La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart

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vous ont trahis et vendus. Ce sont de mauvais génies. C'est au roi Albert que vous devez cela. Pourquoi n'a-t-il pas laissé passer les Allemands? Léopold aurait arrangé cela autrement. N'ayez aucune crainte, les Allemands ne font de mal à personne, à moins que ce ne soit juste.

      Mes amitiés chez vous.

       2. Les imprimés allemands vendus en Belgique.

      Plus personne au monde ne doute de la valeur documentaire des journaux d'outre-Rhin: on les sait sous la coupe de leur censure, ce qui est tout dire. Pourtant, un point qu'on ignore généralement, c'est que certaines de ces feuilles publient deux numéros différents: l'un pour le front orienta], l'autre pour le front occidental. La Libre Belgique a reproduit en fac-similé les en-têtes des deux numéros du 14 juillet 1915 (édition du soir) de Düsseldorfer General Anzeiger.

       Les procédés de leur presse.

      Même date, même édition (Abend-Ausgabe). Les deuxième, troisième et quatrième pages des deux numéros sont identiques. Seule, la première page diffère suivant le public auquel le journal est destiné.

      Le numéro à envoyer au front de l'Ouest porte en manchette: «La Russie mûrit pour la paix». Il contient des nouvelles sur la Russie que l'autre ne reproduit pas.

      Le numéro destiné au front russe porte: «Nouvelle avance allemande en Argonne».

      * * *

      C'est par une erreur de la poste qu'un ballot de la seconde espèce est venu s'égarer en Belgique.

      (La Libre Belgique, n° 41, août 1915, p. 4.)

      Nous donnons en fac-similé (pl. XIV) les deux numéros 314 du 19 juillet 1915 (édition du soir). Qu'on ne s'y trompe pas. Il s'agit bien réellement de numéros distincts (tout au moins par leur première page), et non, comme on pourrait le supposer, de numéros qui seraient simplement antidatés pour l'un des fronts. Nous avons pu nous assurer que les articles Friedenspropaganda in England et Der Bergarbeiterstreik in Wales figurant à la page 1 du numéro 314 envoyé au front russe, n'ont jamais paru dans ceux qu'on vendait en Belgique.

      Les bibliothèques des gares et les aubettes sur toutes les places de Bruxelles nous offrent aussi des illustrés. Les deux plus connus sont Die Woche et Berliner Illustrirte Zeitung. Les photos reproduites sur les planches XI et XII indiquent quel genre de renseignements ils nous fournissent.

      Die Woche nous montre, par exemple, les incendies allumés par l'armée allemande à Liège (pl. Xl) Nous avons appris ainsi que, le 20 août 1914, il y avait quatre cents étudiants russes, armés de fusils, qui tiraient des maisons situées en face de l'Université, alors que celle-ci était occupée par les troupes allemandes. Quelle stupidité, n'est-ce pas, de la part de ces étudiants! Il est vrai que plus tard l'Allemagne a dû officiellement reconnaître que ces quatre cents francs-tireurs avaient été inventés pour les besoins de la cause. En effet, aucun Russe ne figure sur la liste des fusillés de Liège, preuve qu'ils ne purent être le moins du monde suspectés d'avoir pris part à la simili-agression de francs-tireurs. Mieux encore: quelques jours plus tard, l'affiche suivante fut placardée en ville (nous la copions dans G. SOMVILLE, Vers Liège: le chemin du crime, août 1914, p. 272):

      Six cents étudiants russes qui, jusqu'ici, ont été à la charge de la population de Liège, à laquelle ils ont fait beaucoup de difficultés, ont été arrêtés et renvoyés par moi.

       Le Général-Lieutenant Gouverneur.

      Si ces étudiants avaient pu être accusés d'avoir tiré contre les troupes allemandes, l'affiche l'aurait constaté en grandes lettres, et ils ne s'en seraient pas tirés avec un internement dans le camp de Münster.

      Le même journal nous a appris, à nous Bruxellois, que des otages avaient été pris à Woluwe (pl. XI), une localité suburbaine d'où chaque matin les laitières viennent en ville avec leurs charrettes à chiens. Elles ne nous avaient jamais rien dit de semblable!

      Si les pauvres paysans, fuyant leurs villages décimés et incendiés, ne nous avaient pas dépeint la férocité des soldats allemands, Berliner Illustrirte Zeitung, dans le tout premier numéro qui fut vendu à Bruxelles, nous aurait édifiés (pl. XII). Il nous faisait voir en effet les femmes d'un village emmenées prisonnières. Les hommes étaient-ils déjà fusillés?

      Après avoir massacré plus de cinq mille de nos compatriotes et après avoir brûlé vingt-six mille maisons, sous prétexte que les Belges avaient organisé des bandes de francs-tireurs, l'Allemagne a pris soin de nous mettre sous les yeux la façon dont ses alliés austro-hongrois s'y prennent pour armer les paysans ruthènes. Berliner Illustrirte Zeitung du 16 mai 1915 publie le portrait d'un officier donnant des instructions à un paysan armé (pl. XII). Les Kulturés peuvent faire cela!

      À côté du cynisme, mentionnons le ridicule. Dans ce domaine, la palme ne peut pas être raisonnablement disputée à Illustrierter Kriegskurier, un journal semi-officiel dont les seize pages ne coûtent que cinq centimes; les explications sont données en allemand, flamand et français. Un seul exemple suffira. Son numéro 3 donne trois figures représentant «L'entrée de la division de marins allemands à Anvers». A peine le journal fut-il mis en vente que tout Bruxelles éclata de rire; on allait, l'illustré en main, se poster au coin de la rue de la Loi et de la rue Royale, pour montrer aux passants que c'était là, et non à Anvers, que les photos avaient été prises.

      Les échoppes allemandes vendent également des livres. Ce sont d'abord des récits de guerre, par exemple les ouvrages de F. von Zobeltitz, P. Höcker, v. Gottberg, H. Osman, W. v. Trotha, etc. Puis des livres de propagande: Die Eroberang Belgiens; Lüttich; Antwerpen, etc.

      Le trait suivant montre combien ces ouvrages sont véridiques:

      Un éditeur de Leipzig a publié dernièrement un ouvrage dans lequel étaient reproduites et amplifiées les grossières accusations d'atrocités dirigées contre notre pays, dès l'origine du conflit, par la presse teutonne. Un chapitre spécial de cette publication était consacré à la ville d'Anvers. On y accusait la population de s'être livrée à des sévices graves, d'avoir jeté des femmes et des enfants par les fenêtres, etc. On ajoutait même ce détail précis qu'à l'avenue De Keyser on n'avait pas relevé moins de trente cadavres allemands!

      Justement émue de la publicité donnée à de tels racontars et désireuse en même temps de clouer une bonne fois les calomniateurs de la Belgique, la ville d'Anvers avait décidé d'intenter un procès, en 100.000 francs de dommages et intérêts, à l'éditeur du libelle.

      Mais l'autorité allemande veillait... Avertie des intentions de la ville et craignant le retentissement que les débats d'un pareil procès, où serait prise sur le vif la bassesse des procédés chers aux calomniateurs d'outre-Rhin, ne manquerait pas d'avoir à l'étranger, elle a adressé à l'Administration communale de la métropole une lettre par laquelle elle lui interdit, pour des raisons politiques, de faire le procès.

      On ne saurait reconnaître ses torts avec plus d'étourderie et d'ingénuité.

      (La Libre Belgique, n° 80, d'après Le Courrier de l'Armée, n° 229, 3 août 1916.)

      On vend aussi en Belgique des réponses allemandes, mais en français, à des livres que nous ne pouvons obtenir que par fraude, par exemple ceux de M. Waxweiler (voir p. 5 et 8) et de Mgr Baudrillart (voir p. 39).

       La Belgique coupable.

      Sous ce


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