De la littérature des nègres. Henri Grégoire
Blumenbach.—Auguste La Fontaine.—Mad. Julie duchesse de Giovane.—Kotzbue.—Less.—Oldendorp.—Pezzl, Ch. Sprengel.—Usteri.
DANOIS.
Bernstorf.—Isert.—Kirsten.—Niebuhr.—Olivarius.—Rahbek.—Th. Thaarup.—West.
SUÉDOIS.
Afzelius.—Euphrasen.—Auguste Nordenskiold, Ulric Nordenskiold.—And. Sparrman.—Trotter-Lind.—Wadstrom.
HOLLANDAIS.
Mad. Beaker.—Van Geuns.—Hogendorp.—Peter Paulus.—Mad. Wolf, de Vos, Peter Wrede.
ITALIENS.
Le cardinal Cibo, le collége des Cardinaux.—L'abbé Pierre Tambarini.—Zacchiroli.
ESPAGNOL.
Avendaño.
Qu'on ne s'étonne pas de ce que (Avendaño excepté) on ne trouve ici aucun auteur espagnol ni portugais; nul autre, à ma connaissance, ne s'est mis en frais de prouver que le Nègre appartient à la grande famille du genre humain, que partant il doit en remplir tous les devoirs, en exercer tous les droits: par delà les Pyrennées, ces droits et ces devoirs ne furent jamais problématiques; et contre qui se défendre, s'il n'y a pas d'agresseur? De nos jours seulement, par des applications forcées, un Portugais, dénaturant l'Écriture sainte, a tenté de justifier l'esclavage colonial, si dissemblable à celui qui, chez les Hébreux, n'étoit guère qu'une sorte de domesticité; mais la brochure d'Azérédo2 est passée de la boutique du libraire dans le fleuve de l'oubli. Tel est aussi le sort qu'ont eu les pamphlets de Harris, et du trinitaire Grabowski, qui invoquoient la Bible; celui-là en Angleterre, pour légitimer l'esclavage colonial; celui-ci en Pologne, pour river les fers des paysans de cette contrée, tandis que Joseph Paulikowski3, et l'abbé Michel Karpowitz, dans ses sermons4, proclamoient et revendiquoient pour tous l'égalité des droits. Les amis de l'esclavage sont nécessairement les ennemis de l'humanité.
Note 2: (retour) V. Analyse sur la justice du commerce, du rachat des esclaves de la côte d'Afrique, par J. J. d'Acunha de Azérédo Coutinho, in-8°, Londres.
Note 3: (retour) V. O Poddanych polskich, c'est-à-dire, des paysans polonais, par Joseph Paulikowski, in-8°, Roku 1788.
Note 4: (retour) V. Kazania X. Michala Karpowicza, W. Roznych ocolicznosciach Miané, c'est-à-dire, Sermons de l'abbé Karpowicz, 3 vol. in-12, W. Krakovie 1806, V. surtout les second et troisième volumes.
En général, dans les établissemens espagnols et portugais, on envisage les Nègres comme des frères d'une teinte différente. La religion chrétienne qui épure la joie, qui essuie les larmes, et dont la main est toujours prête à répandre des bienfaits, la religion se place entre les esclaves et les maîtres, pour adoucir la rigueur de l'autorité et le joug de l'obéissance. Ainsi, chez deux puissances coloniales, on n'a pas composé de plaidoyers inutiles en faveur des Nègres, par la même raison qu'avant l'Anglais Hartlib, on n'écrivoit pas sur l'agriculture de la Belgique, où la supériorité des méthodes et des procédés agronomiques suppléoit aux livres.
Si l'on censuroit dans cette liste l'insertion de certains noms que la vertu n'inscrit pas dans ses fastes, ou répondroit que, sans vouloir atténuer les torts des individus, on ne les présente ici que sous le point de vue relatif à leurs efforts pour l'amélioration du sort des Noirs; et sur cet article même, on est loin de leur attribuer un égal degré de mérite et de talent. Il est affligeant qu'on ne puisse appliquer à tous une maxime du poëte Churchil, en disant qu'ils ont le coeur aussi pur que leur cause est légitime. Chacun reste maître d'exercer sa justice, en repoussant ces écrivains dans la classe malheureusement si nombreuse de gens de lettres qui ne valent pas leurs livres.
La liste qu'on vient de lire est sans doute très-incomplète; elle réclame des noms honorables, que j'ai oubliés, ou que je n'ai pas l'avantage de connoître, soit que dans leurs écrits les auteurs ayent gardé l'anonyme, soit que leurs écrits ayent échappé à mes recherches. Je recevrai avec reconnoissance tous les renseignemens qui peuvent réparer ces omissions involontaires, rectifier les erreurs, et compléter l'ouvrage. Parmi ces écrivains un grand nombre sont morts; je dépose sur leurs tombes mes hommages, et j'offre le même tribut à ceux qui vivant encore, et qui n'ayant pas, comme Oxholm, apostasié leurs principes, poursuivent sans relâche leur noble entreprise, chacun dans la sphère où l'a placé la providence.
Philanthropes! personne n'est juste et bon impunément; entre le vice et la vertu la guerre commencée à la naissance des temps, ne finira qu'avec eux. Dévorés du besoin de nuire, les pervers sont toujours armés contre quiconque ose révéler leurs forfaits, et les empêcher de tourmenter l'espèce humaine. A leurs coupables tentatives opposons un mur d'airain, mais vengeons-nous d'eux par des bienfaits. Hâtons-nous; la vie est si longue pour faire le mal, si courte pour faire le bien! Cette terre se dérobe sous nos pas, et nous allons quitter la scène du monde; la dépravation contemporaine charie vers la postérité tous les élémens du crime et de l'esclavage. Cependant, parmi ceux qui s'agiteront ici-bas, lorsque nous dormirons dans le tombeau, quelques hommes de bien, échappés à la contagion, seront en quelque sorte, les représentans de la providence: léguons-leur la tâche honorable de défendre la liberté et le malheur. Du sein de l'éternité, nous applaudirons à leurs efforts, et sans doute il les bénira ce Père commun, qui dans les hommes, quelle que soit leur couleur, reconnoît son ouvrage, et les aime comme ses enfans.
DE LA LITTÉRATURE
DES NÈGRES.
CHAPITRE PREMIER
Ce qu'on entend par le mot Nègres. Sous cette dénomination doit-on comprendre tous les Noirs? Disparité d'opinion sur leur origine. Unité du type primitif de la race humaine.
Sous le nom d'Éthiopiens, les Grecs comprenoient tous les hommes noirs. Cette assertion s'appuie sur des passages de la bible des Septante, d'Hérodote, Théophraste, Pausanias, Athénée, Héliodore, Eusèbe, Flavius Josephe5. Ils sont appelés de même par Pline l'ancien et Térence6. On distinguoit les Éthiopiens orientaux, ou indiens, ou d'Asie, des Éthiopiens occidentaux, ou d'Afrique. Rome connut ceux-ci sans doute dans ses guerres avec les Carthaginois, qui en avoient dans leurs armées, à ce que prétend Macpherson, fondé sur un passage de Frontin7. Rome ayant plus que la Grèce des relations fréquentes avec les côtes occidentales de l'Afrique, quelquefois, dans les auteurs latins, les Noirs furent appelés Africains8. Mais en Orient, on continua de les désigner sous le nom d'Éthiopiens, parce qu'ils y arrivoient par la voie de l'Éthiopie, qui depuis l'an 651 paya, pendant assez longtemps aux Arabes, un tribut annuel d'esclaves, et qui, pour acquitter ce tribut, en tiroit peut-être de l'intérieur