Les Aventures d'Arsène Lupin (La collection complète). Морис Леблан
Oui… oui… c’est cela…
– Et comme condition, une seule, n’est-ce pas ? Une condition abominable, telle que ce misérable pouvait l’imaginer ? J’ai compris, n’est-ce pas ?
Clarisse ne répondit point. Elle semblait épuisée par une longue lutte contre un ennemi qui, chaque jour, gagnait du terrain, et contre qui il était vraiment impossible qu’elle combattît.
Lupin vit en elle la proie conquise d’avance, livrée au caprice du vainqueur. Clarisse Mergy, la femme aimante de ce Mergy que Daubrecq avait réellement assassiné, la mère épouvantée de ce Gilbert que Daubrecq avait dévoyé, Clarisse Mergy, pour sauver son fils de l’échafaud, devrait, quoi qu’il advînt, se soumettre au désir de Daubrecq. Elle serait la maîtresse, la femme, l’esclave obéissante de ce personnage innommable auquel Lupin ne pouvait songer sans un soulèvement de révolte et de dégoût.
S’asseyant auprès d’elle, doucement, avec des gestes de compassion, il la contraignit à lever la tête, et il lui dit, les yeux dans les yeux :
– Écoutez-moi bien. Je vous jure de sauver votre fils… je vous le jure… Votre fils ne mourra pas, vous entendez… Il n’y a pas de force au monde qui puisse faire que, moi vivant, l’on touche à la tête de votre fils.
– Je vous crois… J’ai confiance en votre parole.
– Ayez confiance… c’est la parole d’un homme qui ne connaît pas la défaite. Je réussirai. Seulement, je vous supplie de prendre un engagement irrévocable.
– Lequel ?
– Vous ne verrez plus Daubrecq.
– Je vous le jure !
– Vous chasserez de votre esprit toute idée, toute crainte, si obscure soit-elle, d’un accord entre vous et lui… d’un marché quelconque…
– Je vous le jure.
Elle le regardait avec une expression de sécurité et d’abandon absolu, et, sous son regard, il éprouvait l’allégresse de se dévouer, et le désir ardent de rendre à cette femme le bonheur, ou, tout au moins, la paix et l’oubli qui ferment les blessures.
– Allons, dit-il en se levant, et d’un ton joyeux, tout ira bien. Nous avons deux mois, trois mois devant nous. C’est plus qu’il n’en faut… à condition, bien entendu, que je sois libre de mes mouvements. Et pour cela, voyez-vous, vous devez vous retirer de la bataille.
– Comment ?
– Oui, disparaître pendant quelque temps, vous installer à la campagne. D’ailleurs, n’avez-vous pas pitié de votre petit Jacques ? À ce jeu-là, on lui démolirait les nerfs, au pauvre gosse… Et vrai, il a bien gagné son repos… N’est-ce pas, Hercule ?
Le lendemain, Clarisse Mergy, que tant d’événements avaient abattue et qui, elle aussi, sous peine de tomber malade, avait besoin d’un peu de répit, prenait pension avec son fils chez une dame de ses amies dont la maison s’élevait à la lisière même de la forêt de Saint-Germain. Très faible, le cerveau obsédé de cauchemars, en proie à des troubles nerveux que la moindre émotion exaspérait, elle vécut là quelques jours d’accablement physique et d’inconscience. Elle ne pensait plus à rien. La lecture des journaux lui était défendue.
Or, un après-midi, alors que Lupin, changeant de tactique, étudiait le moyen de procéder à l’enlèvement et à la séquestration du député Daubrecq, alors que Grognard et Le Ballu, auxquels il avait promis leur pardon en cas de réussite, surveillaient les allées et venues de l’ennemi, alors que tous les journaux annonçaient la comparution prochaine devant les assises des complices d’Arsène Lupin, tous deux accusés d’assassinat – un après-midi, vers quatre heures, une sonnerie brusque retentit dans l’appartement de la rue Chateaubriand.
C’était le téléphone.
Lupin décrocha le récepteur.
– Allô ?
Une voix de femme, une voix essoufflée articula :
– M. Michel Beaumont ?
– C’est moi, madame. À qui ai-je l’honneur…
– Vite, monsieur, venez en toute hâte, Mme Mergy vient de s’empoisonner.
Lupin ne demanda pas plus d’explications. Il s’élança de chez lui, monta dans son automobile et se fit conduire à Saint-Germain.
L’amie de Clarisse l’attendait au seuil de la chambre.
– Morte ? dit-il.
– Non, la dose était insuffisante. Le médecin sort d’ici. Il répond d’elle.
– Et pour quelle raison a-t-elle tenté ?
Son fils Jacques a disparu.
– Enlevé ?
– Oui, il jouait à l’entrée de la forêt. On a vu une automobile s’arrêter… deux vieilles dames en descendre. Puis il y eut des cris. Clarisse a voulu courir, mais elle est tombée sans forces, en gémissant : « C’est lui… c’est cet homme… tout est perdu. » Elle avait l’air d’une folle. Soudain, elle a porté un flacon à sa bouche, et elle a bu.
– Ensuite ?
– Ensuite, avec l’aide de mon mari, je l’ai transportée dans sa chambre. Elle souffrait beaucoup.
– Comment avez-vous vu su mon adresse, mon nom ?
– Par elle, tandis que le médecin la soignait. Alors je vous ai téléphoné.
– Personne n’est au courant ?…
– Personne. Je sais que Clarisse a des ennuis terribles et qu’elle préfère le silence.
– Puis-je la voir ?
– En ce moment, elle dort. D’ailleurs, le médecin a défendu toute émotion.
– Le médecin n’a pas d’inquiétude à son sujet ?
– Il redoute la fièvre, la surexcitation nerveuse, un accès quelconque où la malade recommencerait sa tentative. Et cette fois-là…
– Que faudrait-il pour éviter ?
– Une semaine ou deux de tranquillité absolue, ce qui est impossible, tant que son petit Jacques…
Lupin l’interrompit :
– Vous croyez que si son fils lui était rendu…
– Ah ! Certes, il n’y aurait plus rien à craindre !
– Vous êtes sûre ?… Vous êtes sûre ?… Oui, n’est-ce pas, évidemment… Eh bien, quand Mme Mergy se réveillera, vous lui direz de ma part que ce soir, avant minuit, je lui ramènerai son fils. Ce soir, avant minuit, ma promesse est formelle.
Ayant achevé ces mots, Lupin sortit vivement de la maison et remonta dans son automobile, en criant au chauffeur :
– À Paris, square Lamartine, chez le député Daubrecq.
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