Pauvre Blaise. Comtesse de Ségur

Pauvre Blaise - Comtesse de Ségur


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que tu ne penses. M. de Berne m'a bien promis qu'il tâcherait de me placer dans son autre terre, où il va habiter.

      BLAISE

      Et puis il la vendra encore, et il nous faudra encore changer de maîtres.

      ANFRY

      Mais non; tu ne sais pas et tu parles comme si tu savais. L'autre terre est une terre de famille, qui ne doit jamais être vendue; tandis que celle-ci était de la famille de Madame, et ils ne pouvaient pas habiter deux terres à la fois. Est-ce vrai?

      —A quoi sert de parler de tout cela? dit Mme Anfry. Mangeons notre dîner; veux-tu du fromage, Blaisot, en attendant la salade aux oeufs durs?»

      Blaise accepta le fromage, puis la salade, et, tout en soupirant, il mangea de bon appétit, car, à onze ans, on pleure et on mange tout à la fois.

      Le reste du jour se passa tranquillement pour la famille du concierge; personne ne les demanda. Quand la nuit fut venue, ils mirent les verrous à la grille, le concierge fit sa tournée pour voir si tout était bien fermé, et il rentra pour se coucher. Sa femme et son fils dormaient déjà profondément.

       Table des matières

       Table des matières

      «M. le comte demande le concierge», dit d'une voix impérieuse un des domestiques du château.

      C'était de grand matin. Mme Anfry faisait son ménage, Blaise nettoyait la vaisselle, et Anfry était allé scier du bois pour les fourneaux de la cuisine et de la lingerie.

      Le domestique avait ouvert bruyamment la porte et restait sur le seuil; il regardait le modeste mobilier du concierge.

      «Votre mobilier ne fait pas honneur à vos anciens maîtres, dit le valet en ricanant; si M. le comte passait par ici, il vous ferait bien vite changer tout cela.

      —Qu'est-ce que vous trouvez à mon mobilier qui parle contre les anciens maîtres? répondit vivement Mme Anfry. Est-ce qu'il y manque quelque chose? Tout n'est-il pas en bon état? C'était de bons maîtres, ceux qui n'y sont plus, et je n'en demande pas de meilleurs au bon Dieu.

      LE DOMESTIQUE

      Ha! ha! le bon Dieu! Comme s'il se mêlait d'un concierge et de son mobilier.

      MADAME ANFRY

      Le bon Dieu se mêle de tout, et d'un pauvre concierge tout comme d'un prince et d'un roi; et je n'entends pas qu'on se raille du bon Dieu chez moi, entendez-vous bien!

      LE DOMESTIQUE

      Voyons, voyons, Madame la concierge, il ne faut pas vous emporter pour un mot dit en plaisanterie; mais M. le comte demande le concierge et je ne le vois pas ici.

      MADAME ANFRY

      Il est au château à scier du bois; allez le chercher là-bas, vous lui ferez la commission.

      LE DOMESTIQUE

      Si vous y envoyiez votre garçon, cela me donnerait le temps d'aller faire un tour au village et de faire connaissance avec les cafés.

      MADAME ANFRY.

      Mon garçon n'a que faire au château; on lui a dit hier qu'on n'y entrait pas en blouse; il ne se mettra pas en prince pour y aller, et il n'ira pas.

      LE DOMESTIQUE.

      Vous êtes maussade, Madame la concierge; mais prenez-y garde, on pourrait bien chercher à vous remplacer et à vous faire partir.

      MADAME ANFRY

      Comme vous voudrez. Si les maîtres sont comme les valets, je ne tiens pas à y rester; nous sommes connus dans le pays, et nous ne manquerons pas de travail ni de place, mon mari et moi.»

      Le domestique vit qu'il n'y avait rien à gagner en continuant la conversation; il se retira en grommelant, et remonta lentement l'avenue du château. Il trouva le concierge au bûcher, comme le lui avait dit Mme Anfry.

      «M. le comte vous demande, lui dit-il brusquement.

      —Je ne suis guère en toilette pour me présenter chez M. le comte, répondit Anfry.

      —Puisqu'il vous demande, c'est qu'il vous veut comme vous êtes, reprit le domestique d'un ton bourru.

      —C'est vrai», se borna à répondre Anfry.

      Et, laissant son travail, il remit sa veste, secoua la poussière de ses pieds, et se dirigea vers le château.

      «Où allez-vous? lui dit rudement un domestique qui balayait l'escalier.

      —M. le comte m'a fait demander.

      —Est-ce bien sûr?... Passez alors, quoique vous soyez bien mal vêtu pour paraître devant M. le comte.

      —Qu'à cela ne tienne; j'aime autant ne pas y aller.»

      Et Anfry se mit à redescendre l'escalier qu'il avait monté à moitié.

      «Mais non, je ne dis pas cela. Puisque M. le comte vous a demandé, c'est qu'il veut vous voir.

      —Alors, gardez vos réflexions pour vous», dit Anfry en remontant l'escalier.

      Il arriva à la porte du comte de Trénilly et frappa discrètement.

      «Entrez!» lui cria-t-on.

      Anfry entra; il vit un homme de trente-cinq à trente-six ans, d'assez belle apparence, l'air hautain, mais le regard assez doux. Anfry salua; le comte répondit par un léger signe de tête.

      «Vous avez des enfants? dit-il d'un ton bref.

      ANFRY

      Un seul, monsieur le comte.

      LE COMTE

      Garçon ou fille?

      ANFRY

      Garçon.

      LE COMTE

      Quel âge?

      ANFRY

      Onze ans.

      LE COMTE

      Envoyez-le au château.

      ANFRY

      Pour quel service, Monsieur le comte?

      LE COMTE

      Pour le mien, parbleu, puisque je vous dis de me l'envoyer.

      ANFRY

      Pardon, Monsieur le comte, mais je ne comprends pas comment mon garçon de onze ans pourrait faire le service de Monsieur le comte. Et s'il faut tout dire, je n'aimerais pas à le mettre en contact avec vos gens.

      LE COMTE

      Et pourquoi, s'il vous plaît? Le fils de mon concierge est-il trop grand seigneur pour se trouver avec mes gens?

      ANFRY

      Au contraire, Monsieur le comte, il ne serait pas assez grand seigneur pour eux; ils l'ont chassé hier, ils le chasseraient bien encore.

      —Je voudrais bien voir cela, s'écria le comte avec colère, quand ce serait par mon ordre qu'il viendrait ici.

      ANFRY

      Enfin, Monsieur le comte, mon garçon pourrait voir et entendre des choses qui me feraient de la peine en lui faisant du mal, et j'aime autant qu'il reste à la maison et qu'il n'entre pas au château.»

      Le comte fut étonné de cette résistance. Il regarda attentivement


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