Le dernier vivant. Paul Feval

Le dernier vivant - Paul  Feval


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était à Paris, c'est lui qui filerait son nœud en deux temps pour courir à ton salut; mais la France, sa patrie et la nôtre, a besoin de lui dans les contrées étrangères. Allez! j'écrirais aussi bien qu'un autre, en beau style bête, si je voulais.

      Je te dis, moi: réfléchis avant de piquer ta tête. C'est diablement grave. Ma parole, je regrette presque le renseignement fourni ci-dessus, tant j'ai le pressentiment que ton affaire n'est pas bonne.

      Encore une fois, il était mon parent; je puis parler de lui la bouche ouverte; il faut avoir tué père et mère pour entrer comme cela volontairement dans la famille de cet imbécile coquin.

      N'y entre pas, vieux Lucien, je t'en prie! Il doit y avoir quelque mauvaise histoire là-dedans.

      Pour un peu, vois-tu, je te dirais que j'ai menti. Et, tiens, s'il faut cela pour te sauver, ça y est: je connais ta Jeanne, j'ai soupé avec elle plutôt dix fois qu'une; elle boit le Champagne comme un chérubin du ciel et lève l'une et l'autre jambe à hauteur de carabinier.

      Parole sacrée. Porte-toi bien.

      Post-scriptum.—Si tu connaissais ma Fanchonnette, tu comprendrais la vanité de pareils propos. Voilà une jeune personne! Mais, ventre de biche, je ne l'épouse pas.

      Pièce numéro 11

      (Lettre écrite et signée par Mme Thibaut.)

       M. Lucien Thibaut, à Yvetot.

      Dieppe. 20 octobre 1864.

      Mon cher enfant.

      Nous avons un automne magnifique ici et cette chère Olympe nous traite si bien que nous prolongeons un peu notre séjour. La richesse ne fait pas le bonheur, c'est vrai, ou du moins on le dit, mais il faut pourtant être à son aise pour avoir, comme notre Olympe, un château aux portes de la ville.

      Tout ça me fait penser à toi, à ton établissement. Tu sais que mon plus ardent désir est de te voir marié. Tes sœurs et moi, Dieu merci, nous ne pensons pas à autre chose. Nous nous réveillons la nuit pour en parler.

      Ce n'est pas que j'ajoute foi à ces bruits ridicules qui sont venus jusqu'à mon oreille, mais enfin, ces bruits-là, tout bêtes qu'ils sont, ne diminuent pas mon envie de voir ton sort assuré.

      Notre Olympe est admirable pour nous. Ah! si la chance avait voulu... enfin, n'importe. Ce qui est certain, c'est que ta nomination t'a donné une valeur que tu n'avais pas: j'entends au point de vue matrimonial.

      Aussi, tes sœurs et moi nous avons renoncé à la pauvre Ida Moreau que nous aimions de tout notre cœur, mais qui ferait un parti par trop ordinaire. Nous pouvons maintenant choisir.

      Et puis son père et sa mère se portent comme des charmes. Ce qui lui reste à avoir, elle l'attendra longtemps.

      Moi, les espérances, je ne les compte que pour mémoire. (Le mot espérance était souligné au crayon, sans doute de la main de Lucien.)

      Il faut que j'en parle encore: oui j'avais fait un beau rêve autrefois, et je crois qu'il aurait été assez de ton goût, mon coquin! Notre Olympe était orpheline, elle avait dix mille livres de rentes en bon bien venu. Avec ça, jolie comme un cœur! Et des manières! Et une éducation! Et une conduite! Enfin tout, quoi! C'est le gros lot, celle-là.

      Mais elle a fait mieux, on ne peut pas dire le contraire. Ce n'est pas que le marquis de Chambray fût un petit mari bien mignon, mais il avait son asthme et ses soixante-sept ans. J'appelle ça un placement en viager. Je suis drôle, pas vrai, mon chéri?

      Eh bien! après? est-ce que nous ne sommes pas tous mortels? Notre Olympe a soigné son bonhomme mieux qu'une sœur de charité. Et une conduite! mais je l'ai déjà dit.

      Il aurait été le dernier des misérables s'il ne lui avait pas tout donné à son décès, puisqu'il n'avait que des neveux à la bretonne.

      Maintenant, elle est veuve. Elle a soixante mille livres de rentes, un château, un hôtel; elle est plus jeune et plus jolie que jamais.

      Sais-tu qu'on parle d'éventualités, de succession possible, probable même? Tu n'es pas sans avoir eu vent de la tontine des cinq fournisseurs. Le début de l'histoire n'est pas très propre, mais on calomnie toujours l'argent par jalousie. C'est la fable du raisin qui est trop vert.

      Il paraît que le marquis était neveu du dernier vivant de la tontine, le fournisseur, comme on l'appelle, qui se cache à Paris et qui vit comme un rat dans une cave. Il a près de cent ans et personne ne sait le compte absurde des millions qu'il ne pourra emporter dans l'autre monde.

      Est-ce vrai? Moi je ne sais pas; Olympe hausse les épaules quand on veut lui toucher un mot de la chose. En tous cas, qu'est-ce que cela nous fait, puisque ce serait folie de songer encore à elle dans la position où elle est pour un morveux de petit magistrat comme toi? On ne se démarquise pas pour devenir Mme Thibaut, substitute. C'est dommage.

      Mais sans aller chercher midi à quatorze heures, c'est-à-dire Mme la marquise de Chambray, tes sœurs et moi nous ne sommes pas au dépourvu. Nous avons battu les buissons dans tout le voisinage, et je te promets que nous ne sommes pas revenues sans gibier. On pourrait déjà t'offrir tout un panier de poulettes à choisir.

      Mauvais sujet! vois-tu, ça me rend gaie de penser à tes noces. Tu es si tranquille! Tu rendras ta petite si heureuse! Seulement, attention à ne pas te laisser mettre le pied sur la tête. Un homme doit rester le maître chez lui. Ceux qui donnent leur démission ne sont jamais aimés. Nous recauserons de ça en temps et lieu.

      Pour en revenir, tes sœurs et moi nous avons commencé par trier dans le bouquet pour ne pas trop t'ennuyer par l'embarras du choix.

      Car nous sommes unanimes à ne point nous dissimuler qu'il faudra te marier à la cuiller, comme on donne la bouillie aux petits enfants.

      Ah! je suis gaie quand ce sujet me tient. Je l'ai déjà dit, mais tant pis.

      Il reste trois noms, après triage fait. Et avec quel soin! Célestine et Julie se sont disputées, il fallait voir! et moi aussi. Nous étions comme trois harpies. Elles t'aiment tant! Et moi donc!

      Fifi, ne va pas nous chanter à présent que tu veux rester garçon, c'est bête, ni que tu as tes idées à toi comme les Moreau essayent d'en faire courir le bruit: une petite pécore sans position et dont la mère ne voit personne à Yvetot. Est-ce que je sais moi! j'ai grondé Julie et Célestine qui se faisaient du chagrin avec tous ces cancans. Je te connais, puisque je t'ai fait, pas vrai?

      Tu es incapable de mal tourner.

      Allons donc! mon Lucien! épouser une aventurière sans le sou!

      Les Moreau ont fait des pertes dans le Crédit mobilier. Ça les aigrit. Ils voudraient voir des désagréments à tout le monde.

      Je commence. Il y a donc d'abord Mlle Sidonie de la Saudraye, bien venu 3.700 francs de rentes, en chiffre rond. Espérances à peu près autant. Les parents ne sont plus très jeunes et la maman tousse.

      Pas jolie de figure, mais taille superbe—elle est aussi grande que toi;—un peu maigrette et longuette, mais, avec du coton, ni vu ni connu; les cheveux un petit peu roux, mais les blondes sont à la mode, un petit peu jaune de teint, mais on aime les pâles à présent, et elle a une gentille pointe rouge au bout du nez qui la relève: bonne orthographe, gentille écriture, joli caractère, une voix agréable comme un flageolet, et bien pensante.

      Tu sais? tu lui plairas du premier coup. Tout le monde lui plaît. Il faut penser à ta timidité. Sidonie est si bonne, si bonne, si bonne qu'on y entre comme dans du beurre, mais une conduite! Tu vois, je l'ai mise la première. C'est presque ma candidate.

      Passons au n°2, qui est Mlle Maria Mignet, la fille du receveur: une simple pension de mille écus pour dot et l'héritage de son oncle en perspective. Ne fais pas la petite bouche, coco: il y a, dans le ventre du receveur,


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