Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


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le Hardi, dans son retour, traversait l'Italie. Son oncle Charles l'accompagnait. Ils s'arrêtèrent à Viterbe pour solliciter les cardinaux à nommer un pape: le siège était vacant depuis la mort de Clément IV. Après deux ans d'intrigues, les réclamations publiques amenèrent enfin l'élection de Grégoire X.

      Les Génois, depuis qu'ils s'étaient donnés à des chefs gibelins, ne pouvaient prétendre aux faveurs du pape. Il était entouré de leurs ennemis, et Rome était le foyer d'où leur étaient suscités des embarras chaque jour renaissants. Leur administration fut constamment agitée, au dehors, sur le territoire, dans la ville même, où, indépendamment du jeu des factions générales, faire subsister un gouvernement censé populaire, représenté par deux dictateurs nobles, était un problème étrangement difficile.

      (1272) On apprit que le cardinal Ottobon Fieschi avait appelé à Rome les principaux émigrés guelfes, et avait ménagé entre eux un traité avec le roi Charles sous les auspices du pape. On devait donner à ces fugitifs les moyens de rentrer en force dans leur patrie; ils promettaient à leur tour d'y établir cette autorité dont l'ambitieux Charles menaçait l'Italie entière.

      Un coup très-rude et qui confirmait ces accords menaçants frappa tout à coup la république: en un même jour, en présence même de ses ambassadeurs à qui rien n'avait révélé une violence, tous les Génois qui étaient sur le sol du royaume de Charles furent emprisonnés et leurs biens séquestrés. Les ordres secrets envoyés en Sicile y firent saisir à la fois comptoirs, navires, hommes et propriétés sans distinction.

      Au bruit de cette violation du droit des gens Gênes pouvait user de représailles; on s'en abstint. Un délai de cinquante jours fut accordé à tout sujet du roi de Naples et de Sicile, comte de Provence, pour sortir du territoire de la république et pour emporter ses effets.

      Charles, toujours vicaire en Toscane, obligea toutes les villes dont il disposait à déclarer la guerre aux Génois (1273); Plaisance seule résista à cet ordre.

      En même temps une grande partie de la rivière orientale est soulevée par les Fieschi. Les marquis del Bosco, vassaux de la république, font publiquement hommage à Charles de ce qu'ils tenaient d'elle. A l'autre extrémité, Menton est livré par Guillaume Vento2 qui en avait la garde. Roquebrune, Vintimille se rendent au sénéchal de Provence; un autre émigré le conduit devant Savone qu'il pense surprendre. Les marquis de Caretto et de Ceva participent à ce mouvement. Gênes, ainsi entourée d'ennemis, ne s'abandonne pas. Les capitaines portent ou envoient partout des secours; leurs nombreux parents leur servent de lieutenants, le peuple les seconde. Les habitants de Savone se défendent contre les Provençaux. Anciens gibelins, ils ne disputent pas cette fois contre l'autorité de Gênes qui a embrassé leur vieille cause. Les secours surabondent, ils arrivent par terre et par mer. Mais du côté de la Toscane, les villes dont Charles disposait déployèrent tant de forces qu'elles firent reculer en désordre les mercenaires employés par les Génois. Quarante galères armées en Sicile parurent devant Gênes. Un Grimaldi et plusieurs autres émigrés d'importance étaient à bord. Une division passa en Corse et enleva Ajaccio. A son tour un des amiraux de la république poursuit les Provençaux sur la mer, brûle les navires dans le port de Trapani, ravage les côtes siciliennes et l'île de Gozo. Au retour (1274), il s'avance à l'embouchure du port de Naples, y salue le roi et la ville de malédictions, et fait défiler une à une ses galères traînant le pavillon de la maison d'Anjou renversé dans la mer.

      Il n'y avait, dans ces alternatives, que beaucoup de malheurs et rien de décisif. Les Génois furent réduits à s'allier contre Charles avec le marquis de Montferrat et avec les villes d'Asti et de Pavie. Cette alliance reçut un petit renfort de la part d'Alphonse X, roi de Castille. Après une longue vacance de la couronne impériale, Alphonse s'était mis au nombre des concurrents, et avait obtenu une nomination contestée. Il croyait faire acte d'empereur en envoyant quelques renforts aux gibelins d'Italie (1275); mais Rodolphe de Habsbourg fut solennellement élu en Allemagne, proclamé au concile de Lyon, et les prétentions du Castillan furent bientôt abandonnées.

      A ce même concile où le pape s'était rendu, il fit un dernier acte de sévérité contre les Génois. Il les frappa d'un nouvel interdit, à la demande du cardinal Ottobon Fieschi, qui se plaignait de la confiscation de quelques parties de son revenu. Cette rigueur dura jusqu'à la mort de Grégoire X (1276). Innocent V, son successeur, était favorable aux Génois. Dès les premiers jours de son pontificat, il leur adressa des lettres pleines de bonté paternelle et leur demanda des ambassadeurs, afin qu'il pût terminer les différends et les réconcilier à l'Eglise; mais il n'eut pas le temps de mettre à effet ses intentions favorables. Adrien V, son successeur, était ce même Ottobon Fieschi, fils d'un frère d'Innocent IV, l'âme du parti guelfe parmi les Génois; il s'empressa cependant de délivrer sa patrie de cet interdit que ses réclamations et ses intérêts personnels avaient fait infliger. Il conclut un prompt accord qui rouvrit les portes de Gênes aux émigrés; si ce pape eût vécu, son crédit eût porté atteinte à l'administration gibeline, mais, au bout de quelques semaines, il céda la place à Jean XXII (Pierre de Tolède). Tout ce que les Génois ont su de ce dernier pape (1277), c'est que le siège archiépiscopal de leur ville étant vacant, Jean, sans tenir compte du droit d'élection, y nomma un archidiacre de Narbonne, habitué de la cour de Rome3. On se soumit, le nouvel archevêque fut même reçu à son entrée avec un faste inaccoutumé: mais il demeura haï de la commune et du peuple, expression qu'il faut traduire sans doute par le gouvernement et le public.

      Le traité commencé avec Innocent et fini avec Adrien avait fait revenir les émigrés; mais la concorde ne pouvait survivre longtemps aux papes qui l'avaient imposé. Les émigrés rentrés ressortirent en armes (1278), et d'abord ils accusèrent à Rome le gouvernement des capitaines d'avoir violé la paix jurée. Martin IV, instrument docile dans la main du roi Charles, délégua pour procéder contre les Génois un évêque qui établit son tribunal à Plaisance (1281). Les Génois cités devant ce juge alléguèrent un privilège qui les dispensait de plaider hors de chez eux. Ils furent frappés d'un nouvel interdit pour cette contumace, sentence fâcheuse à un peuple dévot et ordinairement obéissant au saint-siège Mais, soit que l'abus d'un moyen violent si souvent répété commençât à en amortir la force même chez les plus craintifs, soit qu'il n'y ait pas de scrupules qui ne cèdent au fanatisme des partis, et que devenir gibelin ce fût apprendre à braver les excommunications guelfes, cette fois l'interdit fut méprisé; ce ne fut pas sans précaution, il est vrai. On prétendit avoir retrouvé une bulle d'Innocent IV, premier pape génois, qui réservait à la seule personne du successeur de saint Pierre le droit de mettre Gênes en interdit. Notre annaliste de l'époque, chancelier de la république, est fier de pouvoir insérer dans ses chroniques que c'est lui-même à qui appartint le bonheur de déterrer dans les archives un document si précieux. Son authenticité ne fut pas mise en doute. On assembla avec éclat les théologiens et les jurisconsultes du pays; ils déclarèrent qu'en vertu de la bulle, la commination du légat était nulle sans difficulté. Les consciences se tranquillisèrent, le culte recommença dans toutes les églises sans trouble, et à la grande joie des fidèles.

      Cependant le roi Charles ménageait les Génois. En ce moment même il leur envoyait des ambassadeurs et leur proposait de s'associer aux nouvelles conquêtes qu'il méditait; en d'autres termes, il avait besoin de leurs forces navales. Il se prétendait le représentant légitime du dernier empereur latin de Constantinople, et il s'était flatté de l'espoir de revendiquer effectivement cet héritage. Le pape Martin lui ouvrit la voie en excommuniant tous les Grecs. Charles offrit aux Génois de leur payer par les plus utiles privilèges dans Constantinople le prix des services qu'ils lui rendraient si, s'engageant à ne point porter de secours à Paléologue, ils aidaient à l'invasion de l'empire d'Orient. La république écouta la proposition, demanda le temps d'en délibérer, et finit par s'excuser de l'accepter, en se fondant sur les autres soins dont elle se voyait entourée. Une galère expédiée à Constantinople alla donner à l'empereur allié et ami de Gênes la communication de cette étrange ouverture et l'utile avis de se tenir sur ses gardes.

      Charles fit avec Venise l'alliance offensive que Gênes avait refusée. Mais bientôt son attention fut violemment détournée de la pensée d'une


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