Hyacinthe. Assollant Alfred

Hyacinthe - Assollant Alfred


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      Elle me fit un nœud à la Colin, et comme je regardais avec inquiétude ce nœud dans la glace, elle ajouta:

      —Si ce n'est pas assez beau pour mademoiselle Angéline, c'est qu'elle ne s'y connaît pas. C'est avec un nœud fait comme ça que ton père m'a persuadée de devenir madame Trapoiseau... Est-ce que ta mère ne vaut pas mademoiselle Bouchardy?

      La question était sans réplique; aussi je brossai mon chapeau avec soin et je partis.

       Table des matières

       Table des matières

      Il n'y avait pas loin du faubourg Saint-Hilaire où je demeure à la maison de M. Forestier, honorable député de Creux-de-Pile. Cent pas, tout au plus. Tous les «principaux de la ville,» comme dit le secrétaire de la sous-préfecture, habitaient cet heureux quartier, le seul où chaque maison eût son jardin et, au bas du jardin, la rivière.

      Je ne tardai donc pas à toucher le but de la course, c'est-à-dire le marteau en forme de poignée qui avertissait l'honorable député de l'approche d'un de ses électeurs. Mais avant d'agiter ce marteau, je prêtai l'oreille. Un grand bruit d'assiettes, de chaudrons, de casseroles, de verres choqués les uns contre les autres, d'éclats de rire et de cris de joie sortait de la cuisine et annonçait à tout le pays le présent contrat et la noce future.

      Le chef de cuisine, renommé à plus de dix lieues à la ronde, et emprunté pour ce jour-là au fameux hôtel du Dauphin, où descendent tous les conseillers généraux et où dînent tous les notaires du département, présidait naturellement le festin. Je reconnus sa forte voix bien timbrée qui proposait un toast; et en regardant à travers la fenêtre ouverte, j'aperçus sa haute et magnifique encolure. En face de lui était la grosse Mihiète, faite au tour, je veux dire comme une barrique montée sur deux courtes pattes, et majestueuse aussi, mais à sa manière, c'est-à-dire en largeur et en profondeur plutôt qu'en hauteur. Son teint était rouge de brique, ses joues s'élevaient comme deux poires énormes ou plutôt comme deux collines arrondies au fond desquelles on apercevait un vallon étroit et court. C'était son nez. Son menton supérieur, le vrai, reposait mollement sur deux autres qu'on aurait pu prendre pour des coussins. Sa voix en revanche, était grêle, mais perçante, et, sans retentir, se faisait entendre au loin, comme le son de la plus haute note du violon.

      Autour de ces deux personnages considérables étaient assis et groupés, chacun suivant son importance, sept ou huit autres personnes, servantes ou domestiques mâles appelés à prendre leur part de la fête, à condition de servir à table les invités de M. Forestier, ou de faire dans la cuisine de Mihiète, pour ce jour-là et sous ses ordres, les travaux d'ordre inférieur.

      Le chef de cuisine, le grand chef se leva, remplit son verre et celui de tous les assistants d'un vin que je reconnus à la forme des bouteilles n'être pas «vin du pays», mais bien «bordeaux» le plus pur, mit une main dans son gilet, comme il avait entendu dire que faisait le grand Napoléon, et dit:

      —Mesdames et messieurs, je bois à la santé des dames ici présentes...

      —Bravo! crièrent tous les convives qui avaient de la barbe au menton ou qui nourrissaient l'espérance d'en avoir un jour.

      (Parmi ceux-ci je remarquai la voix glapissante du petit gâte-sauce qui était venu me relancer chez moi.)

      Toutes les dames se levèrent et tendirent leurs verres du côté de l'orateur.

      Il reprit:

      —Je bois à la santé des dames ici présentes...

      Le gâte-sauce interrompit:

      —Et des demoiselles.

      L'orateur irrité s'écria:

      —Et des demoiselles aussi. C'est ce que j'allais dire...

      —Oui, mais il ne l'avait pas dit! répliqua le gâte-sauce, fier de son succès, car toutes les «dames» lui avaient souri. Elles étaient toutes «demoiselles», hélas! ou du moins elles n'avaient jamais comparu devant M. le maire, ce qui est l'essentiel.

      Le chef de cuisine continua:

      —Je bois encore et en premier lieu à la santé de mademoiselle Mihiète, ici présente, et qui nous fait l'honneur de nous recevoir dans sa maison...

      Mihiète s'inclina d'un air de protection bienveillante.

      —... Dans sa maison..., reprit le chef, et de nous offrir quelques bouteilles de ses meilleurs crus, parmi lesquels je remarque avec plaisir du Château-Margaux, messieurs, du Château-Yquem, mesdames...

      —Et, dit Mihiète en montrant quelques bouteilles cachées derrière sa robe, nous avons aussi du Chambertin et du Corton, sans compter les vins de dessert et quelques liqueurs que j'ai eu soin de prendre pendant que madame Forestier faisait des grâces avec les dames et les messieurs de là-bas... Sans ça, je la connais, elle aurait tout mis sous clef, ou, si elle avait oublié, les messieurs auraient tout sifflé.

      —Ah! dit le cocher de M. Forestier, c'est vrai qu'ils sifflent dur, quand ils s'y mettent. L'autre jour, à Saint-Perry, après la foire, le patron, le président et le procureur de la République,—deux autres de son espèce,—ont fait apporter dix bouteilles,—dix, vous m'entendez bien,—et n'ont pas laissé au fond de quoi donner à boire à un merle.

      Il y eut un cri d'indignation autour de la table.

      —Ils ne t'ont rien donné? demanda Mihiète.

      —Rien du tout. Ah! si! le patron m'a donné l'ordre que voici:

      «—Pierre, tu donneras l'avoine au cheval et tu boiras un verre de vin gris à ma santé.»

      —Oh! dit Mihiète, je le reconnais bien là. Tout pour lui. Rien pour les autres.

      —Aussi, ajouta Pierre, je les ai joliment menés dans la calèche, tout le long de la route. Je suis parti au galop, j'ai passé dans toutes les ornières, j'ai traversé tous les tas de pierres, je les faisais rouler l'un sur l'autre et je les secouais comme la salade dans le panier. M. Forestier a voulu descendre un instant; j'ai fait semblant d'arrêter; il a mis un pied par terre, j'ai lancé mon cheval, sans en avoir l'air, il est tombé les quatre fers en l'air. Ça lui apprendra à m'offrir un verre de vin gris quand il se remplit, lui, comme une tonne.

      —Mais, demanda le chef de cuisine, qu'est-ce qu'il a dit en se relevant?

      —Il a dit comme vous auriez dit, à sa place:

      «—Sacré nom de Dieu!»

      A cette réponse, tous les convives se mirent à rire, et surtout les «demoiselles».

      Pierre continua:

      —Il aurait bien voulu se fâcher, mais j'ai crié plus fort que lui. J'ai dit aussi: «Sacré nom de Dieu!» mais en parlant à mon cheval. J'ai juré contre le bourrelier, contre le carrossier, contre la calèche, contre les saints, contre tous les diables d'enfer, contre l'agent-voyer qui a fait la route, contre les ouvriers qui l'ont cailloutée, contre la pluie, contre le vent, et, tout en jurant, je relevais le patron, je l'essuyais, je le brossais, car il était tout couvert de boue, je le plaignais, je lui disais tout bas que c'était bien malheureux pour lui, qu'on croirait qu'il s'était grisé à la foire et qu'il n'avait pas pu se tenir debout sur ses pattes; que madame Forestier lui ferait une scène au retour, mais que je serais témoin, moi, qu'il n'avait pas bu plus que les autres...

      Enfin j'en ai tant dit qu'au lieu de m'appeler «fichu animal» et «sacrée rosse», comme au commencement, il a fini par me remercier comme si je lui avais rendu service...


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