François de Bienville: Scènes de la Vie Canadienne au XVII siècle. Joseph Marmette

François de Bienville: Scènes de la Vie Canadienne au XVII siècle - Joseph Marmette


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      Mais la lutte était trop inégale; après vingt minutes de combat, le capitaine français était tué, et les quelques hommes de son équipage qui survivaient, étaient blessés ou faits prisonniers. M. d'Orsy et son fils, qui s'étaient vaillamment battus, furent aussi blessés et tombèrent entre les mains des vainqueurs.

      Ceux-ci, exaspérés par cette vigoureuse résistance qui leur avait fait perdre plusieurs des leurs, firent main basse sur tout ce qu'ils trouvèrent à bord de la Fortune.

      C'est à peine si le pauvre baron put sauver quelques louis d'or qu'il avait sur lui au moment où l'action s'était engagée.

      Amenés à Boston, les trois captifs reçurent l'ordre d'y rester internés; c'est-à-dire qu'ils étaient libres de leurs mouvements, mais seulement dans les limites de la place, dont ils ne pouvaient sortir sans s'exposer aux peines les plus sévères.

      Ce genre de captivité se trouvait aussi en usage au Canada, à la même époque.

      Pour comble de malheur, les blessures de M. d'Orsy étaient des plus graves; et le peu d'argent qu'il avait dérobé à l'avidité des corsaires fut employé à louer un pauvre réduit, et à payer les soins d'un médecin. Celui-ci put guérir aisément le jeune d'Orsy, qui n'était pas grièvement blessé; mais il donna peu de soulagement au baron, chez qui l'excès de ses infortunes avait produit un grand affaissement corporel et moral.

      Alors le fils donna des leçons de français et d'escrime, grâce auxquelles il put prolonger un peu la vie défaillante de son père et empêcher sa jeune sœur Marie-Louise de mourir de faim. Quant à lui, peu de chose lui suffisait.

      Ils avaient bien écrit à leur tante de France en quel dénûment ils se trouvaient; mais la réponse tardait à venir. Les communications étaient alors des plus difficiles et des plus lentes entre les rives des deux continents.

      Enfin, après avoir langui jusqu'à l'année 1687, par un soir d'été, comme le soleil se couchait et empourprait au loin la mer, que le mourant apercevait par la fenêtre, le baron s'éteignit doucement en donnant une dernière pensée à la France, le pauvre captif, avec la dernière larme de son cœur à ses enfants, le pauvre père!

      Louis n'était pas encore de retour, et Marie-Louise restée seule préparait le très modeste repas du soir.

      Entendant son père pousser un long soupir, elle s'approche de son lit et lui demande s'il n'a besoin de rien; sa question reste sans réponse. Inquiète, elle se penche sur lui, et s'aperçoit qu'il n'est plus....

      Eperdue de douleur, elle jette des cris perçants et s'évanouit.

      A ce moment, un officier anglais passait devant la maison. Lorsqu'il entend cette voix de femme, qui lui semble appeler au secours, il s'arrête et se précipite, par une porte entr'ouverte, dans l'escalier qui conduit à l'endroit d'où proviennent les cris. Au second étage, il aperçoit Mlle d'Orsy évanouie près de la porte qu'elle a pu seulement entre-bâiller. A la vue de la jeune fille évanouie, Harthing comprend tout, et, soulevant Marie-Louise, il la dépose sur un méchant grabat qui gît dans un coin de la chambrette.

      Jeune encore, quand l'officier sentit entre ses bras cette belle jeune fille, une bouffée de chaleur lui monta au visage, et les battements de son cœur se firent un instant plus rapides.

      Mais il a jeté un coup d'œil autour de la chambre pour trouver quelque cordial propre à ranimer Marie-Louise, et ses yeux ont rencontré, suspendues aux murailles nues et lézardées, une épée avec une croix de chevalier de l'ordre de Saint-Louis. Alors, malgré la pauvreté du lieu, il reconnaît à ces signes, ainsi qu'à la délicatesse des traits et des mains de la jeune femme, que les habitants de cette misérable demeure ont dû, sans même remonter bien loin, connaître de meilleurs jours.

      Puis il reporte ses regards sur Marie-Louise, qu'il trouve plus belle encore.

      Ne sachant enfin que faire pour la rappeler à elle, il sort et crie sur le palier pour demander du secours, quand il se trouve en face de Louis d'Orsy.

      --Vous ici, monsieur Harthing? lui dit Louis en reconnaissant l'officier pour lui avoir donné des leçons d'escrime.

      L'Anglais lui montre de la main la scène de désolation que présente l'intérieur de la chambre.

      La réalité s'offre poignante aux regards de Louis, qui se jette sur le corps de son père avec des sanglots navrants.

      En ce moment accourent des voisines, qui s'empressent autour de Marie-Louise toujours évanouie. Harthing alors d'offrir ses consolations et ses services au jeune d'Orsy. Mais ce dernier le remercie d'un œil chargé de larmes, et qui dit à l'officier anglais combien sa présence est pénible en ce moment.

      Il ne restait plus à Harthing qu'à s'éloigner au plus tôt; ainsi fit-il, mais non sans avoir auparavant jeté un long regard vers Marie-Louise qui commençait à s'agiter sur son lit...

      Deux mois après cette perte douloureuse, les orphelins reçurent une lettre de France, leur annonçant la mort de leur tante, qui leur léguait le peu qu'elle avait. Cette lettre, écrite par l'ancien notaire de la famille, accompagnait le prix de vente du petit manoir, unique fortune de leur parente. Car, après avoir pris connaissance de la missive du feu baron, qui faisait connaître sa captivité et les nouveaux malheurs qui l'avaient assailli, le notaire avait pris sur lui d'aliéner le modeste domaine, pour en faire tenir la valeur aux infortunés prisonniers.

      Grâce à ce secours, Louis et sa sœur purent payer leur rançon et obtenir de passer au Canada.

      Cependant, le jour de leur départ pour la Nouvelle-France, l'officier anglais, Harthing, vint les voir. Ce n'était d'ailleurs pas la première fois depuis le funeste soir où le malheur l'avait inopinément appelé sous le toit des jeunes gens.

      Que se passa-t-il durant cette dernière visite? C'est ce que nous dirons un jour au lecteur.

      Nous ne cacherons pourtant point que les commères du voisinage s'aperçurent que l'officier avait l'air à la fois honteux et furieux au sortir de la demeure des orphelins. On avait même entendu comme une altercation et vu, disaient toujours les voisines, le jeune d'Orsy ouvrir brusquement la porte au visiteur et la refermer de même.

      Pauvres enfants! ils ignoraient quelle passion dangereuse et quel souvenir haineux à la fois ils laissaient derrière eux en la personne du lieutenant Harthing. Ils étaient aussi bien loin de prévoir de quel poids l'amour et le ressentiment de cet homme devaient peser dans la balance de leur destinée.

      Ce fut dans les conflits qui avaient si souvent lieu dans ces temps difficiles, que d'Orsy fit la connaissance de François de Bienville; et, comme ils combattirent souvent l'un à côté de l'autre, une sincère amitié les unit bientôt; sans compter que les yeux bleus de Mlle d'Orsy avaient fasciné François, qui, chose assez naturelle en pareille occurrence, avait fait à Louis l'aveu de ses sentiments. On peut penser que celui-ci avait fort approuvé d'abord la naissance et bientôt le développement rapide des amours de sa sœur et de son meilleur ami, déjà fiancés à l'époque où nous allons entrer dans leur intimité.

      Maintenant, nos lecteurs ne seront pas surpris de voir le jeune Le Moyne se diriger si lestement vers la demeure qui abritait sa chère amie.

      A la vue d'un tout


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