La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart

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      Et plus loin:

      «Cette question de la censure porte, en réalité, plus loin que la lettre qui la soulève. Mon désir n'est pas de faire l'apologie de la censure. J'ai voulu montrer qu'une presse et des rédacteurs qui ont du jugement, de l'équité, de l'éducation et le maniement de la langue, conservent une indépendance suffisante sous le régime de la censure.»

      «Donnez-moi une ligne de n'importe quel article, disait Machin, et je me fais fort de faire condamner son auteur!»

      Voici plus de trente lignes de Ray Nyst. Elles sont suffisantes pour juger de la neutralité de celui-ci. Et juger, c'est condamner!

       (L'Écho belge, 16 octobre 1915.)

      Le même M. Ray Nyst a publié dans La Belgique (de Bruxelles), en septembre 1915, une série d'articles engageant les ouvriers belges à se mettre au service de l'armée allemande. On a peine à croire qu'un Belge écrive proprio motu de pareilles énormités; aussi faisons-nous à M. Ray Nyst la générosité de supposer qu'il s'est laissé forcer la main.

      Nos ennemis ne se font d'ailleurs pas scrupule d'exiger l'insertion d'articles dans les journaux de tolérance. On ne peut pas douter, par exemple, que le dithyrambe à l'adresse du gouverneur militaire de Namur n'ait été imposé à L'Ami de l'Ordre, une feuille de Namur qui se vend aussi à Bruxelles.

       A quoi servent en Belgique les journaux embochés.

      LES HOMMAGES DE «L'AMI DE L'ORDRE» A SON EXCELLENCE VON HIRSCHBERG...

       L'Ami de l'Ordre qui continue à paraître à Namur sous le contrôle de l'autorité allemande a publié il y a quelques jours l'entrefilet suivant:

      «S. Exc. le baron von Hirschberg, gouverneur militaire de la position fortifiée et de la province de Namur, entre aujourd'hui dans sa soixante et unième année.

      «Notre situation réciproque ne nous permet pas de formuler à l'adresse du représentant de l'autorité occupante les félicitations et les voeux de circonstance, mais nous ne croyons manquer à aucun de nos devoirs, à aucune de nos convictions, en reconnaissant qu'il a apporté, dans l'exercice des hautes fonctions qu'il remplit ici depuis plus d'un an, de la bonne volonté, du tact, de la délicatesse. Sous son gouvernement, rares ont été dans notre région les incidents sensationnels qui ont ému d'autres provinces.

      «Nous souhaitons que finisse au plus tôt la situation actuelle, mais, tant qu'elle dure, nous espérons que M. le baron von Hirschberg continuera toujours dans l'avenir un régime de justice et de tolérance à notre ville et notre province qui ont tant souffert de l'horrible guerre mondiale.»

      Il faut lire et relire ce morceau pour en savourer l'indicible platitude. Que de mots charmants, que d'euphémismes délicieux! Son Excellence, notre situation réciproque, hautes fonctions, bonne volonté, tact, délicatesse, incidents sensationnels, régime de justice et de tolérance, tout est vraiment touchant dans ce chef-d'oeuvre où le nom de l'Allemagne n'est même pas prononcé.

      On se demande si on rêve quand on songe que le journal qui tresse ces couronnes au représentant du Kaiser paraît à Namur, à quelques pas des ruines amoncelées par les Boches, à quelques kilomètres de Dinant, d'Andenne, de Tamines, trois villes qui, à elles seules, ont vu massacrer plus d'un millier de civils inoffensifs, quand on se souvient que cette feuille doit sa fortune passée à un clergé dont une trentaine de membres ont été fusillés et plus de deux cents maltraités, au témoignage de leur évêque.

      Voilà ce qu'imprime L'Ami de l'Ordre imposé comme moniteur officiel à toutes les communes des provinces si horriblement ravagées de Namur et du Luxembourg.

      Reproduits dans la presse allemande, des articles comme celui-là serviront d'argument contre les malheureux du pays de Namur et contre tous les Belges. Car nous n'avons pas appris que Namur ait échappé à la nouvelle contribution mensuelle de 40 millions dont la Belgique a été frappée et nous avons d'autre part reproduit l'autre jour trois longues colonnes de condamnations infligées pour les motifs les plus futiles ou les plus patriotiques à une foule d'habitants du pays de Namur.

      Tout cela n'empêche pas les rédacteurs de L'Ami de l'Ordre de proclamer que le régime sous lequel vit la province de Namur est un régime de justice et de tolérance...

      Les rares journaux belges qui ont reparu sous la censure allemande ont prétendu se justifier en déclarant qu'ils étaient nécessaires pour réconforter la population et qu'ils n'écriraient jamais une ligne qui pût faire tort à la cause belge.

      On voit par l'exemple de L'Ami de l'Ordre—et il y en aurait bien d'autres à citer—comment les feuilles KK se conforment à ce programme. Si elles louent tant l'autorité allemande, c'est qu'elles ont besoin de sa protection contre l'indignation populaire. Nous ne sommes pas bien sûrs qu'elles souhaitent tant que cela «que finisse au plus tôt la situation actuelle»... (Le XXe Siècle, 30 janvier 1916.)

      Malgré la sévérité de la censure, des farceurs parviennent à introduire dans les journaux «belges» des articles dont les Allemands n'aperçoivent pas la signification. Voici un acrostiche qui fut glissé subrepticement dans L'Ami de l'Ordre:

       La Guerre.

      Ma soeur, vous souvient-il qu'aux jours de notre enfance,

       En lisant les hauts faits de l'histoire de France,

       Remplis d'admiration pour nos frères gaulois,

       Des généraux fameux nous vantions les exploits?

       En nos âmes d'enfants, les seuls noms des victoires

       Prenaient un sens mystique, évocateur de gloires;

       On ne rêvait qu'assauts et combats: à nos yeux

       Un général vainqueur était l'égal des dieux.

       Rien ne semblait ternir l'éclat de ces conquêtes;

       Les batailles prenaient des allures de fêtes,

       Et nous ne songions pas qu'aux hourras triomphants

       Se mêlaient les sanglots des mères, des enfants.

       Ah! nous la connaissons, hélas, l'horrible guerre,

       Le fléau qui punit les crimes de la terre,

       Le mot qui fait trembler les mères à genoux

       Et qui sème le deuil et la mort parmi nous.

       Mais où sont les lauriers que réserve l'Histoire

       A celui qui demain forcera la victoire?

       Nul ne les cueillera: les lauriers sont flétris;

       Seul un cyprès s'élève aux tombes de nos fils.

      (L'Ami de l'Ordre, 29 novembre 1914.)

      Les suites furent grotesques. Lisez l'avis affiché sur les ordres du doux baron von Hirschberg:

       Avis au public.

      L'Ami de l'Ordre, le seul journal qui ait reçu l'autorisation de paraître à Namur, a osé publier dans son édition du 29 novembre, à la première page et précisément à l'endroit réservé pour les communications de l'autorité allemande, un poème injurieux et outrageant pour la nation allemande.

      J'exprime mon indignation, et en présence de sentiments aussi vilains que lâches, j'ordonne:

      1° La publication du journal L'Ami de l'Ordre est suspendue;

      2° Le numéro visé doit être détruit; quiconque sera trouvé en possession d'un exemplaire sera poursuivi;

      3° Le directeur et le rédacteur sont arrêtés;

      4° Des poursuites judiciaires sont introduites; les coupables subiront les peines les plus sévères, conformément aux lois martiales;

      5° Il est défendu, jusqu'à une date ultérieure, de répandre


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