La Presse Clandestine dans la Belgique Occupée. Jean Massart

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et nous commandait d'héroïques sacrifices, comment peut-on maintenant encore parler de se «battre pour l'étranger», maintenant que tout le pays est envahi et que, sauf sur quelques arpents de terre, l'envahisseur barbare nous opprime et nous prive de toute liberté? Oui, nos soldats se battent pour leur pays, mais comme ce qui doublait leur force et leur courage aux premiers mois de la lutte c'était le sentiment de l'honneur à garder intact et de l'injustice à venger, ce qui les anime à l'heure actuelle c'est un sentiment aussi noble que celui-là et plus noble si possible que le patriotisme, c'est la conviction qu'ils servent, avec les peuples dont ils sont les Alliés, la cause sublime du Droit et de la Civilisation.

      Répétons encore ce que nous avons déjà dit: il n'y a plus ni Belges, ni Français, ni Anglais, ni Russes, ni Serbes, ni Italiens; il n'y a plus que des Alliés. Les Belges qui se sont incorporés dans les contingents canadiens ou australiens, ceux qui sont au service de l'armée anglaise ou française, ceux qui travaillent dans les usines de munitions, ceux qui ont voulu prendre part à l'expédition dans les Dardanelles, l'ont bien compris. Ils ont compris que, sans ces alliés, il y a longtemps que notre pauvre pays eût été écrasé. Quant aux promesses faites par l'Allemagne dans son ultimatum, nul ne voudrait avoir la honte même d'y songer. On ne discute pas avec l'honneur; il commande, on obéit.

      LIBER,

       (La Libre Belgique, n° 35, juillet 1915, p. 3, col. 1.)

      Craignant que les affiches ne suffisent pas à nous convaincre, l'Allemagne nous éclaire encore gratuitement de trois autres façons.

      a) Le Gouvernement impérial fait distribuer des fascicules, en allemand, flamand et français, imprimés à Bruxelles sur les presses du Moniteur belge, entre autres: Conventions anglo-belges et le Discours du chancelier à la séance du Reichstag, le 2 décembre 1914.

      b) Il n'y a pas que les publications officielles. Plusieurs organismes d'outre-Rhin éditent en plusieurs langues des feuillets de propagande qui sont glissés dans les lettres d'affaires. Les maisons belges ont surtout reçu des feuillets en français de Bureau des deutschen Handelstages, Berlin et de Kriegs-Ausschuss der deutschen Industrie, Berlin. Dans la plupart de ceux qui nous ont été envoyés pendant les douze premiers mois de la guerre, il était question de la violation de la neutralité belge et de l'incendie de Louvain. On voit tout de suite où le bât les blesse.

      c) Enfin, il n'est pas un Belge ayant en Allemagne des relations de famille, ou simplement d'affaires, qui ne reçoive de nombreuses lettres destinées à apporter la conviction dans son esprit. Toutes ces missives répètent les mêmes choses, comme une leçon apprise; mais précisément afin d'effacer toute suspicion sur ce point, les correspondants ont soin d'indiquer qu'ils expriment leur sentiment personnel:

      Leczyza, 8 janvier 1915.

      Cher R...,

      Quel changement depuis que nous nous sommes vus la dernière fois! Les Allemands en Belgique; moi, comme soldat, en Pologne! Comment te trouves-tu sous la domination allemande? J'espère que tu te plais sous le nouveau régime. Nous sommes certains de vaincre et que la Belgique restera allemande...

      Cher R., écris-moi vite à l'adresse ci-dessus. Je me réjouirais tant de recevoir de bonnes nouvelles. Quel dommage que ton pauvre et beau pays ait tant souffert de la guerre! Louvain, Malines, Anvers, Bruges, ont tant souffert, dommage! Si la Belgique avait suivi l'exemple du Luxembourg! J'espère que tu vas bien ainsi que tes chers parents.

       Lettre d'une nièce allemande à son oncle belge.

      31 décembre 1914.

      Cette année néfaste touche à sa fin et espérons que la nouvelle rétablira la paix; à toi aussi, à Jeanne et à tes petits enfants, mon mari et moi souhaitons toutes sortes de bonheur dans l'année à venir. Vous ne sauriez croire combien nous autres Allemands nous plaignons la pauvre Belgique, et les Belges verront bien aussi maintenant quelle faute ils ont commise en se rendant tributaires de l'Angleterre. Si la Belgique fût restée l'amie de l'Allemagne, il ne lui serait pas arrivé le moindre mal. Et le sort épouvantable qui lui est échu en partage, elle le doit à la collaboration brutale du peuple et même des femmes et des enfants à la guerre.

      De cela nous avons nombre de preuves (nous-mêmes) par les récits des officiers et soldats allemands. Comme les Bruxellois sont sages en restant tranquilles. Nous espérons que cet état de choses restera tel.

      Un soldat qui a été en quartier chez nous nous écrit de Staden, aux environs du canal de l'Yser, que le peuple belge ne désire pas le retour des Français ni des Anglais, car ceux-ci s'y sont conduits d'une façon indiciblement honteuse.

      Ils ne reviendront pas, car l'Allemagne est invincible et vous ne sauriez vous figurer combien de réserves militaires nous avons encore. Dans tous les cas, le fait que par cupidité et par jalousie on tâche d'anéantir un peuple arrivé au comble de la civilisation et formant un État riche et florissant est sans précédent dans l'histoire.

      Oui, l'Angleterre a réussi à indisposer contre nous les nations par la voie des journaux.

      L'Angleterre nous dépasse en une chose seulement: elle sait mieux mentir.

      Et quelle opinion mesquine se fait-elle des lecteurs de ses articles qui souvent ajoutent foi à tous ses mensonges et à toutes ses folies? A des lecteurs allemands on n'oserait pas raconter de pareilles sornettes.

      Combien de fois notre magnifique Empereur n'a-t-il pas tendu à la France la main de la réconciliation, mais elle l'a repoussée par un sentiment de vengeance sotte et aveugle. Les Français et les Belges ne nous sont pas antipathiques. Pourquoi ne s'allient-ils pas à nous contre l'Angleterre cupide, rusée et perfide, qui veut subjuguer tout le monde? Nous ne comprenons pas encore qu'en France, on ne se rende pas compte de cela. C'est-à-dire qu'il y en a qui le comprennent, mais qui n'osent pas l'avouer par peur de je ne sais quoi.

      Cher oncle, je te prie de m'excuser de m'être trop étendue en vous communiquant mon opinion sur la guerre, mais tout cela m'est personnel.

      Nous sommes charmés que vous, Jeanne et les enfants se portent bien et que ceux-ci mettent tant de zèle à secourir les indigents.

      L'Allemagne est encore loin de périr par la faim. Nous avons assez de pain, pommes de terre, etc., jusqu'à la prochaine récolte; notre stock de bétail est considérable.

      Vous ferez bien de faire comprendre cela aux Français et aux Anglais pour leur faire abandonner leurs illusions stupides.

      En France et en Angleterre, le peuple ne sait pas cela par la suppression des journaux allemands.

      Maintenant il faut que je finisse, nous espérons que vous recevrez cette lettre, et nous serions charmés de recevoir de vos nouvelles de toi et de Jeanne. Amitiés aussi de la part de mon mari.

      Ta nièce: Elza.

       Extrait d'une lettre privée de Mlles Y et Z.

      12 février 1915.

      ...Nous avouons avoir été surprises de ce que, malgré la lecture de la brochure Die Wahrheit über den Krieg, que nous t'avons envoyée, tu sois tout de même d'un avis opposé au nôtre. Tu devrais cependant te souvenir de ce que, de tout temps, les qualités dominantes des Allemands ont toujours été: la sincérité et la vérité. Tu peux donc avoir une confiance absolue dans l'exposé de la brochure en question et dans le Livre Blanc allemand, et y croire. Après la fin de cette guerre, imposée à nous de façon scélérate, vous aussi, vous aurez des éclaircissements sur les points qui vous sont encore obscurs et vous reconnaîtrez la vérité.

      ...Nous sentons parfaitement combien le pain blanc habituel vous manquera; la dernière récolte du froment a-t-elle donc été si mauvaise chez vous? A ce point de vue nous ne manquons absolument de rien en Allemagne et l'on ne s'aperçoit pas non plus d'un renchérissement quelconque; ceci est un grand bonheur... .

       Carte reçue à Bruxelles en janvier 1915.

      Cher


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