La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart
succès des troupes ennemies; insérer des articles imposés par les bureaux prussiens et reproduire les bulletins des Alliés tels que ceux-ci sortent des tripatouillages berlinois; critiquer des initiatives belges parce que ce sont les seules que la censure aime à voir dénigrer; ne pas mettre au pilori les massacres de Visé, Dolhain, Liège, Aerschot, Diest, Louvain, Dinant, Tamines, Termonde, etc., mais s'indigner des petits abus à charge de Belges appauvris; signaler avec complaisance les organisations de l'ennemi et rester muet devant ses exactions, c'est s'aplatir, c'est fouler aux pieds toute fierté, c'est donner sa veulerie en exemple et c'est servir les intérêts de l'agression germanique.
Le journalisme muselé aggrave son cas en gagnant beaucoup d'argent. Un journal veule et cupide ne peut trouver des lecteurs que parmi les gens sans grandeur morale.
A ces organes domestiqués s'oppose une autre presse d'occasion; celle-ci répudie tout contact avec l'ennemi, dénonce ses crimes, entretient l'esprit d'insoumission si admirable des populations. Des publications telles que La Vérité ou La Libre Belgique ne se vendent pas et ne font pas d'annonces. Au contraire, il s'agit d'y mettre de l'argent et il n'y a d'autre chose à récolter que des années de prison, si l'on se fait prendre...
Un tel organe ne dispose, pour se répandre, ni des trains, ni des automobiles des Prussiens! C'est pourquoi nos lecteurs sont priés, avec la plus vive insistance, d'y mettre du leur, de faire circuler ces pages jusque dans les provinces. Il y a un risque? Tant mieux! L'action en devient plus méritoire. Le pays est infesté de journaux émasculés. Que l'on prenne aussi des copies, à la main ou à la machine, des articles que l'on juge bons à répandre. Ainsi, la présente publication, petite, mais fière, pauvre, mais inasservie, pourra déjouer les manoeuvres des agents de l'Allemagne et apporter du réconfort à ceux qui n'ont d'autres sources d'information que les affiches berlinoises et les feuilles censurées, où les textes sont dénaturés de façon à distiller au jour le jour de l'ennui et du mensonge, de la platitude et de la désespérance. A la longue, cette veulerie et cette perfidie pourraient déprimer certains de nos compatriotes: c'est pour eux que La Vérité sort de son puits!
(La Vérité, n° 1, 2 mai 1915, p. 1.)
Merci à tous.
Nous savons que des articles de La Vérité, reproduits à la machine à écrire, circulent en province. Nous savons que des lectures en sont organisées, entre amis. Que cela continue, se multiplie et se généralise!
(La Vérité, n° 3, 20 mai 1915, p. 13.)
Un peu d'indulgence, s'il vous plaît.
Quelques lecteurs se sont plaints de l'odeur désagréable qu'avaient certains de nos journaux; qu'ils veuillent bien nous excuser, mais ils doivent comprendre qu'en temps de guerre on ne peut pas toujours choisir ses compagnons de voyage. Aussi La Libre Belgique s'est vue forcée de voyager avec des harengs saurs, des fromages de Herve et du carbure de calcium. Nous prions nos lecteurs d'avoir pour La Libre Belgique la même indulgence qu'ils se voient forcés d'avoir momentanément pour certains voisins de tram. Toutefois le printemps est là, aussi nous ferons l'impossible pour donner à La Libre Belgique le parfum de la rose ou de la violette.
Le présent numéro paraît en retard; voici l'explication: Nous avons dû le réimprimer. La Libre Belgique a rencontré l'ennemi, elle s'est jetée à l'eau pour se sauver à la nage et elle s'est noyée.
Requiescat in pace!
(La Libre Belgique, n° 10, mars 1915, p. 1, col. 1.)
Prière de faire circuler ce bulletin.
Nos lecteurs n'auront pas été sans remarquer notre insistance à leur répéter cet avis. Comme la prudence ne nous permet pas d'augmenter notre tirage autant que nos amis le désireraient, vu la difficulté d'introduire dans la capitale des colis trop volumineux, nous avons compté, dès le premier jour, sur le patriotisme de nos «abonnés» pour nous aider dans notre tâche. Que chacun des exemplaires de notre petite feuille passe de main en main. Qu'importe si le propriétaire la voit revenir un peu souillée, un peu déchirée; qu'importe même s'il ne la voit pas revenir du tout. Il se consolera en se disant qu'elle fait du chemin puisqu'elle a peine à retrouver sa route. Elle aura donc ainsi atteint le but cherché par ses éditeurs.
Cent exemplaires doivent représenter au moins mille lecteurs.
Or, comme nous tirons... chut! taisons-nous, les Boches ne doivent pas le savoir.
(La Libre Belgique, n° 21, mai 1915, p. l, col. 1.)
Par suite d'un accident de machine, notre service a été un peu désorganisé la semaine dernière; nous n'avons pu faire qu'une réparation provisoire, et, s'il arrivait quelques retards dans l'apparition du journal, nos lecteurs voudront bien nous excuser.
Nous profitons de l'occasion pour remercier nos concitoyens pour toutes les marques de sympathie dont nous avons entendu les échos et qui nous étaient adressées à l'occasion de notre soi-disant arrestation.
Avis important à nos lecteurs et propagandistes.
L'existence de notre publication et la liberté de ceux qui s'en occupent dépendent avant tout de la discrétion de ceux qui la reçoivent et la propagent. La curiosité, même la plus bienveillante, peut être aussi dangereuse et aussi malfaisante que la délation coupable qui est naturellement encouragée par nos pires ennemis. Nous prions donc INSTAMMENT les vrais Belges, auxquels seuls notre bulletin est consacré, de respecter l'anonymat des auteurs de La Libre Belgique et de s'abstenir du moindre effort pour le connaître. Cette curiosité seule peut devenir une trahison et avoir des résultats très graves, dont le moindre serait la mort anticipée de La Libre Belgique.
(La Libre Belgique, n° 29, juin 1915, p. 1, col. 1.)
Avis à nos lecteurs.
S'ils reçoivent la visite d'un honorable ecclésiastique qui voudra leur parler de La Libre Belgique, du bien que fait ce journal, etc., ils sont priés de prendre poliment par le bras ce Boche ensoutané et de le mettre à la porte, sans plus.
Toutefois, à ceux qui croiraient devoir agrémenter cette mise au dehors d'un maître coup de pied à l'endroit vulgairement dénommé «le Prussien», libre à eux. Ce serait mérité, sinon méritoire.
LA RÉDACTION.
(La Libre Belgique, n° 31, juin 1915, p. 1, col. 1.)
A son Excellence le Baron von Bissing, gouverneur allemand.
EXCELLENCE,
Vous nous comblez d'attentions. Vos agents secrets et publics multiplient les perquisitions à la recherche de La Libre Belgique. Vous avez même mobilisé, dit-on, une brigade spéciale de détectives venus de Berlin pour en découvrir les rédacteurs, les éditeurs, distributeurs, reporters, etc.
Vous perdez votre temps et vous gaspillez votre argent bien inutilement. Il est vrai que vous avez déjà plus d'une fois mis la main sur un paquet d'exemplaires du journal qui fait votre cauchemar et que vous avez frappé d'amendes sévères ceux qui en étaient détenteurs. Mais La Libre Belgique a continué à paraître aussi... irrégulièrement que par le passé et son tirage n'a cessé de monter... régulièrement après chacune de vos expéditions.
Vous savez d'ailleurs fort bien, Excellence, que, si certaines de ces expéditions ont abouti plus ou moins glorieusement, d'autres ont couvert de ridicule vos agents et leurs chefs. Encore une fois, vous perdez votre temps, cher Baron, et les bénéfices de vos saisies et de vos confiscations ne vous paieront pas des peines que vous vous donnez et ne compenseront pas le ridicule de votre insuccès.
Plus vous vous obstinerez, plus notre propagande s'étendra. Notre imprimerie automobile, grâce à votre obligeance bien connue, se transporte d'un point à l'autre