Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon. Louis Constant Wairy

Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon - Louis Constant Wairy


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lui avait confié d'importantes missions diplomatiques. Aide-de-camp du premier consul, général de division et gouverneur des Tuileries, il vivait depuis long-temps dans la familiarité intime de la Malmaison et dans l'intérieur du premier consul. Pendant les absences qu'il était obligé de faire, il entretenait une correspondance suivie avec mademoiselle Hortense, et pourtant l'indifférence avec laquelle il laissa faire le mariage de celle-ci avec M. Louis prouve qu'il ne partageait que faiblement l'affection qu'il avait inspirée. Il est certain qu'il aurait eu pour femme mademoiselle de Beauharnais, s'il eût voulu accepter les conditions auxquelles le premier consul lui offrait la main de sa belle-fille; mais il s'attendait à quelque chose de mieux, et sa prudence ordinaire lui manqua au moment où elle aurait dû lui montrer un avenir facile à prévoir, et fait pour combler les vœux d'une ambition même plus exaltée que la sienne. Il refusa donc nettement, et les instances de madame Bonaparte, qui déjà avaient ébranlé son mari, eurent décidemment le dessus. Madame Bonaparte, qui se voyait traitée avec fort peu d'amitié par les frères du premier consul, cherchait à se créer dans cette famille des appuis contre les orages que l'on amassait sans cesse contre elle pour lui ôter le cœur de son époux. C'était dans ce dessein qu'elle travaillait de toutes ses forces au mariage de sa fille avec un de ses beaux-frères.

      Le général Duroc se repentit probablement par la suite de la précipitation de ses refus, lorsque les couronnes commencèrent à pleuvoir dans l'auguste famille à laquelle il avait été le maître de s'allier; lorsqu'il vit Naples, l'Espagne, la Westphalie, la Haute-Italie, les duchés de Parme, de Lucques, etc., devenir les apanages de la nouvelle dynastie impériale; lorsque la belle et gracieuse Hortense elle-même, qui l'avait tant aimé, monta à son tour sur un trône qu'elle aurait été si heureuse de partager avec l'objet de ses premières affections. Pour lui, il épousa mademoiselle Hervas d'Alménara, fille du banquier de la cour d'Espagne, petite femme très-brune, très-maigre, très-peu gracieuse; mais en revanche, de l'humeur la plus acariâtre, la plus hautaine, la plus exigeante, la plus capricieuse. Comme elle devait avoir en mariage une énorme dot, le premier consul la fit demander pour son premier aide-de-camp. Madame D.... s'oubliait, m'a-t-on dit, au point de battre ses gens et de s'emporter même de la façon la plus étrange contre des personnes qui n'étaient nullement dans sa dépendance. Lorsque M. Dubois venait accorder son piano, si malheureusement elle se trouvait présente, comme elle ne pouvait supporter le bruit qu'exigeait cette opération, elle chassait l'accordeur avec la plus grande violence. Elle brisa un jour, dans un de ces singuliers accès, toutes les touches de son instrument; une autre fois, M. Mugnier, horloger de l'empereur, et le premier de Paris dans son art, avec M. Bréguet, lui ayant apporté une montre d'un très-grand prix, que madame la duchesse de Frioul avait elle-même commandée, ce bijou ne lui plut pas, et, dans sa colère, en présence de M. Mugnier, elle jeta la montre sous ses pieds, se mit à danser dessus, et la réduisit en pièces. Jamais elle ne voulut payer, et le maréchal se vit obligé d'en acquitter le prix. Ainsi le refus mal entendu du général Duroc, et les calculs peu désintéressés de madame Bonaparte causèrent le malheur de deux ménages.

      Au reste le portrait que je viens de tracer et que je crois vrai, quoique peu flatté, n'est que celui d'une jeune femme gâtée comme une fille unique, vive comme une Espagnole et élevée avec indulgence et même avec cette négligence absolue qui nuisent à l'éducation de toutes les compatriotes de mademoiselle d'Alménara. Le temps a calmé cette vivacité de jeunesse, et madame la duchesse de Frioul a donné, depuis, l'exemple du dévouement le plus tendre à tous ses devoirs, et d'une grande force d'âme dans les affreux malheurs qu'elle a eu à subir. Pour la perte de son époux toute douloureuse quelle était, la gloire avait du moins quelques consolations à offrir à la veuve du grand maréchal. Mais quand une jeune fille, seule héritière d'un grand nom et d'un titre illustre, est enlevée tout-à-coup par la mort, à toutes les espérances et à tout l'amour de sa mère, qui oserait parler à celle-ci de consolations? S'il peut y en avoir quelqu'une (ce que je ne crois pas), ce doit être le souvenir des soins et des tendresses prodigués jusqu'à la fin par un cœur maternel. Ce souvenir, dont l'amertume est mêlée de quelque douceur, ne peut manquer à madame la duchesse de Frioul.

      La cérémonie religieuse du mariage eut lieu le 7 janvier dans la maison de la rue de la Victoire, et le mariage du général Murat avec mademoiselle Caroline Bonaparte, qui n'avait été contracté que par-devant l'officier de l'état civil, fut consacré le même jour. Les deux époux (M. Louis et sa femme) étaient fort tristes; celle-ci pleurait amèrement pendant la cérémonie, et ses larmes ne se séchèrent point après. Elle était loin de chercher les regards de son époux, qui, de son côté, était trop fier et trop ulcéré pour la poursuivre de ses empressemens. La bonne Joséphine faisait tout ce qu'elle pouvait pour les rapprocher. Sentant que cette union, qui commençait si mal, était son ouvrage, elle aurait voulu concilier son propre intérêt, ou du moins ce qu'elle regardait comme tel, avec le bonheur de sa fille. Mais ses efforts comme ses avis et ses prières n'y pouvaient rien. J'ai vu cent fois madame Louis Bonaparte chercher la solitude de son appartement et le sein d'une amie pour y verser ses larmes. Elles lui échappaient même au milieu du salon du premier consul, où l'on voyait avec chagrin cette jeune femme brillante et gaie, qui si souvent en avait fait gracieusement les honneurs et déridé l'étiquette, se retirer dans un coin, ou dans l'embrasure d'une fenêtre, avec quelqu'une des personnes de son intimité pour lui confier tristement ses contrariétés. Pendant cet entretiens, d'où elle sortait les yeux rouges et humides, son mari se tenait pensif et taciturne au bout opposé du salon.

      On a reproché bien des torts à Sa Majesté la reine de Hollande, et tout ce qu'on a dit ou écrit contre cette princesse est empreint d'une exagération haineuse. Une si haute fortune attirait sur elle tous les regards, et excitait une malveillance jalouse; et pourtant ceux qui lui ont porté envie n'auraient pas manqué de se trouver eux-mêmes à plaindre, s'ils eussent été mis à sa place, à condition de partager ses chagrins. Les malheurs de la reine Hortense avaient commencé avec sa vie. Son père, mort sur l'échafaud révolutionnaire, sa mère jetée en prison, elle s'était trouvée, encore enfant, isolée et sans autre appui que la fidélité d'anciens domestiques de sa famille. Son frère, le noble et digne prince Eugène, avait été obligé, dit-on, de se mettre en apprentissage; elle eut quelques années de bonheur, ou du moins de repos, tout le temps qu'elle fut confiée aux soins maternels de madame de Campan, et après sa sortie de pension. Mais le sort était loin de la tenir quitte: ses penchans contrariés, un mariage malheureux, ouvrirent pour elle une nouvelle suite de chagrins. La mort de son premier fils, que l'empereur voulait adopter, et qu'il avait désigné pour son successeur à l'empire, le divorce de sa mère, la mort cruelle de sa plus chère amie, madame de Brocq[7], entraînée sous ses yeux dans un précipice, le renversement du trône impérial, qui lui fit perdre son titre et son rang de reine, perte qui lui fut pourtant moins sensible que l'infortune de celui qu'elle regardait comme son père; enfin les continuelles tracasseries de ses débats domestiques, de fâcheux procès, et la douleur qu'elle eut de se voir enlever son fils aîné par l'ordre de son mari; telles ont été les principales catastrophes d'une vie qu'on aurait pu croire destinée à beaucoup de bonheur.

      Le lendemain du mariage de mademoiselle Hortense, le premier consul partit pour Lyon, où l'attendaient les députés de la république Cisalpine, rassemblés pour l'élection d'un président. Partout, sur son passage, il fut accueilli au milieu des fêtes et des félicitations que l'on s'empressait de lui adresser, pour la manière miraculeuse dont il avait échappé aux complots de ses ennemis. Ce voyage ne différait en rien des voyages qu'il fit dans la suite avec le titre d'empereur. Arrivé à Lyon, il reçut la visite de toutes les autorités, des corps constitués, des députations des départemens voisins, des membres de la consulte italienne. Madame Bonaparte, qui était de ce voyage, accompagna son mari au spectacle, et elle partagea avec lui les honneurs de la fête magnifique qui lui fut offerte par la ville de Lyon. Le jour où la consulte élut et proclama le premier consul président de la république italienne, il passa en revue, sur la place des Brotteaux, les troupes de la garnison, et reconnut dans les rangs plusieurs soldats de l'armée d'Égypte, avec lesquels il s'entretint quelque temps. Dans toutes ces occasions, le premier consul portait le même costume qu'il avait à la Malmaison, et que j'ai décrit ailleurs. Il se levait de bonne heure, montait à cheval, et visitait les travaux publics, entre


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