Au soleil de juillet (1829-1830). Paul Adam

Au soleil de juillet (1829-1830) - Paul Adam


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Il se peut que ses invitations à dîner vinssent du major, qui entend faire de moi un ennuyeux saint-simonien...

      —Rien n'est encore près de se conclure, à ce que je vois! Tu as pris pour des déclarations quelques franches politesses trop naturelles entre les Gresloup, les Héricourt et les Cavrois, qui sont un peu cousins, qui se fréquentent intimement depuis 1804 et qui descendent les uns chez les autres aux étapes de leurs voyages, puisque les Moulins sont un relais sur la route de Calais, de Londres et du pays de Galles. Elvire a joué avec toi, pendant les vacances. Elle t'aime bien. Cela suffit-il?

      —Peut-être.

      —Pousse plus avant dans tes confidences. Lui as-tu déclaré ta flamme?

      —Par les yeux.

      —Ah! le bon billet! Par les yeux! Par les yeux! Innocent, va!... Chasse-moi de ta cervelle tous ces hannetons... Par les yeux, Seigneur!... Vous l'entendez! Mais ce que les yeux d'une femme avouent pour l'instant ne signifient point que sa bouche l'avouera pour toujours. Oh! le petit fat! Par les yeux!... Eh bien! souffre que je te le dise... Il n'y a rien de commencé entre Elvire et toi.

      —Que si!

      —Que non...

      —Dolorès Alviña m'a parlé de même par les yeux... Ses billets m'ont suivi à Rome...

      —Oh! celle-là, c'est une créole, c'est une romanesque! Une tête chaude. Elle ne s'est pas déguisée en page, comme Lara, pour t'accompagner et te sauver des périls?... Non? Alors elle n'a rien fait pour toi. Quand tu la verras bondir sur une cavale à tes côtés, et, à la lueur de la foudre, t'arracher à la mort, ou périr pour toi..., ce jour-là seulement tu pourras dire que Dolorès Alviña t'aime, outre ta part des Moulins-Héricourt et de la Banque d'Artois... Mais, si elle s'en tient aux billets doux...

      —Maman Virginie, vous êtes cruelle pour mes illusions...

      —Hélas!... Ah! nos chimères... Heureusement, il y a Dieu... et tu as grand tort d'oublier Dieu.

      —Je n'entends pas l'oublier...

      La joie de sa mère s'exagérait donc tout à l'heure. Ce n'était que feinte et manœuvre, pour démontrer habilement la vanité des choses humaines, devant la grandeur divine. A nouveau la veuve louait rapidement la vie pacifique du prêtre, le plaisir de la pureté morale, les ivresses de l'extase mystique. Même elle fit miroiter les splendeurs des ambitions épiscopales. Elle gardait sa jeunesse nouvelle, mais pour prêcher comme un jeune vicaire imbu de foi chaleureuse. Des expressions familières à l'abbé de Praxi-Blassans étaient resservies par ces lèvres ardentes.

      A ce moment, la cloche des vêpres ébranla les airs... Lugubrement elle appelait les fidèles à révérer la mort de Jésus. Les coups lointains des battants sur le bronze gémissaient, longues plaintes moroses versées par les abat-sons du clocher grisâtre et carré dans les nuages montueux du ciel.

      Maman Virginie ne cessait pas de paraître forte et contente. Pour convier à la dévotion, elle n'usait plus de ses tristes sermons d'autrefois. Tout autre, elle parlait à la manière d'un saint François d'Assises, que les oiseaux amusent, qui remercie Jésus de l'éclat des fleurs et de la beauté du paysage. Elle composait un tableau clair et gai de la vie au presbytère, un tableau magnifique et orgueilleux du commandement pastoral. Elle compara les palais des évêques et l'hôtel du général du Bourg, au dam de celui-ci; puis l'éloquence de la chaire et l'éloquence du barreau. Bossuet n'avait-il pas laissé autant que Mirabeau un nom respecté dans les mémoires des hommes? Richelieu n'avait-il pas régi le monde, autant que Robespierre? Léon X et Jules II n'avaient-ils pas conçu, mieux encore que César, la fraternité des peuples sous le sceptre de saint Pierre? Que valait pour une âme généreuse, auprès de cela, les médiocrités de la vie parlementaire, auxquelles il aspirait sans doute?...

      —Réfléchis... Je vais parler à Dieu de toi..., lui dit-elle en le quittant.

      Elle riait, elle ne le pria point de l'accompagner à l'église, ainsi qu'ordinairement. Elle affecta de ne vouloir plus rien imposer. Elle laissait à l'évidence le soin de convertir.

      Omer réfléchit. La tactique nouvelle de sa mère l'enchantait, pour ce qu'elle abandonnait de morose et d'hostile; elle l'effrayait aussi pour ce qu'elle se promettait de triomphes commodes. Certainement, un rusé confesseur avait instruit Mme Héricourt à vaincre. Quelle que fût la certitude sur ce point, Omer avait acquis de cette conversation un doute très sérieux sur l'amour d'Elvire envers lui. Il se pouvait qu'elle lui refusât de s'unir. Pendant le voyage à Rome, les lettres scientifiques du major suivies par deux lignes passablement sèches de nouvelles afférentes à la santé de la dame et de la jeune fille, n'étaient point, quand Omer se rappelait le ton de ces missives, pour réfuter les insinuations de la pieuse veuve. Il se reprocha durement la faute de n'être point revenu par la capitale, mieux eut valu faire visite aux Gresloup, avant d'aborder sa mère. Il arrivait dépourvu de preuves et d'arguments, comme un collégien aux illusions trop vives. Sa logique ne permettait pas qu'il réduisît à rien les doutes maternels. Son orgueil et sa confiance en soi furent grièvement atteints, pendant qu'il marchait, les mains derrière le dos, autour des plates-bandes et de la pelouse maigre, encombrée de folioles jaunes et valsant au gré de la bise. A seize ans, une fille délicate comme Elvire n'obtenait pas l'autorisation de se marier, si la plus enthousiaste des passions ne l'animait pour convaincre la prudence maternelle. Or, la passion d'Elvire, maintenant, était rien moins que sûre.

      Le rêve de Rome s'écroulait. Lui-même se parut absurde et léger de caractère, jusqu'au comique. Ce fut une grosse peine qui l'oppressa longuement.

      L'abbé de Praxi-Blassans le trouva tout désemparé, sur le banc de pierre dans la courbure de la haie, à l'ombre du saule-pleureur.

      —Qu'as-tu cousin?

      —Je m'assure que je suis le plus grand sot du monde.

      —L'opinion n'est pas unanime.

      —A d'autres!

      —Le char-à-bancs est prêt... Dieudonné peste contre toi... Viens d'abord chez le père Claës... Tu sais qu'il a fait un diamant avec du sulfure de carbone?

      Et il narra les détails de l'expérience magique, comment, au retour dans la vieille maison de Douai, après les longues années d'un séjour en Bretagne nécessité par de grands déboires d'argent, le domestique de M. Balthazar Claës avait découvert au fond d'une coupelle, le précieux joyau.

      —Le miracle s'est opéré, seul, loin du savant... Et cet homme qui a jeté sa fortune, celle de ses enfants à son creuset du magicien, n'a pu même suivre les phases de la transmutation... Il ignore comme devant? Dieu s'est joué de lui... Le Seigneur lui a donné une grande leçon d'humilité chrétienne... Depuis deux ans, le vieux Claës cherche à ressusciter le phénomène... Il y parviendra peut-être... Et alors...

      —Alors?... interrogeait Omer, sceptique.

      —Alors, je saurai de quelle manière on suscite un miracle...

      —Ah bah!

      —De quelle manière on change la boue en diamant... Un peu de poudre sulfureuse répandue dans la main d'un mendiant, un éclair de l'orage, et je change, dans cette pauvre main souffrante, la poussière en richesse...

      —On n'en fait pas moins dans les baraques d'escamoteur, au boulevard du Temple.

      —Tu persifles trop aisément, mon cher. Le miracle est, par ailleurs, la révélation d'un phénomène scientifique familier à un élite et au prophète, mais ignoré de la foule... Quand Moïse fit jaillir la source du rocher, il avait, à des signes certains, à la présence d'une herbe aquatique, par exemple, reconnu le voisinage nécessaire de l'eau. Il fora l'argile entre deux roches. Le liquide jaillit... Seul entre leurs amis, Jésus s'aperçoit que la mort de Lazare est une simple catalepsie. L'enfant qui étonna les docteurs possède le moyen de réveiller un cataleptique. Le Messie parut marcher sur les eaux, parce qu'il réussissait probablement à s'élever du sol à certains moments de puissance nerveuse. Apollonius de Tyane, d'autres anciens illustres


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