Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon - Louis Constant Wairy


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leurs rôles avec un véritable talent. Elles étaient là presque comme dans le salon où elles avaient un ton d'une exquise délicatesse. Le répertoire ne fut pas d'abord très-varié, mais il était en général bien choisi. La première représentation à laquelle j'assistai était composée du Barbier de Séville, dans lequel M. Isabey jouait le rôle de Figaro, et mademoiselle Hortense celui de Rosine; et du Dépit amoureux. Une autre fois je vis représenter la Gageure imprévue, et les fausses Consultations. Mademoiselle Hortense et M. Eugène jouaient parfaitement dans cette dernière pièce, et je me rappelle encore actuellement combien, dans le rôle de madame Leblanc, mademoiselle Hortense paraissait encore plus jolie, sous son costume de vieille. M. Eugène représentait M. Lenoir, et M. Lauriston le charlatan. Le premier consul, comme je l'ai dit, se bornait au rôle de spectateur, mais il paraissait prendre à ce spectacle d'intérieur, et pour ainsi dire de famille, le plaisir le plus vif; il riait, il applaudissait du meilleur cœur, mais souvent aussi il critiquait. Madame Bonaparte s'amusait également, et, quand elle n'aurait pas été fière des succès de ses enfans, les premiers sujets de la troupe, il aurait suffi que ce fût un délassement agréable à son mari, pour qu'elle eût eu l'air de s'y plaire, car son étude constante était de contribuer au bonheur du grand homme qui avait uni sa destinée à la sienne.

      Quand vin jour de représentation était arrêté, il n'y avait point relâche, mais souvent changement de spectacle, non pour cause d'indisposition ou d'une migraine d'actrice, comme cela arrive aux théâtres de Paris, mais pour des motifs plus sérieux; il arrivait souvent que M. d'Etieulette recevait l'ordre de rejoindre son régiment, qu'une mission importante était confiée au comte Almaviva; mais Figaro et Rosine restaient toujours à leur poste, et le désir de plaire au premier consul était d'ailleurs si général parmi tous ceux qui l'entouraient, que les doubles montraient la meilleure volonté en l'absence de leurs chefs d'emploi, et que le spectacle enfin ne manqua jamais faute d'un acteur[4].

       Table des matières

      M. Charvet.—Détails antérieurs à l'entrée de l'auteur chez madame Bonaparte.—Départ pour l'Égypte.—La Pomone.—Madame Bonaparte à Plombières.—Chute horrible.—Madame Bonaparte forcée de rester aux eaux, envoie chercher sa fille.—Euphémie.—Friandise et malice.—La Pomone capturée par les Anglais.—Retour à Paris.—Achat de la Malmaison.—Premiers complots contre la vie du premier consul.—Les marbriers.—Le tabac empoisonné.—Projets d'enlèvement.—Installation aux Tuileries.—Les chevaux et le sabre de Campo-Formio.—Les héros d'Égypte et d'Italie.—Lannes.—Murat.—Eugène.—Disposition des appartemens aux Tuileries.—Service de bouche du premier consul.—Service de la chambre.—M. de Bourrienne.—Partie de billard avec madame Bonaparte.—Les chiens de garde.—Accident arrivé à un ouvrier.—Les jours de congé du premier consul.—Le premier consul fort aimé dans son intérieur.—Ils n'oseraient!—Le premier consul tenant les comptes de sa maison.—Le collier de misère.

      Je n'étais que depuis fort peu de temps attaché au service de madame Bonaparte, lorsque je fis connaissance avec M. Charvet, concierge de la Malmaison. Ma liaison avec cet excellent homme devint chaque jour de plus en plus intime, et à tel point, que par la suite il me donna une de ses filles en mariage. J'étais avide de savoir par lui tout ce qui se rapportait à madame Bonaparte et au premier consul, antérieurement à mon entrée dans la maison, et, sur ce point, il mettait dans nos fréquens entretiens la plus grande complaisance à satisfaire ma curiosité; c'est à sa confiance que je dois les détails suivans sur la mère et sur la fille.

      Lorsque le général Bonaparte partit pour l'Égypte, madame Bonaparte l'accompagna jusqu'à Toulon; elle désirait même beaucoup le suivre en Égypte, et quand le général lui faisait des objections, elle lui faisait observer que, née créole, la chaleur du climat lui serait plus favorable que dangereuse, et par un singulier rapprochement, c'était sur la Pomone qu'elle voulait faire la traversée, c'est-à-dire sur le bâtiment même qui dans sa première jeunesse l'avait amenée de la Martinique en France. Le général Bonaparte ayant fini par céder au désir de sa femme, lui promit de lui envoyer la Pomone, et l'engagea à aller en attendant prendre les eaux de Plombières. Les choses furent ainsi convenues entre le mari et la femme, et madame Bonaparte fut enchantée d'aller aux eaux de Plombières, ce qu'elle désirait faire depuis long-temps, connaissant comme tout le monde la réputation dont jouissent ces eaux pour raviver les fécondités paresseuses.

      Madame Bonaparte n'était que depuis peu de temps à Plombières, lorsqu'un matin, étant dans son salon, occupée à ourler des madras, et causant avec les dames de la société, madame de Cambis, qui était sur le balcon, l'appela pour lui faire voir un joli petit chien qui passait dans la rue. Toute la société courut au balcon sur les pas de madame Bonaparte, et alors le balcon s'écroula avec un épouvantable fracas. Heureusement, et l'on peut dire par un grand hasard, personne ne fut tué; mais madame de Cambis eut la cuisse cassée; madame Bonaparte fut cruellement meurtrie, sans avoir, à la vérité, éprouvé aucune fracture. M. Charvet, qui était dans une pièce au dessus du salon, accourut au bruit, et fit immédiatement tuer un mouton qu'on dépouilla, et dans la peau duquel on enveloppa madame Bonaparte. Elle fut long-temps à se rétablir. Ses bras et ses mains surtout étaient tellement contusionnés, qu'elle fut pendant quelque temps sans pouvoir en faire aucun usage, de sorte qu'il fallait couper ses alimens, la faire manger, et lui rendre enfin tous les services que l'on rend ordinairement à un enfant.

      On vient de voir tout à l'heure que Joséphine croyait aller rejoindre son mari en Égypte, ce qui donnait lieu de penser que son séjour aux eaux de Plombières ne serait pas long; mais son accident lui fit juger qu'il se prolongerait indéfiniment, et elle désira, pendant qu'elle achèverait de se rétablir, avoir auprès d'elle sa fille Hortense, alors âgée de quinze ans, et qui était élevée dans le pensionnat de madame Campan. Elle l'envoya chercher par une mulâtre qu'elle aimait beaucoup; elle s'appelait Euphémie, était la sœur de lait de madame Bonaparte, et passait même, sans que je sache si cette présomption était fondée, pour être sa sœur naturelle. Euphémie partit avec M. Charvet, dans une des voitures de madame Bonaparte. Mademoiselle Hortense les voyant arriver, fut enchantée du voyage qu'elle allait faire, et surtout de l'idée de se rapprocher de sa mère, pour laquelle elle avait la plus vive tendresse. Mademoiselle Hortense était, je ne dirai pas gourmande, mais friande à l'excès; aussi M. Charvet, en me racontant ces particularités, me dit-il que dans chaque ville un peu considérable où ils passaient, on remplissait la voiture de bonbons et de friandises, dont mademoiselle Hortense faisait une très-grande consommation. Un jour qu'Euphémie et M. Charvet s'étaient profondément endormis, tout à coup ils furent réveillés par une détonation qui leur parut terrible, et qui ne les laissa pas sans une vive inquiétude, voyant à leur réveil qu'ils traversaient une épaisse forêt. Cet accident fortuit fit rire aux éclats Hortense, car ils avaient à peine manifesté leur frayeur, qu'ils se virent inondés d'une mousse odorante, qui leur expliqua d'où venait la détonation: c'était celle d'une bouteille de vin de Champagne placée dans une des poches de la voiture, et que la chaleur jointe au mouvement, ou plutôt la malice de la jeune voyageuse, avait fait déboucher avec bruit. Quand mademoiselle Hortense arriva à Plombières, sa mère était à peu près rétablie, de sorte que l'élève de madame Campan y trouva toutes les distractions qui plaisent et conviennent à l'âge qu'avait alors la fille de madame Bonaparte.

      On a raison de dire qu'à quelque chose malheur est bon, car, sans l'accident arrivé à madame Bonaparte, il est dans les choses probables qu'elle serait devenue prisonnière des Anglais; elle apprit en effet que la Pomone, bâtiment sur lequel on a vu qu'elle voulait faire la traversée, était tombée au pouvoir de ces ennemis de la France. Comme d'ailleurs le général Bonaparte, dans toutes ses lettres, détournait sa femme du projet qu'elle avait de le rejoindre, elle revint à Paris.

      À son arrivée, Joséphine songea à remplir un désir que lui avait témoigné le général Bonaparte avant


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