouvée sur les deux naufragés; il fit ensuite un petit sermon sur le miracle opéré en faveur des deux enfants par la vertu de ce signe de rédemption; et, après avoir conclu que les petits naufragés devaient être nés dans la religion catholique romaine, il ajouta qu'il ne serait peut-être pas mauvais de les baptiser, au risque de leur administrer une seconde fois le sacrement de vie. La parole d'un curé est sacrée en Basse-Bretagne, surtout quand il s'avise d'entremêler deux ou trois mots à peu près latins, aux exhortations qu'il fait, ou aux sentences qu'il prononce en langue celtique. Quid benè non défuit, dit le pasteur, et il fut annoncé qu'on ferait administrer au plus tôt le baptême aux deux petits orphelins.

      Le juge du canton voulut verbaliser avant tout; l'agent maritime fit son rapport au commissaire-général de la marine, à Brest, et Tanguy se prépara à la solennité fixée au lendemain par son gros curé.

      La cage à poules, ce berceau flottant, dans lequel avaient été trouvés les enfants, donna lieu, ainsi que quelques débris ramassés par les pilotes, à plus d'une longue dissertation parmi les marins de l'île. Les uns soutenaient que la peinture verte qui la couvrait et la forme des barreaux, indiquaient assez que cette cage appartenait à un bâtiment anglais. Les autres prétendaient que le linge fin et le manteau qui enveloppaient les deux orphelins, étaient d'étoffe française; les femmes d'Ouessant, dont les connaissances en fait de toilette sont assez bornées, pensaient que les petites chemises n'avaient pu être cousues, et taillées que par une main étrangère. Enfin survint un pauvre cordonnier qui avait été marin, et qui soutint que les souliers des jeunes naufragés avaient été confectionnes aux Colonies, tant ils étaient mal cousus et de mauvaise qualité. Le curé à ce propos voulut lui appliquer le ne sutor ultra crepidam. Le cordonnier fit la grimace au curé, qui riait de ne pas être compris, et la discussion en resta là. Mais un fait sur lequel tout le monde tomba d'accord, c'était la ressemblance prodigieuse qui existait entre la mignonne petite fille et le joli petit garçon. Plus de doute, c'étaient le frère et la soeur. Malheureux enfants! s'écriait-on: ils n'ont ni père ni mère, et Tanguy alors de répondre, en montrant sa femme:—Pour qui donc nous prenez-vous, vous autres? Voyons, qu'on leur donne vite le baptême en double ration, et que tout cela finisse!

      Le baptême arriva. Deux pilotes et deux grosses paysannes servirent de parrains et de marraines aux néophytes. Tanguy et Jean-Marie devinrent leurs pères adoptifs.


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