Rencontres Inoubliables. Roberto Badenas

Rencontres Inoubliables - Roberto Badenas


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naissances spirituelles rapides, simples et des gestations incroyablement longues, laborieuses...

      Nicodème est le disciple de la nuit, le partisan de l’ombre. L’intellectuel tourmenté qui hésite, non par manque de conviction, mais par manque de courage. L’homme du « qu’en dira-t-on » et de la prudence, de la méfiance. Celui qui a peur de s’engager, car il sait combien il est difficile de ramer contre le courant, qui désire renaître, mais qui a du mal à abandonner la carapace fossilisée de son ancien moi. Celui qui admire Jésus, mais n’ose pas se prononcer pour lui et court jusqu’au bout le risque de ne pas se dégager du groupe des tièdes, que Dieu vomit de sa bouche.

      Il a eu cette nuit-là la possibilité de devenir un homme nouveau au service de l’Évangile, mais il continuera à servir l’ancienne loi comme simple juriste.

      Ce n’est que lorsque le haut clergé décidera d’en finir avec le prédicateur révolutionnaire que Nicodème se risquera à prendre sa défense. Et, trois ans plus tard, quand ce disciple de la dernière heure finira par ne plus pouvoir résister à sa conscience et se décidera à prendre publiquement position en faveur de Jésus, celui-ci aura déjà été crucifié.

      La lumière entrevue au cours de sa rencontre secrète illuminera la croix du Calvaire et lui rappellera la référence énigmatique au bois dressé entre la terre et le ciel pour le salut des hommes. Alors, cette illumination l’incitera à prendre le parti du Crucifié, à l’heure où ses propres disciples fuiront, incrédules et atterrés. Défiant les chefs et les collègues qu’il avait toujours craints, Nicodème leur demandera de se charger du corps de Jésus et, en ultime hommage à celui qu’il n’avait suivi que de loin, il couvrira de baume les plaies qu’il avait contribué lui aussi à ouvrir par sa propre lâcheté... Enfin, il osera naître à cette vie nouvelle à laquelle il avait eu tant de mal à croire.

      Au bord d’un puits

      Cette soif inassouvie

      Il est midi à Sychar (voir évangile de Jean 4 : 4-26). C’est l’heure de rechercher la fraicheur derrière les volets fermés en attendant que la canicule s’apaise. Dans les rues désertes, même les ombres se tapissent contre les murs, tandis que le soleil se venge sur la poussière et que le chemin du puits creuse sa brûlure blanchâtre entre des cailloux qui flambent.

      L’heure du puits c’est l’aube ou le crépuscule, où le sentier se remplit de rires et de cruches qui dansent entre les chevelures noires et les voiles blancs. Les garçons du village, assis sur les marches de la place, suivent des yeux les silhouettes qui descendent au puits et qui miroitent toujours au fond de leurs rêves. Ils savent la soif d’eau plus facile à étancher que la soif de rencontres. Et à Sychar, à midi, il n’est pas question pour eux de tenter leur chance. A cette heure-là, celui qui, en plein soleil, s’abrite tant bien que mal contre la margelle, sous l’ombre fuyante des palmiers, ne peut être qu’un étranger.

      Jésus a franchi une fois de plus la frontière de Samarie et celle des tabous. Il est passé en territoire hérétique. Et pour aider ses disciples à vaincre leurs préjugés, il les a envoyés en ville acheter des provisions pendant qu’il les attend. Jésus sait que les Juifs et les Samaritains sont des ennemis jurés. Leur seul point de rencontre se situe dans leur rancœur mutuelle polarisée autour de l’hostilité entre leurs deux sanctuaires. Les Juifs et les Samaritains ne se parlent jamais.

      C’est pourquoi lorsqu’elle arrive, silencieuse, avec pour seuls compagnons son ombre et le tintement de ses bracelets, elle non plus ne dit mot.

      C’est « la Samaritaine », Personne ne la connaît sous un autre nom. Elle intrigue par son allure arrogante et solitaire, sa cruche posée sur l’épaule chaque jour à midi. Qui sait ce que cache son voile ? On raconte que la Samaritaine n’est pas comme tout le monde. Elle fait des choses que personne n’ose faire. Cet inconnu en sueur est le seul à être plus hardi qu’elle.

      « Donne-moi à boire ! »

      Ce Juif lui adresse-t-il vraiment la parole ? Cela ne le gêne-t-il pas de se compromettre au contact d’une femme

      « impure » ? À moins qu’il ne cherche autre chose... ?

      Les paroles de l’étranger lui paraissent trop simples pour être prises à la lettre. Demander de l’eau près du puits, c’est ce que font habituellement les hommes qui veulent aborder une femme. À Sychar, presque toutes les histoires d’amour commencent par un « j’ai soif ». La Samaritaine sait cela par cœur. Près du puits ou près du lit - qu’importe, elle a entendu la même histoire de la bouche de tous les hommes avec qui elle avait espéré réaliser ses rêves.

      Cet homme qui réclame de l’eau, cherche-t-il encore autre chose ?

      « Donne-moi à boire » est un mot de passe vieux comme son peuple. Lorsque Abraham décida de marier son fils, la stratégie de son serviteur au puits fut déjà la même : « La femme à qui je demanderai à boire et qui me dira “oui“ sera la future épouse de mon maître. » C’est ainsi qu’Isaac et Rebecca se connurent (voir Genèse 24).

      Cet étranger assis près du puits creusé par Jacob - son illustre ancêtre - va-t-il lui aussi offrir un nouvel avenir à la Samaritaine ? Ce puits sera-t-il le lieu de sa rencontre avec le destin ?

      Cependant, un abîme sépare cet homme de cette femme. Ils ne semblent pas appartenir au même univers. Son monde à elle est fait de relations nocturnes et instables. Jésus va lui permettre de faire une rencontre décisive sous le soleil de midi. Ils ne parlent pas non plus la même langue. Pour elle, la coquette, la conversation est un simple jeu. Elle parle de l’eau comme elle parlerait de la pluie et du beau temps. Parler pour tromper le silence.

      En revanche, Jésus mesure précisément l’intérêt de cette rencontre à la distance qui les sépare. Malgré la soif qu’il ressent, il sait que demander de l’eau peut sembler aussi choquant que de dire : « Je suis venu te parler de ton avenir. » Mais comment attirer autrement l’attention d’une femme comme elle ?

      Lorsque Jésus lui propose une eau meilleure, rien d’étonnant que la Samaritaine songe à de l’eau courante, à un réservoir et même à une salle de bains en marbre. Cet homme, qui la traite avec une telle déférence, n’a pourtant pas l’air de pouvoir lui offrir cela...

      Tandis que la femme rêve et s’évade en puisant de l’eau au fond du puits, Jésus lui fait déjà don d’une autre eau plus précieuse, puisée au fond de sa sympathie pour elle.

      « Si tu savais quelle eau je t’offre, tu m’en demanderais.

      Moi, je te parle de l’eau vive, inépuisable, qu’aucune citerne ne peut contenir, ni qu’aucun système ne peut canaliser. L’eau qui jaillit de la fontaine de vie et de la source d’espérance, celle qui purifie le corps et vivifie l’esprit. »

      De l’eau qui enlève toute soif ? Serait-ce un sourcier, ou plutôt un sorcier ? Un magicien ou peut-être un médecin ? Cet étranger surprenant commence, tout à coup, à l’intriguer...

      On entend déjà au loin les disciples qui reviennent. Jésus dispose de peu de temps. Il devra brûler les étapes. En opérant une distinction subtile entre l’eau courante et l’eau vive, il montre qu’il croit la Samaritaine capable de suivre ses réflexions spirituelles. Pour lui, l’eau n’est pas un objet, la femme non plus.

      Renversant préjugés et hiérarchies, Jésus place l’être humain au-dessus des barrières sociales, des tabous religieux, des exclusions de classes, des différences de races ou de sexes. Il libère ainsi la religion de son dernier carcan. Pour dissiper toute ambiguïté, Jésus fixe la Samaritaine dans les yeux et lui dit :

      « Appelle ton mari. »

      Pourquoi maintenant cette question gênante ? La Samaritaine n’a pas de mari. Elle en a eu cinq et ne croit plus au mariage. Depuis ses cinq échecs, elle se méfie des hommes. Elle a choisi l’indépendance, au détriment de sa sécurité.

      En faisant allusion à son état civil, Jésus


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