Histoire de la République de Gênes. Emile Vincens

Histoire de la République de Gênes - Emile Vincens


Скачать книгу
les gibelins, les Grimaldi et les Fieschi chez les guelfes possédaient une supériorité reconnue, à laquelle les autres nobles ne pouvaient atteindre.

      C'est par là aussi que ces races privilégiées pouvait être tentées de s'emparer de l'autorité suprême, avec l'espoir de réussir là où Mari avait échoué.

      Depuis cette aventure, de sourdes rumeurs avaient souvent donné crédit aux apparences d'un complot qui mettrait la république aux mains d'un chef unique, ou de deux, si les ambitions principales ne pouvaient s'accommoder d'un seul.

      On sentait que cette concentration du pouvoir ne pouvait se faire qu'autant que le gouvernement serait ou tout gibelin ou tout guelfe; le mélange des deux factions était inconciliable avec l'unité d'un tel régime. Comme c'était sur la noblesse qu'un dictateur aurait à usurper, il fallait y faire concourir le peuple; aussi le caressait-on par avance. On avait déjà résolu d'adopter le nom de capitaine du peuple, et les nobles les plus fiers se seraient fait honneur de le porter. On supposait déjà qu'on pourrait au besoin donner aux populaires la satisfaction d'avoir un représentant de leur classe, une sorte de tribun, siégeant avec les capitaines en paraissant partager leur autorité. Tout cela semblait en quelque manière concerté; mais ce qui ne l'était pas sans doute, c'est que, soit timidité dans l'exécution de ce plan, soit ruse ou maladresse, les populaires prévalurent tellement qu'à l'essai un plébéien se trouva capitaine au désappointement des promoteurs de cette innovation.

      Quoi qu'il en soit, le nom d'une famille plébéienne occupera la première et la dernière page de ce livre; mais entre les deux il y a quatre-vingts ans pendant lesquels c'est la noblesse qui continue à prévaloir.

      Un podestat guelfe sortant de charge n'avait pas fait louer sa probité et ses moeurs (1257): c'est tout ce que les annalistes disent de lui. On avait déjà nommé son successeur. A l'arrivée de celui-ci, il y eut une émeute contre le précédent. A la faveur de ce soulèvement quelques nobles invitèrent le peuple à prendre les armes et crièrent qu'au lieu d'un podestat pris au dehors, il fallait à la république un capitaine choisi parmi les citoyens. Les populaires répondirent à l'appel avec empressement; mais ce fut pour tromper l'ambition de l'orgueilleuse noblesse qui les poussait. Ils s'assemblèrent tumultuairement et nommèrent par acclamation et à grand bruit Guillaume Boccanegra, capitaine du peuple et de la commune. On alla le chercher dans sa maison, on le porta en triomphe, on lui prêta serment avec enthousiasme.

      Le nom de la famille Boccanegra ne se trouve pas avant ce temps dans les fastes du consulat ou des conseils, ce qui prouve qu'elle n'avait pas compté parmi la noblesse. Sept ans avant cette élection, le peuple de Florence (1250) avait ôté le pouvoir aux nobles: les Milanais en firent autant en même temps que les Génois (1256). Le cours des idées inclinait vers la domination démocratique. Cependant la noblesse avait trop de force, de crédit et de richesses, sa puissance avait poussé des racines trop profondes pour qu'on ne dût pas prévoir une longue résistance de sa part et de fréquentes convulsions. Il est même évident que, pour consolider le pouvoir de Boccanegra, une transaction intervint. Une émeute l'avait porté au pouvoir sans conditions; le lendemain l'obéissance qu'on lui avait jurée fut expliquée et ratifiée avec des formes plus légales et plus réfléchies. Un parlement fut tenu; douze réformateurs, tous plébéiens de la classe intéressée à l'ordre par ses richesses, reçurent la puissance de donner à la république des lois organiques qui dureraient dix ans. L'État eut deux chefs apparents, un podestat, chef de justice, étranger, et le capitaine du peuple, celui-ci véritable recteur de la république. Tous deux présidaient ensemble les conseils. Le grand conseil qui, à ce qu'il paraît, devait tenir lieu des parlements, se composait d'abord des huit nobles chargés des finances, de trente anciens et de deux cents conseillers. Parmi ceux-ci comptèrent de droit les deux consuls de chaque métier ou profession au nombre de trente-trois, sept députés du territoire, deux des colonies: l'élection populaire désignait les autres sans distinction de condition, excepté quatorze pris exclusivement parmi les plus nobles, meilleurs et distingués: mais ceux-ci n'entraient au conseil que lorsqu'ils y étaient expressément appelés. On voit ici d'assez grands ménagements obtenus par la noblesse au milieu des marques de la méfiance populaire. Écartée de la place suprême, soumise à un chef plébéien, elle n'était pas encore déshéritée de toute part au gouvernement, et elle se tenait en mesure de faire valoir son influence.

      Le podestat, le capitaine, les huit nobles du trésor et les trente anciens composaient le petit conseil, véritable siège du gouvernement: ses résolutions sur la paix, sur la guerre et les traités, avaient seules besoin de la ratification du grand conseil. Le capitaine avait la représentation de la république, le pouvoir exécutif, l'initiative de toutes les propositions dans les conseils. Il nommait un juge civil et un juge criminel. Le podestat avait l'appel des causes civiles et la révision des sentences capitales.

      Le gouvernement, guelfe jusque-là, ne fut pas encore ouvertement déclaré gibelin, mais cette faction fit de grands progrès. Boccanegra était de ce parti et, comme nous l'avons observé, il eût été impossible que le pouvoir étant concentré dans une seule main, l'État fût censé d'une couleur et son chef d'une autre.

      Cependant le capitaine n'avait pas gouverné un an entier que l'on avait conspiré pour le renverser. Il profita de ce qu'on avait entrepris contre lui pour accroître son pouvoir et pour le rehausser par plus d'éclat. Il fit d'un palais près de Saint-Laurent le siège de son gouvernement et s'y fortifia aux frais de l'État. Il exigea un supplément à son traitement annuel, et ses adversaires prirent cette occasion de décrier auprès d'une nation économe une administration qui se rendait coûteuse. On se plaignait d'ailleurs de sa hauteur, mais le peuple était encore pour lui. Le capitaine accorda bientôt une amnistie aux ennemis qu'il avait bannis. Mais ce ne fut point une mesure de sa politique; ce fut une des bonnes oeuvres qu'inspira la dévotion bizarre et contagieuse des flagellants. Sur je ne sais quel miracle et à quelle voix divine, les habitants de Pérouse, les premiers, dépouillent leurs vêtements, se répandent dans la ville, courent d'église en église, criant miséricorde et se déchirant le sein à coups redoublés. Ce fanatisme gagna Rome, la Toscane, Gênes, ses rivières, la Provence. Partout, si l'on en croit les annales, il porta une abondante moisson de bons fruits. Il y eut à Gênes de nombreuses réconciliations. Le capitaine voulut faire la sienne avec ceux qu'il avait traités en ennemis.

      (1258-1264) Une dévotion si vive n'arrêtait pas la guerre acharnée entre Gênes et Venise. On expédiait en Syrie pour défendre ses établissements et pour ruiner ceux de l'ennemi. Une flotte génoise était parvenue à Tyr; les Vénitiens, qui l'avaient devancée dans Acre, en sortirent pour la bloquer. Les Génois, peu habitués à se laisser défier patiemment, mirent à la voile pour joindre leurs adversaires; mais ce fut en n'écoutant que leur impétuosité, sans ordre, sans s'attendre. Les premières galères qui s'étaient élancées se trouvèrent séparées; enveloppées, elles furent prises. Sur le bruit de cet échec, on fit partir de Gênes trente-trois galères et quatre grands vaisseaux sous les ordres de Rosso della Turca. Cette flotte se porta d'abord à Tyr, et ensuite devant Acre. Les Vénitiens, les Pisans, les Provençaux armèrent tous les combattants qu'ils purent solder et vinrent à la rencontre. Le combat fut sanglant; la fortune fut contraire aux Génois. Ils ne perdirent pas moins de vingt- cinq galères. Les messagers qui apportaient la nouvelle d'une trêve que les deux métropoles venaient de conclure assistèrent, en quelque sorte, à cette catastrophe. La colonie d'Acre subit les conséquences du désastre. Les Génois en sortirent, et Tyr devint leur seul refuge. La place qu'ils abandonnèrent fut occupée par leurs ennemis. Leur rue fut envahie, leurs tours renversées. Les Vénitiens et les Pisans en portèrent les matériaux dans leurs quartiers et se firent honneur d'en fortifier leurs propres édifices. Le consulat et la juridiction de Gênes furent abolis dans Acre. Les navires génois qui entraient dans le port devaient s'abstenir de déployer aucun pavillon1. Cependant, à leur tour les Vénitiens, passés au siège de Tyr, y avaient éprouvé un affront. Les réfugiés d'Acre les repoussèrent; sur mer ils leur enlevèrent de riches convois. On avait la guerre en Italie, on venait se la faire sur le rivage syrien; ce dont on s'occupait le moins c'était de l'assistance due à la cause commune chancelante sur la terre sainte.

      (1260) Malgré ces calamités, les autres relations


Скачать книгу