Hyacinthe. Assollant Alfred

Hyacinthe - Assollant Alfred


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à nous; mais par quart seulement. Ma mère avait acheté le second étage et le grenier. Le propriétaire du premier,—un aristocrate celui-là, était un tisserand. Celui du rez-de-chaussée était un maréchal-ferrant. Les chevaux descendaient chez lui par un sentier étroit garni d'un parapet ou garde-fou de deux pieds de haut qui les avertissait de ne pas caracoler au hasard, de peur de tomber dans la rivière...

      Le grenier avait été cédé de bonne grâce à un propriétaire qui serrait là son foin et son avoine. Je veux dire qu'on les serrait pour lui; car ce pauvre Aristide était si bête, au dire de ma mère, qu'il n'avait jamais su rien faire de ses dix doigts.

      En deux mots, c'était un âne, un âne à quatre pattes, l'âne de ma mère et après moi ce qu'elle avait de plus précieux au monde. Aristide était son gagne-pain, son compagnon de voyage; il aurait été le confident de ses peines si elle avait eu des peines: mais elle avait trop de courage et de bon sens pour s'inquiéter ou s'affliger de rien.

      C'est Aristide qui traînait la voiture; car ma mère avait une voiture, comme une duchesse, et la conduisait elle-même à la foire. Ce n'était pas un carrosse, oh! non; ni une calèche découverte, ni un four-in-hand, ni un huit ressorts; c'était une bonne carriole bien solide où ma mère qui faisait tous les commerces honnêtes, depuis le bonnet de coton jusqu'aux clous et aux fers à cheval, avait l'habitude d'entasser sa marchandise.

      La carriole n'avait que deux roues, ma mère marchait à côté d'Aristide dans la montée et tricotait en disant de bonnes paroles pour l'encourager. Vers le haut de la côte, elle tirait de sa poche un morceau de sucre et le lui montrait. Aristide qui ne manquait pas d'esprit pour son âge, car il avait quatorze ans déjà, faisait un dernier effort, surmontait le dernier obstacle et tirait voluptueusement la langue où ma mère déposait le sucre. Il fermait les yeux pendant une minute pour mieux savourer son bonheur.......

      Après quoi, l'on se remettait en marche, dans les descentes, ma mère s'asseyait sur le derrière de la carriole pour faire contre-poids.

      Oh! comme ils s'entendaient bien, elle et lui! Et que le philosophe avait raison, qui dit que l'âne est un «frère inférieur» de l'homme! Si j'osais, je dirais «un frère supérieur» car il est meilleur, plus honnête, plus sobre, plus patient, plus robuste, plus doux et souvent plus courageux. Que lui manque-t-il donc?... L'intelligence?... Qui sait? Il n'entend pas le latin, c'est vrai, et même, à cause de cela on décore du nom d'ânes, dans les collèges, ceux qui ne peuvent pas lire Sénèque à livre ouvert... Eh bien! après?... En sont-ils plus malheureux?...

      Aristide savait tout ce qu'il faut savoir: qu'on doit aimer ses amis, cogner ses ennemis (comme il fit le jour où le petit Carbeyrou, ayant attaché un fagot d'épines sous sa queue, il lui cassa trois dents d'une ruade), respecter le bien d'autrui, honorer les puissants, c'est-à-dire se ranger sur le passage de la diligence, de peur d'être accroché; braire galamment à la vue des bourriques, ce qui est un hommage à leur beauté; traîner une carriole pesamment chargée; faire enfin tout ce qui concernait son état, et par ce moyen avoir du foin, de l'avoine et des chardons en abondance.

      En savez-vous tous autant, chrétiens qui m'écoutez?

      Mais je reviens à mon histoire. J'arrivai donc à sept heures chez ma mère qui m'attendait, exacte et ponctuelle comme toujours, la soupe sur la table, la cuiller en arrêt.

      Je l'embrassai, suivant mon habitude, et je lui dis précipitamment:

      —Mère, cherche-moi mon pantalon noir, mon habit noir, mon gilet noir, ma cravate blanche et mes gants gris-perle,—tu sais bien, ceux que j'ai achetés, il y a six mois.

      Elle me regarda, très étonnée:

      —Seigneur Dieu! est-ce que tu vas à la noce?

      —Précisément.

      Et, tout en parlant, j'avalais ma soupe par cuillerées énormes.

      Alors, en cherchant et brossant mes vêtements, elle demanda:

      —Quelle noce?

      —Le contrat de mon ami Michel avec mademoiselle Hyacinthe.

      Et je lui expliquai le contrat, et l'invitation toute personnelle et très imprévue que j'avais reçue d'Angéline.

      Aux détails du contrat ma mère ne fit aucune réflexion, si ce n'est:

      —Deux mères comme ça, c'est fait pour empoisonner deux familles... Et ça ne manquera pas, crois-moi!

      Quant à l'invitation, elle s'en fit expliquer mot par mot tous les détails, parut en tirer une conclusion mentale qu'elle garda pour elle-même et finit par demander assez négligemment pendant qu'elle rangeait mon gilet, ma cravate et mon habit sur le lit:

      —Comment la trouves-tu?

      —Qui? maman.

      —Mademoiselle Angéline.

      Je répondis en riant:

      —Je la trouve très bien... D'abord, c'est la fille du patron; et si je la trouvais laide, je ne le dirais pas... Ça, c'est élémentaire.

      Ma mère reprit:

      —Elémentaire, qu'est-ce que c'est que ça? Est-ce une bête nouvelle de la nature? Je te demande si elle te plaît ou si elle ne te plaît pas. Réponds-moi entre quatre-z-yeux?

      Et elle me regardait fixement. Puis, comme je ne me pressais pas de répondre, car il y a des choses qu'on n'aime pas à dire, même à sa mère, elle ajouta:

      —L'aimes-tu, enfin?

      Alors, vaincu par cette question trop nette, je répondis:

      —A quoi me servirait de l'aimer, puisque je ne serai jamais son mari?

      —Qu'en sais-tu?

      Ce mot me troubla délicieusement. Comment donc! Je pouvais..., j'avais l'espoir de... Mais non, ma mère se trompait... L'amour maternel lui donnait une illusion que je ne pouvais pas partager.

      Comme j'allais lui demander des explications, un petit gâte-sauce entra chez nous précipitamment et me dit:

      —Monsieur Trapoiseau, venez vite. C'est pressé, pressé, pressé!... On a besoin de vous.

      —Chez qui?

      —Chez M. Forestier.

      —Qui t'envoie?

      —M. Bouchardy, le notaire.

      —Mais je ne suis pas habillé.

      —Il a dit de venir en chemise... Il paraît qu'il est arrivé un grand malheur... M. Saumonet, l'autre notaire, lève les bras en l'air et crie comme un sourd... On les entend tous les deux de la cuisine.

      —Le dîner est fini?

      —Ah! oui, répliqua le petit gâte-sauce, et ce n'est pas malheureux, seigneur Jésus! Ils sont à prendre le café dans le jardin. Croiriez-vous qu'ils n'ont laissé que des pilons, des ailerons, des carcasses et des os de gigot. Encore Forestier est venue à la cuisine et voulait me donner les morceaux de pain à demi mangés,—on y voyait encore la marque des dents,—mais Mihiète a bien su dire: «Madame, si ces rogatons sont bons, gardez-les pour vous, et s'ils ne le sont pas, donnez-les aux chiens?» Alors madame a voulu se fâcher et jeter par-dessus l'épaule qu'une «dame» comme elle ne se commettait pas avec des «torchons»; mais nous avons tellement ri et nous avons tellement fait tous: «Hou! hou! hou!» qu'elle s'est sauvée en criant qu'elle n'avait jamais souffert, qu'elle ne souffrirait jamais qu'on lui manquât de respect.

      Pendant que le petit garçon parlait, je m'habillai à la hâte. Dès qu'il fut parti, je me regardai dans la glace de trente centimètres de haut et quinze centimètres de large qui était le seul meuble de luxe de la maison. Il s'agissait de résoudre un problème ardu, et de faire le nœud de ma cravate.

      Là, tout le bon sens de ma mère et toute sa tendresse ne pouvaient me servir de rien. Elle vit mon embarras


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