Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


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le premier orgueil de la victoire fit rejeter. Cependant les nombreux prisonniers détenus à Gênes, parmi lesquels se trouvaient les personnages les plus importants, négociaient sans cesse pour racheter leur liberté et pour ménager une paix2. Ils représentaient aux Génois que leur absence seule faisait perdre Pise à la cause gibeline; leur retour ferait cesser les intrigues d'Ugolin, qui vendait leur patrie aux guelfes; et Ugolin, non moins prévoyant, se gardait bien de seconder leurs efforts. Au milieu de ces dispositions diverses, la haine nationale remportant sur l'intérêt de parti le plus évident, fit refuser tout traité et toute espèce de rançon pour ces malheureux captifs. Les écrivains étrangers attribuent aux Génois cette diabolique pensée, que retenir à jamais toute cette fleur de la population et de la jeunesse pisane loin de leurs foyers, c'était empêcher de naître une génération ennemie.

      Dans l'état de dépression où les Pisans étaient réduits, le vainqueur les outrageait impunément. Henri Spinola allait ravager les côtes et détruire jusqu'aux défenses des ports (1286). Zacharie stationnait à plaisir dans celui de Pise, poursuivant partout les bâtiments qui s'exposaient encore sur la mer, et il alla réclamer jusqu'à Tunis comme ses prisonniers les hommes qui s'y étaient réfugiés.

      (1288) Cependant une paix que les prisonniers pisans avaient trouvé le moyen de conclure après de longs traités, attendait depuis treize mois la ratification de leur république. Ugolin avait tout fait pour éviter cet accord qui, en ramenant tant de gibelins considérables, allait renverser son empire. Mais enfin il n'avait pu s'empêcher d'accéder à la paix demandée avec des instances si pressantes; ce fut toutefois avec la malheureuse espérance de la faire rompre. Tandis que de Gênes on expédiait de tous côtés pour faire cesser les captures maritimes et pour rappeler les flottes, Ugolin faisait tenir à son fils, qui commandait à Oristano et à Cagliari, en Sardaigne, l'ordre de continuer les hostilités. Beaucoup de bâtiments furent victimes de cette mauvaise foi. Ugolin s'excusa sur un malentendu passager, mais les déprédations continuaient. Gênes envoya trois galères en Sardaigne afin de se faire justice. Les ordres portaient de détruire les corsaires et de ne faire aucun mal aux autres Pisans. Ce nouveau cours d'hostilité excita dans Pise un soulèvement. L'archevêque se mit à la tête du peuple; on alla arracher de sa demeure le perfide Ugolin et les siens. On voulait les livrer à Gênes comme les otages responsables de la paix violée: les Génois refusèrent, en se contentant de cette réparation. Le malheureux comte, deux de ses fils, ses deux petits-fils, furent jetés dans une tour; elle fut murée sur eux….. Le Dante a immortalisé leurs souffrances. Ils moururent de faim3.

      (1290) La guerre recommencée reprit toute sa fureur. Les révolutions intérieures qui survinrent à Gênes n'en arrêtèrent pas l'activité et les succès, car les Pisans étaient hors d'état d'accomplir les conditions rigoureuses du dernier traité. Conrad Doria, l'un des deux capitaines de la république (Hubert Doria son père paraît avoir obtenu de lui céder sa place4); Conrad Doria reprend le projet d'aller subvertir le port de Pise; il y conduit vingt galères, des pontons, tous les engins capables de détruire des murs et de briser des chaînes. Là, il procède paisiblement à démolir les fortifications. Après son expédition finie, il revient en triomphe. Cette grande chaîne du port de Pise, si souvent attaquée, en est le premier trophée. Mise en pièces avec celle que le lieutenant de Zacharie avait déjà rapportée, les morceaux en sont suspendus aux portes de la ville, aux portiques de Saint-Laurent et des églises principales: on les y voit encore avec les inscriptions qui conservent la glorieuse mémoire du fait.

      Les Pisans disparurent des mers et se renfermèrent dans leurs murailles. Les historiens de Gênes semblent les oublier dix ans. Nous anticipons sur cette époque pour dire l'issue de cette guerre terrible. En 1293, Pise avait été admise par ses voisins de Toscane à un traité par lequel elle faisait abandon à ceux-ci de tous les territoires qu'ils lui avaient enlevés. En 1299 elle obtint des Génois, au lieu d'une paix, une trêve de vingt-sept ans. Les Pisans abandonnèrent la Corse à leurs adversaires, leur livrèrent Sassari en Sardaigne et payèrent 135,000 livres5 pour les frais de la guerre. A ce prix les prisonniers de la Meloria furent enfin relâchés; les historiens étrangers disent que sur les seize mille, après seize ans de captivité, il n'en restait plus que mille vivants.

      CHAPITRE V. Perte de la terre sainte. - Caffa. - Commerce des Génois du XIIIe au XIVe siècle.

      Les succès des Génois jetaient un éclat nouveau sur leur république: sa considération s'était accrue parmi les puissances. Cette époque brillante était pourtant marquée par une grande calamité, l'expulsion des chrétiens de la Syrie. Les villes maritimes dont la possession lui restait seule ne recevaient plus de secours. Longtemps Charles d'Anjou, secondant les prédications des papes, avait paru faire de grands efforts pour réunir les forces italiennes afin de les conduire en bonne harmonie à la défense de la terre sainte. Ce n'était là qu'un prétexte pour ses menées et pour son ambition. La concorde ne se rétablit ni en Syrie ni en Italie. Charles ne partit point. Au milieu des hostilités d'Acre contre Tyr, Bihor ou Bondocar, soudan du Caire, suivi de forces irrésistibles, avait déjà pris Assur, Sophie, Jaffa (1263), Antioche (1267), quand il vint mettre le siège devant Acre (1272). Un traité, une sorte de répit qu'il accorda, n'avait laissé au roi Hugues de Lusignan, pour tout royaume, que la plaine d'Acre et le chemin de Nazareth. Tyr et Tripoli tenaient aussi, mais comme des principautés indépendantes (1274). Cet abaissement et l'état précaire de possessions ainsi réduites n'avaient pas empêché le concile de Lyon de délibérer sérieusement sur les lois de la terre sainte et sur les moeurs de ses habitants si dignes de correction et de réforme. Il paraissait des légats, et, soit impéritie, soit intrigue, au milieu des dissensions auxquelles les chrétiens de Syrie étaient en proie, ces envoyés venaient ordinairement rompre des trêves et provoquer les Sarrasins. Bondocar ravagea de nouveau tout le pays (1275): heureux qui put fuir et sauver sa vie et quelques débris! Ce conquérant mourut, mais Kélaoun, son fils, se rendit encore plus terrible. Il assiégea, prit et ruina Tripoli. De là il revint devant Ptolémaïs. La lutte fut longue. On doit distinguer les derniers efforts des Génois pour sauver la place. Zacharie, leur amiral, prit en Chypre tous ses compatriotes en état de porter les armes et les transporta devant Acre (1289). Du fond de la mer Noire, Paulin Doria, consul de la colonie de Caffa, accourut avec du secours (1291). Tout fut inutile. Ptolémaïs tomba, ses défenseurs y périrent. De tout ce qui restait de Latins un petit nombre purent s'échapper par mer: les croisades furent finies; l'ombre même du trône de Jérusalem n'exista plus.

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