La Robe brodée d'argent. M. Maryan

La Robe brodée d'argent - M. Maryan


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de la mère Lehouarn.... Puisque vous êtes ici, restez vous reposer deux ou trois jours; il serait imprudent de partir dans l'état où vous êtes.

      —C'est trop de bonté, s'écria Landry, et je crains vraiment d'abuser....

      —Quand j'invite les gens, c'est que cela me convient, interrompit le maire d'un ton brusque; mais je n'ai pas l'habitude de les garder malgré eux, et si vous préférez partir, ma voiture est à votre disposition.

      Cette petite aventure, l'imprévu de cette situation, la nouveauté de ce milieu, tout cela semblait trop charmant à Landry pour qu'il refusât une offre si hospitalière.

      —Alors, vous restez, c'est arrangé. Vous êtes chez vous, et nous, nous irons à nos affaires comme si vous n'étiez pas là.... Où est Léna?

      —Elle travaille au bourg, aux oriflammes des Sœurs.... C'est demain la procession du Rosaire, dit Loïzik, se tournant vers Landry. Comme notre église est célèbre dans le pays, on y vient de loin, et.... je porte la Vierge, ajouta-t-elle, rougissant de plaisir.

      —Je serai ravi de voir une de vos processions! s'écria Landry, de plus en plus satisfait.

      —Allons, Loïzik, à l'ouvrage! interrompit le maire. Monsieur, vous pourrez vous reposer à votre aise, à moins que vous ne vouliez aller au jardin. A midi, le dîner sonnera... Mais d'abord, écrivez votre dépêche; un de mes pâtours ira la porter au bureau.

      Landry entra, pour rédiger un télégramme, dans le «bureau», pièce sombre, encombrée de paperasses et de registres, où se traitaient les détails de l'exploitation.

      —Voulez-vous des livres, Monsieur? demanda Loïzik de sa voix traînante.

      Sur sa réponse affirmative, elle ouvrit devant lui un des bahuts du salon, et lui montra du geste des rangées de livres de prix.

      Il en choisi deux ou trois au hasard, pour ne pas la mortifier, et remonta dans sa chambre, d'où il découvrait la cour, l'avenue, et un ciel de ce gris doux qu'il avait appris à aimer sur les monts d'Arrez. Il n'ouvrit pas les livres. Il aurait dû écrire à sa mère, et il se demandait dans quelle mesure il lui ferait part de son accident, quelle édition abrégée il en pourrait donner, et enfin sous quel aspect il lui présenterait son séjour dans cette ferme-manoir. Elle concevrait des inquiétudes immédiates, elle le rappellerait ou viendrait le retrouver... Et il voulait, lui, poursuivre le cours de cette amusante excursion, boire seul et à longs traits l'ivresse de son indépendance....

      Midi sonna avant qu'il eût pris une plume; et cependant, sur sa table, une main attentive avait éparpillé du papier mauve, des enveloppes, et un porte-plume en nacre, portant écrits ces mots, en minuscules lettres bleues: Souvenir de Sainte-Anne d'Auray.

      Une grande cloche fut mise en branle sous sa fenêtre, et presque aussitôt il entendit dans la cour un bruit de sabots. Il descendit, et vit les domestiques et les journaliers, en habit de travail, se presser dans la cuisine, remplie des vapeurs d'une succulente soupe aux choux. Les crêpes rissolaient sur la poêle, et les écuelles s'alignaient sur la table avec des pichets pleins d'eau. Mais en face, la porte de la «salle» était ouverte, et la famille, réunie autour de la table carrée, n'attendait évidemment que lui.

      En effet, dès qu'il eut passé le seuil, Loïzik lui montra sa place avec un petit sourire familier, tandis que le maire ôtait son chapeau et commençait le Benedicite. Aussitôt l'amen répondu, il replaça le feutre lourd sur sa tête, et désigna à Landry un jeune homme qu'il n'avait point encore aperçu.

      —Mon fils Goulven... Tout à l'heure, vous verrez ma nièce Léna, ou Hélène, si l'on veut, et vous connaîtrez alors tous les habitants du Coatlanguy, dit-il en plongeant une cuiller d'argent dans une soupière ventrue, pleine de la même soupe aux choux qu'on servait aux travailleurs.

      Dans la famille du maire, les jeunes filles étaient évidemment considérées comme sans importance. Aucune d'elles ne tenait la place de maîtresse de la maison; c'était Goulven qui s'asseyait en face de son père, et celui-ci plaça Landry à sa droite.

      Goulven de Coatlanguy était grand et robuste comme le maire; mais il n'avait pas, comme lui, un type aristocratique conservé à travers des générations, malgré les alliances nombreuses contractées avec des races à la fois plus rudes et plus humbles. Il était, lui aussi, habillé en paysan, avec une extrême propreté. Lui aussi parlait un français absolument pur, avec le même accent dur et chantant qu'avaient son père et sa cousine. Il semblait intelligent et s'intéressa aux réponses que lui fit Landry au sujet de son accident et de son auto.

      Mais, tout en parlant, les regards de Landry se portaient involontairement sur la place vacante en face de lui. Le maire aussi la regardait, et Loïzik se hâta de prévenir les signes de mécontentement qui devenaient visibles sur sa figure.

      —Mon oncle, les Sœurs auront retenu Léna jusqu'à l'Angelus, dit-elle, et, même en courant, il y a bien six minutes de la maison d'école au manoir...

      Elle parlait encore lorsqu'une voix gaie résonna dans l'allée.

      —Ne me grondez pas, oncle Alain! Nous avons collé des lettres dorées sur cinquante oriflammes! Il y en aura même pour les garçons, et je....

      Elle s'interrompit, confuse, s'apercevant de la présence de l'étranger, qu'elle avait oubliée, et s'arrêtant sur le seuil tandis que Landry se levait précipitamment.

      —Ne vous dérangez pas, ce n'est que Léna, dit le maire avec un sourire presque doux à l'adresse de la nouvelle venue. Allons, Lénik, mange vite ta soupe, tu bavarderas après.

      La jeune fille, intimidée, se glissa à sa place d'un pas souple, mais d'une allure effarouchée, et, dépliant sa serviette, en passa le coin dans la bavette de son tablier.

      Elle aussi était vêtue en paysanne, mais son costume était plus riche, et surtout plus seyant que celui de sa cousine. Elle portait, elle, la coiffe de dentelles aux ailes légères des Fouesnantaises. Le grand col empesé à la paille s'étalait sur ses épaules élégantes, en dégageant son cou à peine bruni. De dessous la coiffe, un épais chignon châtain clair, bien lissé, retombait sur la nuque, tandis que, de ses bandeaux, s'échappaient des frisures légères, accompagnant à ravir le plus joli visage qu'eut jamais vu Landry.

      —On voit bien que tu as couru et que tu as été au grand vent! dit Goulven d'un air mécontent. Voilà encore tes cheveux qui recommencent à s'échapper.

      Une vive rougeur couvrit les joues de Léna, et elle jeta un regard rapide sur Landry, tandis que, levant ses mains fines et légèrement dorées, elle essayait de remettre de l'ordre parmi les boucles rebelles. Elle rencontra le regard du jeune homme, si rempli d'une involontaire admiration, qu'elle rougit encore davantage, tout en répondant d'un air de reproche à son cousin.

      —Je ne puis changer la nature de mes cheveux, Goulven....

      Sa voix était plus harmonieuse que celle de sa cousine, et son accent moins prononcé.

      —Tu pourrais les cacher sous ta coiffe, comme faisaient ta tante et les jeunes filles de son temps, dit le maire secouant la tête.

      Le visage de Léna exprima un si vif effroi, que son oncle lui-même sourit.

      —Oui, oui, reprit-il, nos Bretonnes d'autrefois, les vraies, cachaient leurs cheveux à la manière des religieuses, et ne se souciaient pas de paraître jolies, mais d'être sages et vertueuses. Et les anciennes estampes montrent notre reine Anne elle-même sans un cheveu sur son grand front bombé.

      —Le temps a marché, depuis Anne de Bretagne, dit Léna avec une inflexion douce et moqueuse, et les reines d'aujourd'hui ne porteraient pas les coiffes d'antan!

      Le maire s'adressa à Landry, sans cesser de manger avec lenteur sa soupe aux choux. Il demeurait un peu éloigné de la table, et se penchait en avant, à la mode paysanne.

      —Nous sommes encore quelques-uns, dit-il, qui prétendons conserver les coutumes


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