L'américaine. Jules Claretie

L'américaine - Jules Claretie


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me désennuyer, allant en Annam comme j'étais allé aux Etats-Unis, comme j'aurais flâné sur le boulevard.

      —Avec plus de profit pour la science pourtant! J'ai lu dans la Revue un travail, sur la colonisation de l'Extrême-Orient, qui me paraît assez pratique!

      —Et, pour l'écrire, il était inutile d'aller si loin. C'est peut-être à Paris qu'on apprend le plus de choses, même sur les pays lointains!... J'ai trouvé au Club des amis qui, sur ce que j'avais vu au Tonkin, en savaient, je vous jure, autant que moi. Le télégraphe leur apprenait en dix lignes et en deux minutes ce que je mettais deux mois à découvrir.... Et puis, le voyage, le voyage! C'est très joli quand on n'emporte pas un peu d'ennui... des souvenirs... avec ses bagages!

      —Des souvenirs.... Votre mère?

      —Ah! la chère sainte! fit M. de Solis. Son souvenir à elle m'eût rendu le courage! Mais il y en avait d'autres!... Oubliés, ceux-là, d'ailleurs, j'espère; oui, perdus en route, laissés en chemin, avec ma poudre brûlée et mes cartouches vides! Je suis venu avec la résolution formelle d'en finir avec les aventures et de vieillir, auprès de ma cheminée, heureux, comme vous... marié, comme vous!

      —Heureux! fit Richard en hochant la tête.

      —Voyons!—Et le marquis essayait de sourire après s'être contraint à chasser les souvenirs qui lui montaient au cœur.—Voyons, Norton, connaîtriez-vous une jeune fille qui voulût d'un brave garçon un peu attristé, mais point maussade, désillusionné sur bien des points, mais pas à la mode, peu pessimiste—mon cousin Bernière se charge de cette spécialité-là—et gardant encore assez de foi, de passion, pour commettre, au besoin, quelque folie et même pour se résigner à la sagesse? Ma mère tient à ne pas me voir devenir vieux garçon! Marions-nous donc! Et, après tout, le voyage au coin du feu est le seul que je n'aie jamais fait! Aussi bien, c'est résolu! J'ai un peu peur du mariage, comme on a peur que l'eau ne soit pas trop froide au premier bain.... Mais je suis décidé à me jeter à la nage! Avez-vous quelqu'un pour m'apprendre à nager, Norton?

      L'Américain n'avait pas quitté des yeux le marquis, tandis que M. de Solis parlait, laissant sous cette gaieté factice deviner quelque ironie douloureuse, une souffrance, le parti-pris d'un homme qui a soif de nouveau parce qu'il a soif d'oubli.

      —Alors, se marier, c'est, pour vous, se jeter à l'eau? Eh bien! mais c'est galant pour votre professeur de natation! dit Norton. Je ne connais personne digne de vous... sérieusement.... Si je voyais une jeune fille remarquable parmi nos Américaines....

      —Non! oh! pas une Américaine! dit vivement Solis.

      —Et pourquoi?

      —Je n'épouserai jamais une Américaine!

      —Pourquoi...?

      —Parce que j'estime qu'il y a assez de froissements possibles, dans le mariage, avec la différence des caractères sans y ajouter la différence des races!

      Le marquis était presque grave et si sérieux que Richard Norton ne put s'empêcher de sourire:

      —Si mes compatriotes vous entendaient, elles seraient capables de vous arracher les yeux! Elles sont jolies, pourtant, les Américaines, et exquises, et sérieuses, et dévouées sous leurs airs excentriques!

      —Je le sais bien! fit Solis.

      —D'ailleurs, puisque vous voulez vous marier, pour vous marier, presque au hasard, je ne comprends pas, je l'avoue, qu'on traite une affaire aussi grave comme une loterie!

      —Du moment que c'est une affaire! dit le marquis, gardant toujours son pli de lèvres agressif.

      Les yeux gris de Norton ne le quittaient point, comme si l'Américain eût voulu deviner le secret de cette tristesse qui n'existait pas autrefois dans l'esprit de Solis.

      —Une affaire! Une affaire! Je suis bien certain, pourtant, mon cher Georges, que la dot vous est indifférente.

      —Absolument.

      —D'autant plus, qu'en Amérique, la dot n'existe pas, ce qui enlève au mariage je ne sais quelle odeur d'argent, qu'il garde un peu beaucoup dans votre France.... Vous avouerez que, pour un peuple de négociants, ce dédain des bank-notes ne manque pas d'une certaine tournure.

      Solis était, un moment, demeuré sans répondre, regardant sur la cheminée une étrange pendule, dont le balancier était un pilon d'acier.

      —Je ne songe pas du tout, fit-il, l'œil toujours fixé sur ce balancier, mais pas du tout, à critiquer vos mœurs ou vos jeunes filles, en vous disant que je n'épouserai point une Américaine... pas plus que je n'entends parler d'un marché, quand je prononce ce vilain mot: «Une affaire.» Je dis seulement que, lorsqu'on n'a pas épousé celle qu'on devait aimer, il faut peut-être laisser au hasard le soin de nous faire aimer celle qu'on épousera!

      —Ah! par exemple! Voilà une jolie théorie! dit Norton, riant un peu.

      —Ce n'est pas une théorie, c'est une des mille nécessités où nous réduit la vie actuelle, telle qu'elle est faite!... Vous avez—vous—et le marquis parlait lentement, risquait ses paroles une à une, comme un homme marcherait avec précaution, pas à pas, sur quelque étang gelé—vous avez la chance, sans nul doute, Norton, d'avoir fait un mariage d'amour....

      Il affectait de regarder la mer, au loin, par le window entr'ouvert, mais ses yeux épiaient le visage de Norton.

      —J'adorais la jeune fille à qui j'ai demandé sa main! répondit l'Américain, très gravement.

      Solis riposta, la voix haute:

      —Moi, j'ai adoré une femme exquise, à qui je n'ai pas osé dire que je l'aimais!

      —Je vous répéterai encore: Pourquoi?

      —Vous étiez riche, fort riche, et vous pouviez offrir, avec votre fortune, votre nom à qui vous vouliez.

      —Sans doute....

      —Moi, dit M. de Solis, j'étais assez pauvre, comparativement à cette jeune fille, et je ne pouvais pas, je n'osais pas lui dire de partager une existence qui lui eût semblé mesquine, comparée à celle qu'elle avait, jusque-là, menée chez son père. Et mon amour me criait de parler, et mon orgueil m'ordonnait de me taire.

      —Il est dommage que cette jeune fille n'eût pas été une Yankee, comme vous dites. Vous auriez été plus à l'aise. Je sais une jeune fille dont le père a cinq cent mille dollars de rente et qui a épousé un pasteur de Tennessee, lequel a sa Bible pour toute fortune. Elle est très heureuse. Bah! mon cher Georges, une femme console d'une femme! Il y a un proverbe espagnol qui dit: «La tache de sang de la mûre, une autre mûre l'efface!» Vous en verrez chez moi, au parc Monceau, des Américaines, brunes, blondes, rousses, et de délicieuses, et de capiteuses, et de charmantes, et c'est peut-être—en dépit de vos restrictions sur la race—l'une d'elles qui effacera l'image de votre compatriote.

      —Peut-être! répondit M. de Solis.

      Puis, regardant toujours cette pendule où l'œuvre d'art se faisait machine, il ajouta:

      —Je ne crois pas!

      L'Américain haussa les épaules.

      —Parbleu! On ne croit jamais ces choses-là jusqu'au jour où l'on s'aperçoit que ce qu'il y a de plus rapide après l'oubli des vivants disparus, c'est l'oubli des sentiments qu'on croyait éternels.... Et c'est bien naturel.... Mais, mon cher Georges, si l'on passait sa vie à ne se consoler de rien, on ne vivrait pas!... Et il faut vivre!... En avant, toujours en avant! C'est notre devise nationale.... Et c'est ma devise particulière.... Je ne passe point ma vie à m'attarder aux fantômes du sentiment.

      M. de Solis regardait autour de lui pendant que Norton lui parlait, et il éprouvait, à se trouver là, à Trouville, dans le cabinet de l'Américain, presque pareil à un office de New-York, la sensation d'un voyage, une sorte d'impression d'exotisme. Jusqu'en cette maison du bord


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