Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Furetière Antoine

Le roman bourgeois: Ouvrage comique - Furetière Antoine


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bourgeoisie, je veux dire si elle eust esté élevée parmi le beau monde, elle pouvoit donner beaucoup d'amour à un honneste homme. N'attendez pas pourtant que je vous la décrive icy, comme on a coustume de faire en ces occasions; car, quand je vous aurois dit qu'elle estoit de la riche taille, qu'elle avoit les yeux bleus et bien fendus, les cheveux blonds et bien frisez, et plusieurs autres particularitez de sa personne, vous ne la reconnoistriez pas pour cela, et ce ne seroit pas à dire qu'elle fût entierement belle; car elle pourroit avoir des taches de rousseurs, ou des marques de petite vérole. Témoin plusieurs héros et héroïnes, qui sont beaux et blancs en papier et sous le masque de roman, qui sont bien laids et bien basanez en chair et en os et à découvert. J'aurois bien plutost fait de vous la faire peindre au devant du livre, si le libraire en vouloit faire la dépense. Cela seroit bien aussi nécessaire que tant de figures, tant de combats, de temples et de navires, qui ne servent de rien qu'à faire acheter plus cher les livres[17]. Ce n'est pas que je veuille blasmer les images, car on diroit que je voudrois reprendre les plus beaux endroits de nos ouvrages modernes.

      Je reviens à ma belle questeuse, et pour l'amour d'elle je veux passer sous silence (du moins jusqu'à une autre fois) toutes les autres avantures qui arriverent cette journée-là dans cette grande assemblée de gens enroollez sous les étendars de la galanterie. Cette fille estoit pour lors dans son lustre, s'estant parée de tout son possible, et ayant esté coiffée par une demoiselle suivante du voisinage, qui avoit appris immediatement de la Prime. Elle ne s'estoit pas contentée d'emprunter des diamants, elle avoit aussi un laquais d'emprunt qui lui portoit la queue, afin de paroistre davantage. Or, quoy que cela ne fût pas de sa condition, neantmoins elle fut bien aise de ménager cette occasion de contenter sa vanité; car on ne doit point trouver à redire à tout ce qui se fait pour le service et l'avantage de l'Eglise. Quant à son meneur, c'estoit le maistre clerc du logis, qu'elle avoit pris par nécessité autant que par ostentation; car le moyen sans cela de traverser l'Eglise sur des chaises, sur lesquelles on entendoit le sermon, à moins que d'avoir une asseurance de danceur de corde? Avec ces avantages, elle fit fort bien le profit de la sacristie; mais avant que je la quitte, je suis encore obligé de vous dire qu'elle estoit fort jeune, car cela est necessaire à l'Histoire, comme aussi que son esprit avoit alors beaucoup d'innocence, d'ingenuité ou de sottise. Je n'ose dire asseurément laquelle elle avoit de ces trois belles qualitez; vous en jugerez vous-mesme par la suite.

      A cette solemnité se trouva un homme amphibie, qui estoit le matin advocat et le soir courtisan; il portoit le matin la robe au Palais pour plaider ou pour écouter, et le soir il portoit les grands canons, et les galands d'or, pour aller cajoler les dames. C'estoit un de ces jeunes bourgeois qui, malgré leur naissance et leur éducation, veulent passer pour des gens du bel air, et qui croyent, quand ils sont vestus à la mode et qu'ils méprisent ou raillent leur parenté, qu'ils ont acquis un grand degré d'élevation au dessus de leurs semblables. Cettuy-cy n'estoit pas reconnoissable quand il avoit changé d'habit. Ses cheveux, assez courts, qu'on luy voyoit le matin au Palais, estoient couverts le soir d'une belle perruque blonde, tres-frequemment visitée par un peigne qu'il avoit plus souvent à la main que dans sa poche. Son chapeau avoit pour elle un si grand respect, qu'il n'osoit presque jamais luy toucher. Son collet de manteau estoit bien poudré, sa garniture fort enflée, son linge orné de dentelle; et ce qui le paroit le plus estoit que, par bon-heur, il avoit un porreau au bas de la joue, qui luy donnoit un honneste prétexte d'y mettre une mouche. Enfin il estoit ajusté de manière qu'un provincial n'auroit jamais manqué de le prendre pour modelle pour se bien mettre. Mais j'ay eu tort de dire qu'il n'estoit pas reconnoissable: sa mine, son geste, sa contenance et son entretien le faisoient assez connoistre, car il est bien plus difficile d'en changer que de vestement, et toutes ses grimaces et affectations faisoient voir qu'il n'imitoit les gens de la cour qu'en ce qu'ils avoient de deffectueux et de ridicule. C'est ce qu'on peut dire, en passant, qui arrive à tous les imitateurs, en quelque genre que ce soit.

      Cet homme donc n'eut pas si-tost jetté les yeux sur Javotte (tel estoit le nom de la demoiselle charitable qui questoit) qu'il en devint fort passionné, chose pour lui fort peu extraordinaire, car c'estoit, à vray dire, un amoureux universel. Neantmoins, pour cette fois, l'Amour banda son arc plus fort, ou le tira de plus près, de sorte que la flèche enfonça plus avant dans son cœur qu'elle n'avoit accoustumé. Je ne vous sçaurois dire précisément quelle fut l'émotion que son cœur sentit à l'approche de cette belle (car personne pour lors ne luy tasta le poux), mais je sçay bien que ce fut ce jour-là précisément qu'il fit un vœu solemnel de luy rendre service. Bien-tost après, une heureuse occasion s'en présenta tout à propos. Elle vint quester à un jeune homme qui estoit auprès de luy. C'estoit un autre petit clerc du logis, très malicieux, qui estoit en colère contre elle parce qu'elle avoit retiré les clefs de la cave des mains d'une servante qui luy donnoit du vin. Comme il vid qu'elle faisoit vanité de faire voir que sa tasse estoit pleine d'or et de grosses pieces blanches, il tira de sa poche une poignée de deniers; il en arrosa sa tasse pour luy faire dépit, et couvrit toutes les pieces qu'elle estalloit en parade. La questeuse en rougit de honte, et du doigt écarta le plus qu'elle pût cette menue monnoye, qui, malgré toute son adresse, ne parût encore que trop. Ce fut alors que Nicodème (ainsi s'appeloit le nouveau blessé), lui presentant une pistolle, feignit de luy en demander la monnoye; mais il ne fit que retirer de la tasse les deniers, et il luy donna le reste en pur don.

      Cette nouvelle sorte de galenterie fut remarquée par Javotte, qui en son ame en eust de la joye, et qui crût en effet luy en avoir de l'obligation. Ce qui fit qu'au sortir de l'église, elle souffrit qu'il l'abordast avec un compliment qu'il avoit medité pendant tout le temps qu'il l'avoit attendue. Cette occasion luy fut fort favorable, car Javotte ne sortoit jamais sans sa mere, qui la faisoit vivre avec une si grande retenue qu'elle ne la laissoit jamais parler à aucun homme, ny en public, ny à la maison. Sans cela cet abord n'eut pas esté fort difficile pour luy, car, comme Javotte estoit fille d'un procureur et Nicodeme estoit advocat, ils estoient de ces conditions qui ont ensemble une grande affinité et sympathie, de sorte qu'elles souffrent une aussi prompte connoissance que celle d'une suivante avec un valet de chambre.

      Dès que l'office fut dit et qu'il la pût joindre, il luy dit, comme une tres-fine galanterie: Mademoiselle, à ce que je puis juger, vous n'avez pu manquer de faire une heureuse queste, avec tant de mérite et tant de beauté. Hélas, Monsieur (repartit Javotte avec une grande ingenuité), vous m'excuserez; je viens de la compter avec le pere sacristain: je n'ay fait que soixante et quatre livres cinq sous; mademoiselle Henriette fit bien dernièrement quatre-vingts dix livres; il est vray qu'elle questa tout le long des prieres de quarante heures, et que c'estoit en un lieu où il y avoit un Paradis le plus beau qui se puisse jamais voir. Quand je parle du bon-heur de vostre queste (dit Nicodeme), je ne parle pas seulement des charitez que vous avez recueillies pour les pauvres ou pour l'église; j'entens aussi parler du profit que vous avés fait pour vous. Ha! Monsieur (reprit Javotte), je vous asseure que je n'y en ay point fait; il n'y avoit pas un denier davantage que ce que je vous ay dit; et puis croyez-vous que je voulusse ferrer la mule en cette occasion? Ce seroit un gros peché d'y penser. Je n'entends pas (dit Nicodeme) parler ny d'or ny d'argent, mais je veux dire seulement qu'il n'y a personne qui, en vous donnant l'aumosne, ne vous ait en mesme temps donné son cœur. Je ne sçay (repartit Javotte) ce que vous voulez dire de cœurs; je n'en ay trouvé pas un seul dans ma tasse. J'entends (ajousta Nicodeme) qu'il n'y a personne à qui vous vous soyez arrestée qui, ayant veu tant de beauté, n'ait fait vœu de vous aimer et de vous servir, et qui ne vous ait donné son cœur. En mon particulier, il m'a esté impossible de vous refuser le mien. Javotte luy repartit naïvement: Et bien, Monsieur, si vous me l'avez donné, je vous ay en mesme temps répondu: Dieu vous le rende. Quoy! (reprit Nicodeme un peu en colère) agissant si serieusement, faut-il se railler de moy? et faut-il ainsi traitter le plus passionné de tous vos amoureux? A ce mot, Javotte répondit en rougissant: Monsieur,


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