La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart

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      15 [ On peut se demander qui est cet inconnu. Était-ce peut-être un agent provocateur? Ne pas oublier qu'à Liège même, en décembre 1914, de nombreuses personnes ont été condamnées parce que des mouchards allemands avaient déposé dans leur boîte aux lettres Le Courrier de la Meuse, de Maestricht. (Note de J.M.)]

      M. Quaden fut arrêté comme responsable, bien qu'innocent, et condamné.

      (Le Courrier de l'Armée, n° 245, 30 mars 1916, p. 4, col. 1.)

      Plus tard, en juin 1916, M. Préherbu, juge de paix de Schaerbeek, a été suspendu de ses fonctions, pour avoir été trouvé détenteur du numéro du journal exécré.

      Deux remarques au sujet de ces arrêtés:

      a) Dans le domaine, essentiellement civil, des délits de presse, ce sont les autorités militaires ou les tribunaux militaires qui sont seuls compétents et qui condamnent «conformément à la loi martiale»16; cela signifie qu'il n'y a ni publicité des débats ni recours contre les jugements. Oh! «le respect des lois en vigueur dans le pays» exigé par l'article 43 du règlement annexé à la Convention de La Haye, un chiffon de papier qui est en partie l'oeuvre des juristes allemands et qui porte leur signature.

      16 [ Il ne faut pas trop s'étonner de ce que les tribunaux militaires jugent les délits de presse; à Anvers, c'est devant les tribunaux militaires que comparaissent les restaurateurs coupables d'avoir servi à leurs clients des pommes de terre épluchées d'avance!]

      b) Chaque nouvel arrêté commine des peines plus fortes. Singulière psychologie! Ils croient donc que les Belges qui n'ont pas été effrayés par six mois de prison reculeront devant cinq années! A comparer avec la prime offerte, dit-on, à celui qui ferait connaître les auteurs de La Libre Belgique: 5.000 francs, puis 25.000 francs, puis 75.000 francs.

      En province, les mêmes mesures sont prises contre les écrits non censurés. Qu'il nous suffise de rappeler quelques arrêtés, déjà reproduits dans Comment les Belges résistent... page 6 (à Spa), page 7 (à Louvain), page 8 (à Namur), page 17 (à Anvers).

      Nous ne résistons pas au désir de réimprimer ici la joyeuse affiche placardée à Liège, le 10 septembre 1915, en pleine bataille de la Marne.

       A la population de Liège et de ses environs.

      Vu les succès croissants des troupes allemandes, on ne comprend pas que le peuple de Liège soit toujours assez crédule pour croire les nouvelles frivoles et absurdes répandues par les fabriques de mensonges installées à Liège. Ceux qui s'occupent de propager de telles nouvelles s'exposent à être rigoureusement punis. Ils jouent un jeu dangereux en abusant de la crédulité de leurs concitoyens et en les engageant à des actes irréfléchis. La population raisonnable de Liège s'opposera d'elle-même à toutes les tentatives de la sorte!

      Autrement elle s'expose non seulement aux désillusions les plus graves, mais encore à être ridiculisée aux yeux du monde intelligent.

      VON KOLEWE,

       Lieutenant général et Gouverneur allemand de la place de Liège.

      Défense d'arracher ce placard ou de coller un autre dessus.

       5. Le supplément aérien de «La Libre Belgique».

      Depuis le printemps 1916, les Belges utilisent un nouveau moyen de transport de publications prohibées: l'avion.

      De petites feuilles «volantes» (Le Clairon du Roi, supplément aérien de La Libre Belgique) sont imprimées à l'étranger et lancées sur les villes belges par nos aviateurs. Elles donnent chaque mois, en français et en flamand, des nouvelles de la guerre. Inutile de dire que les Allemands font tout au monde pour empêcher nos compatriotes de saisir et de propager ces communiqués. Ainsi, l'aéroplane qui survola, à la fin de juin 1916, la région d'Anvers et de Saint-Nicolas, avait semé des quantités de petits papiers; pendant plusieurs jours des patrouilles de cavalerie parcoururent le pays, arrêtant et fouillant tous ceux qu'on pouvait soupçonner de transporter des journaux tombés du ciel.

      Le mercredi 6 septembre 1916, le lieutenant C... et l'adjudant M... versèrent une pluie bienfaisante de suppléments aériens de La Libre Belgique sur les promeneurs de la Porte de Namur et de la Grand'Place, à Bruxelles.

      A la suite de cette visite, les habitants des boulevards voisins de la Porte de Namur ont été punis: ils doivent être rentrés à 20h 30 et rester chez eux sans lumière. Comme cette perspective pourrait ne pas être suffisamment désagréable pour empêcher les Bruxellois d'aller ramasser les papiers distribués par les aviateurs, les Allemands ont imaginé un système plus radical: ils lancent contre les aéroplanes des shrapnells qui n'éclatent pas en l'air, mais au moment où ils retombent près du sol. Beaucoup de curieux ont été tués et blessés de cette manière lors du raid du 27 septembre 1916.

       6. Les simili-prohibés.

      Voyant que ni l'intimidation brutale ni la corruption n'empêchaient nos compatriotes d'acheter les journaux étrangers et de répandre des journaux clandestins, l'autorité allemande employa notre propre arme: elle fit imprimer des simili-prohibés.

      Dès le mois de janvier 1915, circulait à Bruxelles un pamphlet insultant les autorités civiles d'Anvers à l'occasion de l'entrée des troupes allemandes dans la ville. Cette affaire n'est pas encore tirée au clair, et la preuve de la complicité allemande n'est pas faite; mais tout au moins les Allemands ont-ils avoué, par l'organe de M. le baron von Bissing fils, professeur à l'université de Munich, qu'ils se sont efforcés de profiter des dissensions qu'on avait essayé de semer17.

      17 [ Voir Belgien unter deutscher Verwaltung, dans Süddeutsche Monatshefte, avril 1915 (p. 31 du tiré à part), traduit dans: Comment les Belges résistent..., p. 414, note 3.]

      A la fin de juillet 1915, on vendait à Bruxelles une «proclamation du roi Albert à l'occasion de la fête nationale du 21 juillet». C'était un tissu d'inepties entremêlées de quelques attaques venimeuses contre les Alliés. La pseudo-proclamation fut reprise par la presse allemande. La fraude était tellement grossière que nous n'avons pas eu besoin de la note du n° 42 de La Libre Belgique pour la percer à jour.

      Leur plus belle invention fut de publier un journal, Le Fouet, qu'on distribue en cachette. A côté de plaisanteries niaises sur «Bête-man, Chandelier de l'Empire», le n° 1 attaque vivement le «gouvernement clérical» de la Belgique et les «flamingants». Ceci est une marque de fabrique indiscutable, car il n'y a pas un seul Belge qui n'ait oublié aujourd'hui nos querelles intestines.

      A diverses reprises on a vendu à Bruxelles des contre-façons de feuilles étrangères, soit de journaux de Dunkerque, soit de journaux publiés par des Belges en Néerlande. Ces sosies se vendaient 50 centimes à 1 franc, alors que les journaux authentiques coûtaient au moins le double. Ils présentaient cette particularité d'annoncer des victoires étourdissantes des Alliés. Étaient-ils l'oeuvre de quelque imprimeur désireux de gagner de l'argent, ou doit-on y voir la main des Allemands? c'est difficile à dire. Toutefois, rappelons-nous que, pendant le siège de Paris, Bismarck prit soin de faire parvenir de temps en temps aux Parisiens de faux journaux relatant de prétendues victoires françaises; il savait que rien ne conduit plus sûrement une population au désespoir que les illusions déçues:

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