Pauvre Blaise. Comtesse de Ségur

Pauvre Blaise - Comtesse de Ségur


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avait envie de résister à Jules et de soutenir Hélène; mais il n'osa pas, et, prenant une bêche, il se mit à l'ouvrage avec une telle ardeur que le jardin fut retourné en moins d'une demi-heure; Hélène l'aidait, mais moins vivement.

      Jules revint avec un sac plein de graines de toute espèce de légumes.

      «Voilà, dit-il, des choux-fleurs, des pois, des radis, des asperges, des navets, des carottes, des laitues, des cardons, des épinards...

      BLAISE

      Mais, Monsieur Jules, tout cela doit être semé sur couche et repiqué quand c'est levé.

      JULES

      Du tout, du tout, je ne veux pas; je veux semer les graines dans mon jardin.

      BLAISE

      Comme vous voudrez, Monsieur Jules; mais il faudra les attendre bien longtemps.

      JULES

      C'est égal, je veux les semer; j'aime mieux attendre.»

      Hélène ne disait rien; elle était habituée aux caprices de son frère; sa bonté et sa douceur la portaient à toujours lui céder pour éviter les disputes. Blaise hochait la tête, mais se taisait, voyant Hélène consentir de bonne grâce à sacrifier les fleurs qu'elle avait désirées. Avec sa bêche il fit des traînées de petites rigoles, dans lesquelles Jules semait la graine.

      BLAISE

      Qu'avez-vous semé par ici, Monsieur Jules?

      JULES

      Je n'en sais rien; j'ai tout mêlé.

      HÉLÈNE

      Mais comment sauras-tu où sont les radis, les choux-fleurs, les carottes, et le reste?

      JULES

      Je les reconnaîtrai bien en les mangeant.

      HÉLÈNE

      Mais quand nous voudrons manger des radis, comment les trouverons-nous?

      JULES

      Ah! je n'en sais rien! Tu m'ennuies avec tes raisonnements.

      BLAISE

      Ecoutez, Monsieur Jules, vous n'êtes pas raisonnable; ce ne sera pas un jardin, cela; on n'y verra rien pendant plus d'une quinzaine. Laissez votre soeur y mettre quelques fleurs.

      JULES, frappant du pied

      Non, non, non, je ne veux pas; je n'aime pas les fleurs, et je n'en mettrai pas.»

      Hélène était rouge; elle avait envie de pleurer, Blaise en eut pitié et lui dit:

      «Ne vous affligez pas, Mademoiselle, je vous arrangerai un autre jardin, et je vous y planterai de belles fleurs toutes venues.

      HÉLÈNE

      Merci, Blaise, tu es bien bon.

      JULES

      Et moi! je suis donc mauvais, moi?

      HÉLÈNE

      Tu n'es pas mauvais, mais Blaise est très bon.

      JULES, avec colère

      Je ne veux pas que Blaise soit meilleur que moi; je ne veux pas que tu le dises.

      HÉLÈNE

      Je ne le dirai pas si cela te contrarie, mais...

      JULES, de même

      Mais quoi?

      HÉLÈNE

      Mais... Blaise est très bien.»

      Jules se mit à crier, à taper des pieds; il courut pour battre Hélène; elle se sauva; il s'élança sur Blaise, qui esquiva le coup en sautant lestement de côté. Jules tomba sur le nez et redoubla ses cris; la bonne d'Hélène accourut.

      «Qu'y a-t-il? pourquoi ces cris?

      JULES, pleurant

      Blaise est méchant; il veut arracher mes légumes pour mettre des fleurs; ils disent que je suis méchant; c'est lui qui est méchant, il veut arracher mes légumes.

      LA BONNE

      Pourquoi contrariez-vous M. Jules, et comment osez-vous lui arracher ses légumes, Blaise?

      BLAISE

      Je vous assure, Madame, que je ne veux rien arracher, et que je ne veux pas contrarier M. Jules. C'est lui-même qui se contrarie.

      LA BONNE

      C'est cela! toujours la même chanson! C'est M. Jules qui se fait pleurer lui-même, n'est-ce pas?»

      Blaise voulut répondre, mais la bonne ne lui en laissa pas le temps; elle le saisit par le bras, le fit pirouetter et lui ordonna de s'en aller chez lui et de ne plus revenir. Blaise partit sans mot dire, se promettant bien de refuser à l'avenir toute invitation du château.

       Table des matières

       Table des matières

      Blaise était courageux; il n'avait pas peur de l'obscurité, et, quand il faisait beau, il aimait à se promener tout seul, le soir, dans les prairies traversées par un joli ruisseau.

      Qu'est-ce qui lui plaisait tant dans la prairie?

      D'abord il était seul, il allait où il voulait; ensuite, en suivant le chemin qui bordait le ruisseau, il voyait une longue rangée de fours à plâtre creusés dans la montagne qui borde les prés et la grande route. Ces fours étaient en feu tous les soirs; il en sortait des gerbes d'étincelles; les hommes occupés à enfourner du bois dans ces brasiers lui semblaient être des diables au milieu des flammes de l'enfer. Un autre enfant aurait eu peur, mais Blaise n'était pas si facile à effrayer; il s'arrêtait et regardait avec bonheur ces feux allumés, ces longues traînées d'étincelles, ces hommes armés de fourches attisant le feu. Il suivait tout doucement la rivière jusqu'au moulin, dont il traversait la cour pour revenir par la grande route, en longeant les fours à chaux.

      Quelques jours après sa première visite au château, Blaise se préparait à faire sa promenade favorite, lorsqu'il vit accourir Jules.

      «Blaise! Blaise! lui cria-t-il, veux-tu venir jouer avec moi? Je suis seul, je m'ennuie.

      —Merci, Monsieur Jules, répondit Blaise, je vais me promener dans la prairie; je ne veux pas venir chez vous, pour que vous inventiez encore quelque histoire qui me fasse gronder!

      JULES

      Oh! Blaise, je t'en prie, viens; je serai très bon, je ne dirai rien du tout à personne.

      BLAISE

      Non, Monsieur Jules, j'aime mieux me promener que jouer.

      JULES

      Alors j'irai avec toi.

      BLAISE

      Je ne veux pas vous emmener sans la permission de votre papa, Monsieur Jules.

      JULES

      Laisse donc! quelle sottise! Crois-tu que papa et maman me tiennent en laisse comme un chien de chasse? Je veux aller avec toi, et j'irai.»

      Blaise, ne pouvant empêcher Jules de l'accompagner, se décida à le laisser venir, et ils partirent ensemble, Jules enchanté de sortir du jardin, qui l'ennuyait, et Blaise ennuyé d'avoir Jules pour compagnon.

      La lune commençait à


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