Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан

Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète) - Морис Леблан


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la moitié d’une facture anglaise. John Howard, verrier à Stourbridge, avait fourni au député Daubrecq un flacon de cristal conforme au modèle. Le mot « cristal » me frappa, je partis pour Stourbridge, je soudoyai le contremaître de la verrerie, et j’appris que le bouchon de ce flacon, d’après la formule même de la commande, avait été évidé intérieurement de manière à laisser un vide qu’il fût impossible de soupçonner. »

      Lupin hocha la tête.

      Le renseignement ne laissait aucun doute. Pourtant il ne m’a pas semblé que, même sous la couche d’or… Et puis la cachette serait bien exiguë.

      – Exiguë, mais suffisante, dit-elle.

      – Comment le savez-vous ?

      – Par Prasville.

      – Vous le voyez donc ?

      – Depuis cette époque, oui. Auparavant, mon mari et moi, nous avions cessé toutes relations avec lui, à la suite de certains incidents équivoques. Prasville est un homme de moralité plus que douteuse, un ambitieux sans scrupules, et qui certainement a joué dans l’affaire du Canal des Deux-mers un vilain rôle. A-t-il touché ? C’est probable. N’importe, j’avais besoin d’un secours. Il venait d’être nommé secrétaire général de la Préfecture. C’est donc lui que je choisis.

      – Connaissait-il, interrogea Lupin, la conduite de votre fils Gilbert ?

      – Non. Et j’eus la précaution, justement en raison de la situation qu’il occupe, de lui confirmer, comme à tous nos amis, le départ et la mort de Gilbert. Pour le reste, je lui dis la vérité, c’est à dire les motifs qui avaient déterminé le suicide de mon mari, et le but de vengeance que je poursuivais. Quand je l’eus mis au courant de mes découvertes, il sauta de joie et je sentis que sa haine contre Daubrecq n’avait point désarmé. Nous causâmes longtemps, et j’appris de lui que la liste était écrite sur un bout de papier pelure, extrêmement mince, et qui, réduit en une sorte de boulette, pouvait parfaitement tenir dans un espace des plus restreints. Pour lui comme pour moi, il n’y avait pas la moindre hésitation. Nous connaissions la cachette. Il fut entendu que nous agirions chacun de notre côté, tout en correspondant secrètement. Je le mis en rapport avec Clémence, la concierge du square Lamartine qui m’était toute dévouée…

      – Mais qui l’était moins à Prasville, dit Lupin, car j’ai la preuve qu’elle le trahit.

      – Maintenant peut-être, au début, non, et les perquisitions de la police furent nombreuses. C’est à ce moment, il y a de cela dix mois, que Gilbert reparut dans ma vie. Une mère ne cesse pas d’aimer son fils, quoi qu’il ait fait, quoi qu’il fasse. Et puis Gilbert a tant de charme !… Vous le connaissez. Il pleura, il embrassa mon petit Jacques, son frère… Je pardonnai.

      Elle prononça, la voix basse, les yeux fixés au sol :

      – Plût au ciel que je n’aie pas pardonné ! Ah ! Si cette heure pouvait renaître comme j’aurais l’affreux courage de le chasser Mon pauvre enfant… c’est moi qui l’ai perdu…

      Elle continua pensivement :

      – J’aurais eu tous les courages s’il avait été tel que je me l’imaginais, et tel qu’il fut longtemps, m’a-t-il dit… marqué par la débauche et par le vice, grossier, déchu… Mais, s’il était méconnaissable comme apparence, au point de vue, comment dirais-je ? Au point de vue moral, sûrement, il y avait une amélioration. Vous l’aviez soutenu, relevé, et quoique son existence me fût odieuse… tout de même il gardait une certaine tenue… quelque chose comme un fond d’honnêteté qui remontait à la surface… Il était gai, insouciant, heureux… Et il me parlait de vous avec tant d’affection !

      Elle cherchait ses mots, embarrassée, n’osant trop condamner, devant Lupin, le genre d’existence qu’avait choisi Gilbert, et cependant ne pouvant en faire l’éloge.

      – Après ? dit Lupin.

      – Après, je le revis souvent. Il venait me voir, furtivement, ou bien j’allais le retrouver, et nous nous promenions dans la campagne. C’est ainsi que, peu à peu, j’ai été amenée à lui raconter notre histoire. Tout de suite, il s’enflamma. Lui aussi voulait venger son père et, en dérobant le bouchon de cristal, se venger lui-même du mal que Daubrecq lui avait fait. Sa première idée, et là-dessus, je dois le dire, il ne varia jamais, fut de s’entendre avec vous.

      – Eh bien, s’écria Lupin, il fallait…

      – Oui, je sais… et j’étais du même avis. Par malheur, mon pauvre Gilbert – vous savez comme il est faible – subissait l’influence d’un de ses camarades.

      – Vaucheray, n’est-ce pas ?

      – Oui, Vaucheray, une âme trouble, pleine de fiel et d’envie, un ambitieux sournois, un homme de ruse et de ténèbres, et qui avait pris sur mon fils un empire considérable. Gilbert eut le tort de se confier à lui et de lui demander conseil. Tout le mal vient de là. Vaucheray le convainquit et me convainquit moi aussi, qu’il valait mieux agir par nous-mêmes. Il étudia l’affaire, en prit la direction, et finalement organisa l’expédition d’Enghien et, sous votre conduite, le cambriolage de la villa Marie-Thérèse, que Prasville et ses agents n’avaient pu visiter à fond, par suite de la surveillance active du domestique Léonard. C’était de la folie. Il fallait, ou bien s’abandonner à votre expérience, ou bien vous tenir absolument en dehors du complot, sous peine de malentendu funeste et d’hésitation dangereuse. Mais que voulezvous ? Vaucheray nous dominait. J’acceptai une entrevue avec Daubrecq au théâtre. Pendant ce temps l’affaire eut lieu. Quand je rentrai chez moi vers minuit, j’en appris le résultat effroyable, le meurtre de Léonard, l’arrestation de mon fils. Aussitôt j’eus l’intuition de l’avenir. L’épouvantable prédiction de Daubrecq se réalisait, c’étaient les assises, c’était la condamnation. Et cela par ma faute, par la faute de moi, la mère, qui avait poussé mon fils vers l’abîme d’où rien ne pouvait plus le tirer.

      Clarisse se tordait les mains et des frissons de fièvre la secouaient. Quelle souffrance peut se comparer à celle d’une mère qui tremble pour la tête de son fils. Ému de pitié, Lupin lui dit :

      – Nous le sauverons. Là-dessus il n’y pas l’ombre d’un doute. Mais il est nécessaire que je connaisse tous les détails. Achevez, je vous en prie… Comment avez-vous su, le soir même, les événements d’Enghien ?

      Elle se domina et, le visage contracté d’angoisse, elle répondit :

      – Par deux de vos complices, ou plutôt par deux complices de Vaucheray à qui ils étaient entièrement dévoués et qu’il avait choisis pour conduire les deux barques.

      – Ceux qui sont là dehors, Grognard et Le Ballu ?

      – Oui. À votre retour de la villa, lorsque, poursuivi sur le lac par le commissaire de police, vous avez abordé, vous leur avez jeté quelques mots d’explication tout en vous dirigeant vers votre automobile. Affolés, ils sont accourus chez moi, où ils étaient déjà venus et m’ont appris l’affreuse nouvelle. Gilbert était en prison ! Ah ! L’effroyable nuit ! Que faire ? Vous chercher ? Certes, et implorer votre secours. Mais où vous retrouver ? C’est alors que Grognard et Le Ballu, acculés par les circonstances, se décidèrent à m’expliquer le rôle de leur ami Vaucheray, ses ambitions, son dessein longuement mûri…

      – De se débarrasser de moi, n’est-ce pas ? ricana Lupin.

      – Oui. Gilbert ayant toute votre confiance, il surveillait Gilbert et, par là, il connut tous vos domiciles. Quelques jours encore, une fois possesseur du bouchon de cristal, maître de la liste des vingt-sept, héritier de la toute puissance de Daubrecq, il vous livrait à la police, sans que votre bande, désormais la sienne, fût seulement compromise.

      – Imbécile ! murmura Lupin… un sous-ordre comme lui !

      Et il ajouta :

      – Ainsi donc, les panneaux des portes…


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