Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Furetière Antoine

Le roman bourgeois: Ouvrage comique - Furetière Antoine


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(j'ay failly à dire: que j'ay déjà décrite) où il estoit allé le jour de cette solemnité dont j'ay parlé, pour toute autre affaire que pour prier Dieu. D'abord qu'il la vid il en fut charmé, et quand elle sortit il commanda à son page de la suivre pour sçavoir qui elle estoit; mais, devant que le page fut de retour, il avoit déjà tout sçeu d'un Suisse François qui chasse les chiens et louë les chaises dans l'eglise, et qui gagne plus à sçavoir les intrigues des femmes du quartier qu'à ses deux autres mestiers ensemble. Une piece blanche luy avoit donc appris le nom, la demeure, la qualité de Lucrece, celle de sa tante, ses exercices ordinaires et les noms de la pluspart de ceux qui la frequentoient; enfin mille choses qu'en une maison privée on n'auroit découvert qu'avec bien du temps; ce qui fait juger que celles où on se gouverne de la sorte commencent à passer pour publiques. Il songea, comme il estoit assez discret, à chercher quelqu'un qui le pust introduire chez elle; en tout cas, il se resolvoit de se servir du prétexte du jeu, qui est le grand passe-par-tout pour avoir entrée dans de telles compagnies; il n'eust besoin de l'une ni de l'autre, car dès le lendemain, passant en carrosse dans la ruë de Lucrece, il la vid de loin sur le pas de sa porte. L'impatience qu'elle avoit de voir que personne n'estoit encore venu l'y avoit portée, et dès qu'elle entendit le bruit d'un carrosse, elle tourna la teste de ce côté-là, pensant que c'estoit quelqu'un qui venoit chez elle. Le marquis se mit à la portiere pour la saluer et tascher à noüer conversation.

      Voicy une mal-heureuse occasion qui luy fut favorable: un petit valet de maquignon poussoit à toute bride un cheval qu'il piquoit avec un éperon rouillé, attaché à son soullier gauche; et comme la ruë estoit estroitte et le ruisseau large, il couvrit de bouë le carrosse, le marquis et la demoiselle. Le marquis voulut jurer, mais le respect du sexe le retint; il voulut faire courir après, mais le piqueur estoit si bien monté qu'on ne lui pouvoit faire de mal, si on ne le tiroit en volant. Il descendit, tout crotté qu'il estoit, pour consoler Lucrece et luy dit en l'abordant: Mademoiselle, j'ay esté puny de ma temerité de vous avoir voulu voir de trop prés; mais je ne suis pas si fâché de me voir en cet estat que je le suis de vous voir partager avec moi ce vilain present. Lucrece, honteuse de se voir ainsi ajustée, et qui n'avoit point de compliment prest pour un accident si inopiné, se contenta de luy offrir civilement la salle pour se venir nettoyer, ou pour attendre qu'il eust envoyé querir d'autre linge, et elle prit aussi-tost congé de luy pour en aller changer de son costé. Mais elle revint peu apres avec d'autre linge et un autre habit, et ce ne fut pas un suiet de petite vanité pour une personne de sa sorte de montrer qu'elle avoit plusieurs paires d'habits et de rapparter en si peu de temps un poinct de Sedan qui eut pû faire honte à un poinct de Gennes qu'elle venoit de quitter.

      La premiere chose que fit le marquis, ce fut d'envoyer son page en diligence chez luy, pour luy apporter aussi un autre habit et d'autre linge, esperant qu'on lui presteroit quelque garde-robe où il pourroit changer de tout. Mais le page revint tout en sueur luy dire que le valet de chambre avoit emporté la clef de la garde-robe, et que, depuis le matin qu'il avoit habillé son maistre, il ne revenoit à la maison que le soir, suivant la coustume de tous ces faineans, que leurs maistres laissent joüer, yvrogner et filouter tout le jour, faute de leur donner de l'employ, croyant deroger à leur grandeur, s'ils les employoient à plus d'un office. Il fallut donc qu'il prist, comme on dit, patience en enrageant, et qu'il condamnast son peu de prevoyance de n'avoir pas mis dans la voiture une carte où il y eust une garniture de linge, puisque le cocher avoit bien le soin d'y mettre un marteau et des clous pour r'attacher les fers des chevaux quand ils venoient à se déferrer. Tout ce qu'il pût faire, ce fut de se placer dans le coin de la salle le plus obscur et de se mettre encore contre le jour, afin de cacher ses playes le mieux qu'il pourroit. Il a juré depuis (et ce n'est pas ce qui doit obliger à le croire, car il juroit quelquefois assez legerement, mais j'ay veu des experts en galanterie qui disoient que cela pouvoit estre vray) que, dans toutes ses avantures amoureuses, il n'a jamais souffert un plus grand ennuy, ny de plus cuisantes douleurs, qu'avoir esté obligé de paroistre en ce mauvais estat la première fois qu'il aborda sa maistresse; aussi, quoy que la violence de son amour le pressast plusieurs fois de luy declarer sa passion, et qu'il s'en trouvast mesme des occasions favorables, il reserra tous ses compliments, et, s'imaginant qu'autant de crottes qu'il avoit sur son habit estoient autant de taches à son honneur, il estoit merveilleusement humilié, et il ressembloit au pan, qui, apres avoir regardé ses pieds, baisse incontinent la queuë.

      Le marquis d'abord souffroit patiemment tous ces brocards assez communs, et, pressé du remords de sa conscience, n'osoit se défendre d'une accusation dont il se sentoit fort bien convaincu. Enfin, on le poussa tant là dessus qu'il fut contraint de repartir: Je vois bien, mesdemoiselles, que vous me voulez obliger à défendre les gens mal-propres, mais je ne sçay si je pourray bien m'en acquitter, car jusqu'ici j'ay songé si peu à m'exercer sur cette matiere, que je ne croyois pas avoir jamais besoin d'en parler pour moy, sans le malheur qui m'est arrivé aujourd'huy. Vous en serez moins suspect (reprit Lucrece) si vous n'avez pas grand interet en la cause; il y a en recompense beaucoup de personnes a qui vous ferez grand plaisir de la bien plaider. Je ne suis point (dit le marquis) de profession à faire des plaidoyers ny des apologies, mais je dirai, puisqu'il s'en présente occasion, que je trouve estrange qu'en la pluspart des compagnies on n'estime point un homme, et qu'on ait mesme de la peine à le souffrir, s'il n'est dans une excessive propreté, et souvent encore s'il n'est magnifique. On n'examine point son merite; on en juge seulement par l'exterieur et par des qualitez qu'il peut aller prendre à tous moments à la rue aux Fers ou à la Fripperie. Cela est vray (dit en l'interrompant la franche bourgeoisie dont j'ay parlé), et si Paris est tellement remply de crottes, qu'on ne s'en sçauroit sauver.

      J'éprouve bien aujourd'huy (reprit le marquis), qu'on s'en sauve avec bien de la peine, puisque le carrosse ne m'en a pu garentir; et je me range à l'opinion de ceux qui soustiennent qu'il faut aller en chaise pour estre propre. L'ancien proverbe qui, pour expliquer un homme propre, dit qu'il semble sortir d'une boëte, se trouve bien vray maintenant, et c'est peut-estre luy qui a donné lieu


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