La lutte pour la santé: essai de pathologie générale. Charles Burlureaux
constipation n'est donc qu'un symptôme.
Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des répercussions à distance, en vertu de ce principe que le système nerveux abdominal a des relations intimes avec le système nerveux central, que, d'une façon plus générale, le trouble d'un département quelconque du système nerveux retentit sur les autres départements, la constipation, bien que symptomatique, contribue dans une certaine mesure à entretenir la «maladie», ne fût-ce que par la préoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut dégénérer quelquefois en véritable obsession. Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le problème thérapeutique, c'est que le système nerveux est une chaîne sans fin. Or, si l'on veut bien nous accorder que la solidité d'une chaîne est égale à celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a à rechercher quel est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du système nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guérir le constipé médical.
Il n'y a donc pas de remède contre la constipation, et, pour l'atteindre, il faut atteindre la «maladie», dont elle constitue une des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite, les plus faciles à faire disparaître. Oui, dussé-je sembler paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous les symptômes observés chez le constipé médical, celui qui disparaît le plus vite. Prenez un malade qui souffre, depuis des années, de ces misères variées qu'on est convenu de désigner sous le nom un peu vague de neurasthénie, et parmi lesquelles la constipation joue un rôle capital; après enquête minutieuse, trouvez la formule exacte de son régime, et par régime je n'entends pas seulement le régime alimentaire, mais la réglementation minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail cérébral, etc.; supprimez les agents thérapeutiques qui entretiennent la «maladie» (douches froides, exercice forcé, médicaments variés, diète lactée); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble nerveux de son intestin, à savoir les purgatifs, lavages à grande eau, etc.: et vous serez étonné de voir la constipation disparaître, avant même toutes les autres misères. Le malade vous dira, au bout de huit jours: «Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tête, de l'estomac, du dos, d'une faiblesse extrême, mais je commence à retrouver le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma constipation, si rebelle, est presque entièrement vaincue. Je n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je commence à reprendre confiance.» A partir de ce moment précis vous tenez le malade, il a en vous une foi aveugle, et, si vous continuez à le soigner méthodiquement, si surtout des influences étrangères ne viennent pas contrecarrer la vôtre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entièrement à votre direction, vous lui rendrez, peu à peu, la santé. Il aura des rechutes inévitables: mais lui annoncer à l'avance ces rechutes, c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins importantes, chaque fois qu'il s'écartera de la ligne tracée par vous: s'il commet un écart de régime, un excès d'exercice, ou s'il a une commotion morale, l'odieuse constipation reparaîtra, accompagnée d'état gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fièvre quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez à lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et à lui faire comprendre que cette rechute était évitable.
Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de même, à une foule d'affections. Le mal de tête, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus variés, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses? Heureusement pour les malades, il n'est encore venu à l'idée de personne de trouver un remède applicable à tous les cas de mal de tête. Nous en connaîtrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le divulguer: car, si la médecine «du symptôme» est détestable au point de vue de l'étude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue thérapeutique.
Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptôme, ou un ensemble de symptômes (ce qu'on appelle un syndrome): on y trouve toujours en germe la pathologie tout entière. Ainsi dans mon article Epilepsie du Dictionnaire Encyclopédique, j'ai essayé de montrer combien il faut se méfier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir une conception nette de l'épilepsie, et une thérapeutique utile des épileptiques. De même, en lisant ces jours-ci une intéressante étude du Dr Baraduc sur l'entéro-colite et son traitement à Chatel-Guyon, j'y voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on en juge par les quelques lignes que voici: «L'entéro-colite muco-membraneuse est un syndrome clinique dépendant d'un trouble fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et variées étant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, à elle seule, pour produire l'entéro-colite. Il faut de toute nécessité une prédisposition spéciale du système nerveux, et plus particulièrement du sympathique abdominal, à se troubler aux chocs qu'il reçoit. Cette prédisposition nécessaire spéciale, le plus souvent héréditaire, est l'apanage des neuro-arthritiques.» Si l'auteur voulait bien avouer seulement que cette expression de «neuro-arthritiques» ne fait que dissimuler notre ignorance, nous serions tout à fait d'accord avec lui.
En résumé, si le médecin doit bien connaître dans tous leurs détails, sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations morbides, il doit surtout chercher leur pathogénie, et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptôme. En un mot, il doit voir de haut pour voir loin, à condition toutefois de ne pas se perdre dans les nuages.
Quelquefois, tous les systèmes organiques sont troublés à la fois sous l'influence d'une cause morbigène. C'est ce qui arrive, par exemple, à la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain, le blessé devenir à la fois dyspeptique, déséquilibré abdominal, constipé avec entérite muco-membraneuse, déséquilibré cérébral; et il peut rester longtemps dans ce misérable état qu'on désigne sous le nom d'hystéro-neurasthénie traumatique.
La fièvre typhoïde, la grippe infectieuse, impressionnent également à la fois, tous les appareils de l'organisme, à des degrés divers. Tantôt la sidération peut être telle que le capital vital initial et les réserves antérieures se trouvent tout à coup épuisés: c'est la banqueroute totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les réserves ne sont que profondément entamés. C'est la «maladie» grave, aggravée encore par des médications et des pratiques intempestives; à un moment donné, le capital peut être réduit à si peu de chose, que la moindre dépense suffit pour l'anéantir. Le malade est une flamme vacillante que le moindre souffle peut éteindre, mais à laquelle un savant dosage d'oxygène rendra, peu à peu, la vie.
Quand le capital est moins profondément atteint, ou quand la cause morbigène est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu d'être généralisés, atteignent plus spécialement tel ou tel organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de l'hérédité ou par le fait d'une atteinte antérieure. Mais, en vertu de la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne reste pas longtemps limité à un organe ou à un système organique. Voyez le grand neurasthénique: il est à la fois dyspeptique, entéralgique, cérébral, médullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a été le premier atteint? Impossible de le dire, après deux ou trois ans de «maladie». Cependant une enquête bien conduite peut permettre souvent de reconstituer son histoire pathologique, de voir par où la «maladie» a commencé, quel était le point initial. Et c'est de la connaissance de ce point faible initial que dérivera, en grande partie, la thérapeutique. Le médecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il aura découvert, sans négliger, cependant, les perturbations secondaires attribuables à la synergie des fonctions de tout être vivant.
Il arrive même, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les réserves sont bonnes, que le trouble de la santé ne se traduit que par un nombre très limité de symptômes, parfois même par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont, comme manifestation morbide que le symptôme constipation, d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique, et surtout pour faire de la bonne thérapeutique, il faut, presque de parti pris, les éliminer, et chercher au delà de la manifestation monosymptomatique. Presque toujours,