Amitié amoureuse. Hermine Oudinot Lecomte du Noüy

Amitié amoureuse - Hermine Oudinot Lecomte du Noüy


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voilà, mon ami, comme un scandale peut naître d'un quiproquo, car il y a soufflet et soufflet, pas vrai?

      Ce vase précieux, amusant dans sa forme, ce saxe aux fleurs peintes, aux tulipes harmonieuses et brillantes, débordant de fleurs vraies embaumées et flexibles, est tout à fait élégant et joli; je l'aime et vous remercie de me l'avoir donné.

      Quel dommage que votre carte m'ait appris en même temps que vous partez pour Luzy; vous ne verrez pas nos joies toutes chaudes; elles sont meilleures ainsi pourtant, à la façon des petits pâtés.

       Philippe à Denise.

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      29 décembre.

      La nouvelle nouvelle, ma chère amie, est que je ne vais pas à la campagne. Je suis forcé de rester à Paris; j'ai eu avec mon frère une explication assez sèche; nous nous sommes quittés sur des mots aigre-doux. Dans ces conditions je le laisse partir seul. Passer huit jours en tête à tête avec quelqu'un qui boude me rendrait fou. Donc, je suis tout prêt à venir voir votre joie, bien heureux que ce soufflet, banal témoignage de ma grande affection, vous en ait donné.

       Denise à Philippe.

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      29 décembre, cinq heures.

      Qu'est-il donc arrivé? je comptais sur ce repos physique pour réconforter certains coins douloureux de votre pensée. Cela me cause un vrai chagrin de vous savoir triste et malheureux.

      Vous êtes, à tout prendre, une pauvre âme en peine qui m'intéressez. Pouvez-vous me confier ce nouveau souci? Alors, venez ce soir passer une heure avec moi. Je tâcherai de vous remonter un peu; vous savez, j'y réussis parfois.

      Je vous sens tellement las, las de tout, que je voudrais trouver des mots forts, quelque chose de sain qui vous fasse vraiment du bien.

      Et puis je compte sur vous pour déjeuner le premier janvier. Ce jour-là, la table est mise ici pour tous les sans-famille, les isolés, les abandonnés. C'est de fondation. Il y a des années où nous sommes quatre; d'autres, quinze. On échoue chez moi, on toaste ensemble et cela resserre les liens affectueux et donne à tous l'illusion de la famille.

      Le matin, vous faites vos visites officielles, vous cornez vos cartes; à midi et demi, vous arrivez et nous nous mettons à table. Mère préside avec moi; on passe ensemble le reste de la journée; on reçoit mes visites et le soir maman nous emmène tous dîner chez elle.

      Ma vie n'est pas encore bien longue et elle compte déjà, hélas! des disparus parmi ces convives du jour de l'an. Je me souviens d'un de ces déjeuners où étaient présents entre autres, Jean Baudry, Guy de Maupassant, Renan.—Maupassant avait fait apporter pour Hélène, par son fidèle François, toute une valise, une grande valise pleine de jouets, de ces joujoux de treize à quarante-cinq sous des petites boutiques ambulantes des boulevards.

      Après le déjeuner on vida la valise sur le tapis où, jolie dans sa robe décolletée qui laissait voir sa peau rosée encore pleine de lait, sa chair fraîche et ronde de baby de deux ans, tite-Lène, assise par terre, trônait. Et c'étaient des étonnements, des cris de joie, aussi bien des grands que de la petite, sur les mille combinaisons de mouvements de tous ces jouets; ils roulaient, marchaient, sifflaient, couraient. Une vie lilliputienne grouillait autour de ma fille qui, géante, se donnait de temps en temps le plaisir d'écraser un objet de ce petit monde mis en mouvement par des ficelles.

      Que croyez-vous que faisaient devant ce spectacle mes hommes illustres? qu'ils philosophaient? point: tous vautrés sur le tapis, ils attrapaient au passage et se renvoyaient l'un à l'autre petits bonhommes, toupies, porteuses de pain, moulins à vent, vélocipèdes, tournant, courant, voletant, tourbillonnant. Et c'étaient des cris: «La ficelle? où est ma ficelle? Bon! Baudry me l'a chipée et l'accapare!—Mais non, c'est Maupassant qui la mange!—Oh! Regardez ça, mes enfants, c'est trouvé!» Et des enthousiasmes, et des joies, et des baisers à Hélène qui, s'avisant dans cette foule de jouets d'en détester un, un moulin qui marchait en même temps qu'il tournait les ailes—pourquoi? Quel mystère que les cerveaux des petits!—crachait vaillamment dessus toutes les fois qu'il passait à portée de sa bouche.

      Et pendant ce temps-là des gens venaient, très graves, me faire des visites. A chaque coup de timbre on fermait précipitamment la porte qui sépare le grand salon du petit; je recommandais à tous d'être sages, de ne pas faire de bruit, et, bien sérieuse, j'allais recevoir le visiteur dans le petit salon. Quand mes joueurs ne se mettaient pas tout à coup à hurler de joie, ça allait bien. Autrement, j'expliquais... vaguement. Mais, si le nouveau venu était un ami des grands hommes, on l'introduisait et peu après c'était un ventre de plus par terre. Et tite-Lène, autant amusée des gambades de ses grands amis que des courses de ses pantins, montrait ses quenottes, se laissait bécoter, enlever triomphalement dans les airs.

      Les sacs de bonbons étaient mis au pillage; une fois goûtés, ceux que les grands n'aimaient pas s'empilaient dans une coupe où déjà les morceaux gisaient en attendant d'être jetés. «La coupe amère des Refusés», disait gaiement Baudry. Voilà, mon ami, des joies simples comme il vous en faut. Je puis compter sur vous, pas vrai?

      Une idée: voudrez-vous partir le lendemain pour Nimerck avec mon frère Gérald? Il va y rester huit jours pour faire commencer les travaux de restauration d'une aile du vieux château. Ce déplacement vous changerait d'air et vous ferait du bien.

       Philippe à Denise.

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      30 décembre.

      Vous êtes bonne, madame, grande et bonne et je vous aime. J'accepte de faire partie du déjeuner des Abandonnés. Je n'en serai pas un illustre, mais un profondément reconnaissant et dévotement admirateur de la fée indulgente et douce que vous êtes aux pauvres humains.

       Denise à Philippe.

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      16 janvier.

      Vous m'intéressez infiniment, j'aime mieux vous le dire tout de suite afin que mes actes se classent vis-à-vis de vous pour ce qu'ils sont: une recherche toute spirituelle. Je viens d'aller révérender ma belle-mère. Ma nièce y faisait les honneurs du thé; il y avait là quelques jeunes femmes, entre autres Germaine Dalvillers. Vous ne m'aviez pas dit que sa mère vous avait connu enfant? On a parlé de vous. Ah! ah! vous voudriez savoir, curieux? Germaine racontait que vous étiez un petit mélancolique et caressant; la grâce, le charme presque féminin du baby gagnait le cœur des mères.

      Tandis que la conversation sautait de vous aux deux teams en présence au dernier bye du Polo, je songeais: toute cette grâce, cette mélancolie, ont tourné en séduction. Mais n'y a-t-il pas perdu ses énergies? Vous étiez l'enfant ami du plaisir, des gâteaux, des élégances, des nonchalances, de la caresse qui effleure. N'êtes-vous pas demeuré trop cet enfant-là?

      Je suis tout étonnée de vous découvrir ce que vous êtes. La force de votre esprit m'avait fait supposer en vous un autre homme. Votre intelligence subtile, profonde, mâle et froide, un peu dédaigneuse aussi, donne le change sur votre cœur hésitant et votre volonté faible. Quand vous êtes auprès de moi, je reste sous l'enchantement de votre parole


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