Amitié amoureuse. Hermine Oudinot Lecomte du Noüy

Amitié amoureuse - Hermine Oudinot Lecomte du Noüy


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jugement sain, ma raisonnabilité, comme vous dites plaisamment. Peut-être exagérez-vous l'importance de nos gestes moraux? A force de s'analyser ainsi, toute verve, tout élan, ne quittent-ils pas nos âmes? elles n'ont plus de sensations imprévues, les seules vibrantes, elles finissent par poser devant nous-mêmes; n'est-ce pas alors que l'esprit s'égare?

      «Quittez-vous, renoncez à vous et vous jouirez d'une grande paix intérieure—est-il dit dans l'Imitation,—alors s'évanouiront toutes les pensées vaines, les pénibles inquiétudes, les soins superflus.»

      Ne voilà-t-il pas un beau texte pour vous distraire? Vous devriez m'aimer à la folie, de vous envoyer des points d'interrogation sur de tels aperçus philosophiques!

       Philippe à Denise.

       Table des matières

      17 janvier.

      Vous semez nos rapports d'exquisité, madame; j'ai posé mes lèvres avides d'un peu de vous, n'en fût-ce que l'apparence, sur chacun de vos points d'interrogation. Mais comme vous devenez sévère! pourquoi me demander le pourquoi d'un éternel malaise de mon cerveau? Puis-je dire à ma sensibilité: cesse de demeurer en moi; à mon imagination: cesse de vivre. Et puis quelle ressource voulez-vous que je tire de mon corps misérable? Arrivé au détachement du seul moi qui m'intéresse, faudra-t-il donc me livrer à un labeur constant, matériel, qui me transformera, à votre idée, en bon lutteur contre la vie? Dites, quel sera le beau résultat? Ma manière de vivre c'est d'être sans volonté, hors pour cette recherche de cueillir de ci, de là, quelques impressions rares; c'est le seul accent demandé par moi à la vie monotone et lourde; ma nonchalance, c'est le talisman qui me fait pénétrer plus avant dans la joie, la douleur: je change en œuvres vives les recherches, les découvertes faites sur l'âme des autres, surtout sur la mienne. N'est-ce pas une belle puissance? Allez, bien que courtes, mes joies sont supérieures. Je délaisse le fruit pour me nourrir de la sève, vraie puissance créatrice.

      Pourquoi cet éternel reproche de n'être pas occupé comme tous de ma place à conquérir dans le monde? Me voyez-vous avocat, magistrat, médecin? J'aurais daigné avoir une seule chose: du génie. Puisque je n'en ai pas, il faut bien me consoler avec mes rêves. Je suis «léger, sceptique, entraînable, irrésolu, capable de tout et de rien, égoïste et généreux, me donnant et me reprenant sans cesse, combattu par des instincts contraires,»—comme dit l'autre,—«tirant profit des circonstances sans prendre la peine de les faire naître». Soit. Encore un coup qu'y puis-je faire? Les éléments que s'assimile le cerveau humain ont cela de merveilleux qu'ils produisent des résultats très différents en changeant d'individus. Les uns sont spéculatifs, les autres, rêveurs; les calmes ont la richesse du sang, les nerveux, la puissance des sensations. D'un même principe éclate la prodigieuse variété des êtres. La même éducation a fait de mon frère un soldat, de moi, un rêveur. Il est tout action, je suis tout pensée. Notre cerveau élaborant la même substance en a fait une nutrition différente. Qu'y puis-je? Je ne me vante pas plus d'avoir quelques dispositions à rechercher le secret des causes finales, que lui ne doit se réjouir d'être un gaillard à l'organisme parfait, très et uniquement préoccupé de gagner promptement ses galons à sa sortie de Saint-Cyr.

      Nous touchons là, madame, l'obscure mystère de l'atome de valeur différente que, chacun, nous sommes.

      Est-ce que je vous demande pourquoi vous êtes si brune, si svelte, si pâle? Savez-vous le pourquoi de vos énergies? Celui de votre beauté physique? Celui mille fois rare et précieux de votre beauté morale? Ah! madame Tanagrette, vous êtes vous, et c'est assez pour moi.

      Vous m'avez dit l'autre soir: «Je voudrais vous trouver une carrière pouvant fournir quelque distraction à votre esprit, une pâture réconfortante à votre âme souffrante.» Folie! ma carrière c'est de n'en pas avoir. Je ne vous demande qu'une chose: ne vous désintéressez pas de moi. Ne vous effarouchez pas de cette grande ambition, ne prenez pas cet air hautain que j'adore, écoutez-moi: Connaissez-vous rien de plus puissant, pour exprimer l'union infinie, que la parole du Dante: ces deux qui vont ensemble.—Quelle dépendance noble on prévoit de l'un et de l'autre. Cette courte phrase éveille à la pensée les affinités mystérieuses unissant étroitement les âmes sans les confondre jamais: «Ces deux qui vont ensemble...» Voulez-vous que nous soyons ceux-là?

      Et puis, madame, n'allez-pas là-dessus faire l'effarouchée et me gronder; tout cela est de votre faute... Pourquoi votre amitié m'est-elle devenue si douce? Les heures passées auprès de vous, si courtes? Le souvenir de tout ce qui est vous, si cher? A force de chercher, je l'ai découvert: votre cœur dirige vos actes, guide vos pensées; il féconde votre esprit, il attire, il enveloppe, il garde à jamais. Toutes vos actions s'échappent de ce cœur, s'imprègnent de lui. Voilà. Mes aperçus philosophiques ne valent-ils pas les vôtres?

       Denise à Philippe.

       Table des matières

      18 janvier.

      Voilà!... C'est bientôt dit, monsieur; après tous ces beaux discours, croyez-vous qu'il va m'être facile de rester modeste? Prenez garde, vous m'admirez trop; votre amitié me semble fondée sur l'illusion, c'est une fragile assise. Quels mécomptes vous vous préparez! Vous m'allez découvrir un beau jour... quelle chute! j'en ai la chair de poule, monsieur mon ami.

      Ma nourrice, restée servante auprès de moi devenue grande, me disait, lorsque je me jetais à son cou trop ardemment: «Aimez-moi moins à la fois, Nisette, vous m'aimerez plus longtemps.»

      Les amitiés durables ne naissent pas d'un caprice, songez à cela; voilà seulement quatre mois que vous m'avez découverte; pourtant, il y a deux ou trois ans que nous nous rencontrons dans le monde. Quel engouement subit vous a poussé vers moi? Vous me saluiez indifférent. Il a fallu un soir de morne ennui pour que vous daigniez venir vous asseoir auprès de moi. Notre rencontre a été une chose charmante, mais n'exagérons rien, cher nouvel ami, et mettons, je vous prie, les choses au point.

      Je veux bien être «ces deux qui vont ensemble» s'ils ne vont pas trop loin.

      Voulez-vous que je vous dise? la variété dans l'équilibre, voilà peut-être ce qui vous attire vers moi; mais j'ai un peu peur que ces vitalités, ces langueurs, ces puissances de réplique qui vous charment, ne me viennent de vous, suscitées en moi par le souffle créateur, intellectuel et fort, qui demeure en tout homme même insciemment.

      Si je raisonne juste, quel petit néant je serais!

       Philippe à Denise.

       Table des matières

      19 janvier.

      Vous vous trompez, madame mon amie, c'est vous qui possédez le souffle créateur; vous êtes, de plus, la séduction faite femme.

      J'ai mis un long temps à vous découvrir? C'est mal à vous de me le reprocher. Vous portiez par le monde une certaine hauteur un peu arrogante bien faite pour éloigner un sensitif de mon espèce. Je vous admirais sans oser approcher. Lorsque de temps en temps je m'oublie à savourer mes souvenirs, si loin que je les remonte, je vous retrouve en ma pensée: fine, jolie, flexible, délicate et si pâle... Je vous saluais et je passais, n'ayant pas l'orgueil de croire possible un intérêt de vous venant jusqu'à moi.

      Cette soirée ennuyeuse, je la bénis. Voilà, madame, comme les épreuves communes créent inopinément, entre les âmes, les plus forts liens!

      


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