La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart

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malgré tous les obstacles. Disons maintenant de quelle manière l'autorité occupante entend renseigner nos populations.

      La documentation mise à notre disposition peut être classée en quatre groupes:

      1° Les informations gratuites fournies par l'autorité allemande et par les particuliers;

      2° Les imprimés d'origine allemande qu'on peut acheter en Belgique;

      3° Les journaux et brochures, prétendument belges, soumis à la censure;

      4° Les journaux hollandais tolérés par la censure.

       1. Informations gratuites.

      Il y a d'abord les affiches officielles, rédigées premièrement en allemand, français et flamand, mais depuis octobre 1914 en allemand, flamand et français. Elles sont censées nous tenir au courant des opérations militaires. Voici un article de La Vérité qui ne laisse aucun doute sur leur sincérité:

       L'arsenal du mensonge.

      Il est vraiment criminel de tromper la population belge en répandant de fausses nouvelles. LE GOUVERNEUR GÉNÉRAL.

      Dans toute la machine militaire allemande, que les Alliés démolissent pièce par pièce, l'organe qui marche encore le mieux est l'arsenal du mensonge, établi à Berlin, avec succursale à Vienne.

      Voulez-vous prendre sur le vif leur système d'informations truquées? Passez rue de la Chancellerie, près de Sainte-Gudule, à Bruxelles, ou bien rue des Paroissiens, à deux pas de là. C'est dans mon quartier; tous les jours je revois une vieille affiche qui fut placardée le 15 septembre et s'exprime en ces termes: «Berlin, 14 septembre (officiel).—Sur le théâtre de la guerre à l'ouest (France), ont lieu des opérations dont les détails ne peuvent encore être publiés et qui ont conduit à une bataille qui est favorable pour nous. Toutes les nouvelles répandues à ce sujet, par tous les moyens, par l'ennemi, et qui présentent la situation comme défavorable pour nous, sont fausses.» Or, cette bataille, engagée dix jours auparavant, est la grande victoire française de la Marne qui arrêta définitivement l'invasion18. Berlin savait alors la vérité et publiait le mensonge! A tout bulletin victorieux de Berlin, rappelons-nous la dépêche officielle du 14 septembre, où il y a autant de faussetés que de mots et où la partie adverse est accusée de répandre des mensonges. Toute la méthode germanique se trouve là!

      18 [ Cette défaite, que les Allemands n'ont jamais déclarée, leur coûta, outre leurs morts et blessés, 65.000 prisonniers, 345 canons et plus de 3.000 véhicules avec 5.000 chevaux. La bataille dura du 6 au 12 septembre, entre 1.500.000 Allemands et 1.250.000 Français renforcés de 60.000 Anglais.]

      Autre exemple: Si l'on se reporte aux informations que l'ennemi répandait dans la seconde moitié d'octobre, l'armée belge, décimée, disloquée, était en train de se reformer dans le nord de la France. Or, les Belges accomplissaient alors, de Nieuport à Dixmude, des exploits admirables: ils occupaient l'Yser, face à une armée supérieure en nombre d'hommes et de canons, combattaient jours et nuits et infligeaient aux Barbares une défaite décisive! Nous en racontons plus loin un épisode. Eh bien! il a fallu de longs mois pour que la vérité se fît sur ces journées glorieuses de notre campagne, dont les mensonges berlinois étaient parvenus à nous cacher le vif éclat!

      Ce n'est pas tout. Récemment, l'affiche allemande nous manda la destruction d'un dirigeable italien. Mais ni l'affiche ni les journaux bruxellois sortant de Prusse ne soufflèrent mot de la destruction de deux zeppelins, l'un à Evere-lez-Bruxelles, l'autre à Saint-Amand-lez-Gand, pertes subies trois jours plus tôt!

      Le 10 juin, Berlin avoua que ses troupes ont «abandonné» (hum!) les dernières maisons de Neuville, «qui est en possession des Français depuis le 9 mai». Or, cette conquête, accomplie depuis un mois plein, Berlin avait omis de nous en informer jusque-là! Au contraire, Berlin n'avait cessé de nous dire que l'offensive au nord d'Arras n'obtenait aucun succès!

      Voilà quelques exemples typiques de la méthode d'information en usage à Berlin: 1) on dément une grande victoire des Français en les accusant de falsifier le vrai; 2) on déclare inexistante l'armée belge au moment même où elle fait une résistance invincible; 3) on passe sous silence des faits défavorables, dont des milliers de Belges furent les témoins réjouis; 4) on met un mois à avouer un échec, après l'avoir attribué à l'adversaire...

      Il existe un «Bureau pour la diffusion des nouvelles allemandes à l'étranger», dont le siège se trouve à Dusseldorf. Il a installé chez nous des édicules où chacun peut lire le titre de l'officine: Büro zur Verbreitung von deutschen Nachrichten im Auslande. Avec un pareil organisme, et l'officielle Agence Wolff—sans oublier la presse à tout faire—nous sommes bourrés de mensonges et de notes tendancieuses...

      Les concitoyens de Manneken-Pis crachent sur ces saletés—et la Belgique entière en fait autant.

      (La Vérité, n° 6, p. 1, 21 juin 1915.)

      Les renseignements relatifs aux combats de Champagne, en février 1915, sont du même acabit, ainsi que nous l'apprend l'extrait suivant d'un article de La Libre Belgique:

       Les mensonges allemands.

      Sur de grandes affiches bleues, placardées sur les murs de la ville, et relatives aux combats qui se sont livrés en Champagne, les Allemands avaient souligné, notamment, que deux faibles divisions rhénanes luttèrent contre six corps d'armée français. Or, voici ce que nous apprend le communiqué officiel français: «Les opérations militaires en Champagne ont eu pour résultat, depuis le 16 février, de nous faire avancer sur un front de 7 kilomètres et une profondeur de 2km 500.»

      «L'ennemi employa quatre à cinq corps d'armée et demi. Dix mille cadavres ont été trouvés sur le champ de bataille, et nous avons fait deux mille prisonniers.»

      D'après ce même communiqué, les deux faibles divisions rhénanes!!... étaient composées de 119 bataillons, 31 escadrons, 64 batteries de campagne et 20 batteries lourdes. Jusqu'au 3 mars, les Allemands ont encore amené 20 bataillons, parmi lesquels 6 bataillons de la Garde, 1 régiment d'artillerie de campagne et 2 batteries lourdes.

      (La Libre Belgique, n° 9, mars 1915, p. 4, col. I.)

      Où les nouvelles officielles allemandes atteignirent le summum de la véracité, ce fut lors des attaques d'octobre et novembre, 1914 dans la région d'Ypres. La Soupe se donna le plaisir de copier textuellement les affiches allemandes et de les publier19.

      19 [ Voir Comment les Belges résistent..., p. 222, 223.]

      Ces affiches officielles ne se contentent pas de nous combler de nouvelles authentiques sur les opérations militaires. Elles prennent également soin de nous informer de l'opinion publique à l'étranger. Que ces coupures de journaux sont sincères, il est à peine besoin de le dire.. Donnons-en un seul exemple, celui de la toute première affiche qui nous intéresse directement.

      Jusqu'au 13 septembre 1914, les affiches placardées à Bruxelles n'avaient résumé que des articles de journaux au sujet de la France et de l'Angleterre. Le 14 septembre, nous pûmes lire deux extraits relatifs à notre pays:

       Nouvelles publiées par le Gouvernement allemand.

      Cologne, 12 septembre.

      La Gazette de Cologne ayant reproduit dans son numéro de jeudi un article du Corriere della Sera d'après lequel le cardinal belge Mgr Mercier se serait prononcé défavorablement sur les Allemands, en les qualifiant de barbares, le cardinal von Hartmann, archevêque de Cologne, écrit à la Gazette de


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