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      Au bout d’un moment, il prit sa feuille de papier et lut à haute voix :

       Nos jours s’en vont à la dérive,

       Comme emportés par un courant

       Qui les pousse vers une rive

       Que l’on n’aborde qu’en mourant.

      – Pas mal, fit une voix derrière lui, Mme Amable Tastu n’eût pas fait mieux. Enfin, tout le monde ne peut pas être Lamartine.

      – Vous ! Vous ! balbutia le jeune homme avec égarement.

      – Mais oui, poète, moi-même, Arsène Lupin qui vient voir son cher ami Pierre Leduc.

      Pierre Leduc se mit à trembler, comme grelottant de fièvre. Il dit à voix basse :

      – L’heure est venue ?

      – Oui, mon excellent Pierre Leduc, l’heure est venue pour toi de quitter ou plutôt d’interrompre la molle existence de poète que tu mènes depuis plusieurs mois aux pieds de Geneviève Ernemont et de Mme Kesselbach, et d’interpréter le rôle que je t’ai réservé dans ma pièce… une jolie pièce, je t’assure, un bon petit drame bien charpenté, selon les règles de l’art, avec trémolos, rires et grincements de dents. Nous voici arrivés au cinquième acte, le dénouement approche, et c’est toi, Pierre Leduc, qui en est le héros. Quelle gloire !

      Le jeune homme se leva :

      – Et si je refuse ?

      – Idiot !

      – Oui, si je refuse ? Après tout, qui m’oblige à me soumettre à votre volonté ? Qui m’oblige à accepter un rôle que je ne connais pas encore, mais qui me répugne d’avance, et dont j’ai honte ?

      – Idiot ! répéta Lupin.

      Et, forçant Pierre Leduc à s’asseoir, il prit place auprès de lui et, de sa voix la plus douce :

      – Tu oublies tout à fait, bon jeune homme, que tu ne t’appelles pas Pierre Leduc, mais Gérard Baupré. Si tu portes le nom admirable de Pierre Leduc, c’est que toi, Gérard Baupré, tu as assassiné Pierre Leduc et lui as volé sa personnalité.

      Le jeune homme sauta d’indignation :

      – Vous êtes fou ! Vous savez bien que c’est vous qui avez tout combiné…

      – Parbleu, oui, je le sais bien, mais la justice, quand je lui fournirai la preuve que le véritable Pierre Leduc est mort de mort violente, et que, toi, tu as pris sa place ?

      Atterré le jeune homme bégaya :

      – On ne le croira pas… Pourquoi aurais-je fait cela ? Dans quel but ?

      – Idiot ! Le but est si visible que Weber lui-même l’eût aperçu. Tu mens quand tu dis que tu ne veux pas accepter un rôle que tu ignores. Ce rôle, tu le connais. C’est celui qu’eût joué Pierre Leduc, s’il n’était pas mort.

      – Mais Pierre Leduc, pour moi, pour tout le monde, ce n’est encore qu’un nom. Qui était-il ? Qui suis-je ?

      – Qu’est-ce que ça peut te faire ?

      – Je veux savoir. Je veux savoir où je vais.

      – Et si tu le sais, marcheras-tu droit devant toi ?

      – Oui, si ce but dont vous parlez en vaut la peine.

      – Sans cela, crois-tu que je me donnerais tant de mal ?

      – Qui suis-je ? Et quel que soit mon destin, soyez sûr que j’en serai digne. Mais je veux savoir. Qui suis-je ?

      Arsène Lupin ôta son chapeau, s’inclina et dit :

      – Hermann IV, grand-duc de Deux-Ponts-Veldenz, prince de Berncastel, électeur de Trêves, et seigneur d’autres lieux.

      Trois jours plus tard. Lupin emmenait Mme Kesselbach en automobile du côté de la frontière. Le voyage fut silencieux.

      Lupin se rappelait avec émotion le geste effrayé de Dolorès et les paroles qu’elle avait prononcées dans la maison de la rue des Vignes au moment où il allait la défendre contre les complices d’Altenheim. Et elle devait s’en souvenir aussi car elle restait gênée en sa présence, et visiblement troublée.

      Le soir, ils arrivèrent dans un petit château tout vêtu de feuilles et de fleurs, coiffé d’un énorme chapeau d’ardoises, et entouré d’un grand jardin aux arbres séculaires.

      Ils y trouvèrent Geneviève déjà installée, et qui revenait de la ville voisine où elle avait choisi des domestiques du pays.

      – Voici votre demeure, madame, dit Lupin. C’est le château de Bruggen. Vous y attendrez en toute sécurité la fin de ces événements. Demain, Pierre Leduc, que j’ai prévenu, sera votre hôte.

      Il repartit aussitôt, se dirigea sur Veldenz et remit au comte de Waldemar le paquet des fameuses lettres qu’il avait reconquises.

      – Vous connaissez mes conditions, mon cher Waldemar, dit Lupin… Il s’agit, avant tout, de relever la maison de Deux-Ponts-Veldenz et de rendre le grand-duché au grand-duc Hermann IV.

      – Dès aujourd’hui je vais commencer les négociations avec le conseil de régence. D’après mes renseignements, ce sera chose facile. Mais ce grand-duc Hermann…

      – Son Altesse habite actuellement, sous le nom de Pierre Leduc, le château de Bruggen. Je donnerai sur son identité toutes les preuves qu’il faudra.

      Le soir même, Lupin reprenait la route de Paris, avec l’intention d’y pousser activement le procès de Malreich et des sept bandits.

      Ce que fut cette affaire, la façon dont elle fut conduite, et comment elle se déroula, il serait fastidieux d’en parler, tellement les faits, et tellement même les plus petits détails, sont présents à la mémoire de tous. C’est un de ces événements sensationnels, que les paysans les plus frustes des bourgades les plus lointaines commentent et racontent entre eux.

      Mais ce que je voudrais rappeler, c’est la part énorme que prit Arsène Lupin à la poursuite de l’affaire, et aux incidents de l’instruction.

      En fait, l’instruction ce fut lui qui la dirigea. Dès le début, il se substitua aux pouvoirs publics, ordonnant les perquisitions, indiquant les mesures à prendre, prescrivant les questions à poser aux prévenus, ayant réponse à tout…

      Qui ne se souvient de l’ahurissement général, chaque matin, quand on lisait dans les journaux ces lettres irrésistibles de logique et d’autorité, ces lettres signées tour à tour :

       Arsène Lupin, juge d’instruction.

       Arsène Lupin, procureur général.

       Arsène Lupin, garde des Sceaux.

       Arsène Lupin, flic.

      Il apportait à la besogne un entrain, une ardeur, une violence même, qui étonnaient de sa part à lui, si plein d’ironie habituellement, et, somme toute, par tempérament, si disposé à une indulgence en quelque sorte professionnelle.

      Non, cette fois, il haïssait.

      Il haïssait ce Louis de Malreich, bandit sanguinaire, bête immonde, dont il avait toujours eu peur, et qui, même enfermé, même vaincu, lui donnait encore cette impression d’effroi et de répugnance que l’on éprouve à la vue d’un reptile.

      En outre, Malreich n’avait-il pas eu l’audace de persécuter Dolorès ?

      « Il a joué, il a perdu, se disait Lupin, sa tête sautera. »

      C’était


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