Le corsaire rouge. James Fenimore Cooper

Le corsaire rouge - James Fenimore Cooper


Скачать книгу
bien! appelez-le métier, soit, car un marin n’aime pas à avoir rien de commun avec des érudits de votre espèce, repartit le jeune homme en lui tournant le dos d’un air de dégoût qu’il ne chercha pas à cacher.

      –Voilà à un garçon qui a de la tête! murmura l’autre d’un ton rapide et avec un sourire significatif. Ami, ne nous brouillons pas pour un mot, pour une vétille. J’avoue mon ignorance complète sur tout ce qui a rapport à la marine, et je prendais volontiers quelques leçons d’un homme aussi versé que vous dans la noble profession. Il me semble que vous parliez de la manière dont ce vaisseau là-bas a jeté l’ancre, et de l’état dans lequel tout y est tenu, en bas comme en haut.

      –En bas comme en haut! s’écria le jeune marin en regardant en face celui qui l’interrogeait d’un air tout aussi expressif que celui qu’il avait pris l’instant d’auparavant.

      –En bas comme en haut, répéta l’autre avec calme.

      –J’admirais le haut du bâtiment où tout me semble parfaitement tenu; mais je ne me pique pas de pouvoir juger du bas à cette distance.

      –J’étais donc dans l’erreur; mais vous excuserez l’ignorance d’un novice, car je suis dans la profession. Je ne suis, comme je vous l’ai dit, qu’un indigne avocat au service de Sa Majesté, envoyé dans ces parages pour une mission toute particulière. Si ce n’était pas un véritable jeu de mots, je pourrais ajouter que je ne suis pas juge.

      –Point de doute que vous n’arriviez bientôt à ce poste honorable, reprit l’autre, si les ministres de Sa Majesté savent apprécier dignement le mérite modeste, à moins, il est vrai, qu’il ne vous arrive d’être prématurément.

      Le jeune homme se mordit la lèvre, leva la tête très-haut, et se mit à se promener le long du quai, suivi des deux matelots qui l’avaient accompagné, et qui montraient le même sang-froid. L’étranger à la redingote verte suivit de l’œil tous leurs mouvements avec calme, et même, en apparence, avec un certain plaisir, caressant sa botte avec sa badine, et semblant réfléchir comme quelqu’un qui cherche à renouer la conversation.

      –Pendu! dit-il enfin entre ses dents, comme pour finir la phrase que l’autre avait laissée imparfaite. Il est assez bizarre que ce jeune drôle ose me prédire une pareille élévation, à moi!

      Il se préparait évidemment à les suivre, lorsqu’il sentit une main qui se posait assez familièrement sur son bras, et il fut obligé de s’arrêter. C’était celle de notre ami le tailleur.

      –J’ai un mot à confier à votre oreille, dit celui-ci–en faisant un signe expressif pour indiquer qu’il avait un secret d’importance à communiquer, un seul mot, Monsieur, puisque vous êtes au service particulier de Sa Majesté.–Voisin Pardon, ajouta-t-il en s’adressant au paysan d’un air noble et protecteur, le jour commence à baisser, et je crains que vous n’arriviez bien tard chez vous. La fille vous donnera vos habits, et le ciel vous conduise! Ne dites rien de ce que vous avez vu et entendu que vous n’avez reçu de mes nouvelles à cet effet; car il ne serait pas séant que deux hommes qui ont acquis tant d’expérience dans une guerre comme celle-ci manquassent de discrétion. Adieu, mon garçon; mes amitiés au papa, ce brave fermier, sans oublier l’honnête ménagère qui est votre mère. Au revoir, mon digne ami, au revoir; portez-vous bien.

      Homespun, ayant ainsi congédié son compagnon, attendit, dans une noble attitude, que le campagnard tout ébahi eût quitté le quai avant de tourner de nouveau les yeux sur l’étranger en vert. Celui-ci était resté immobile à la même place, conservant un sang-froid imperturbable, jusqu’au moment où il se vit adresser une seconde fois la parole par le tailleur, dont il semblait avoir pris les dimensions, et avoir mesuré en quelque sorte le caractère d’un seul de ses regards rapides.

      –Vous dites, Monsieur, que vous êtes un serviteur de Sa Majesté, demanda Homespun, bien décidé à s’assurer des droits que l’étranger pouvait avoir à sa confiance, avant de se compromettre en lui faisant des révélations précipitées.

      –Je puis dire plus, Monsieur: son confident intime.

      –C’est à son confident intime que j’ai l’honneur de parler! C’est un bonheur dont je suis pénétré jusqu’au fond de l’âme, répondit l’artisan en passant la main sur ses cheveux et en s’inclinant presque jusqu’à terre; un bonheur vraiment excessif, un privilége tout gracieux!

      –Quel qu’il soit, mon ami, je prends sur moi, au nom de Sa Majesté, de vous dire que vous êtes le bienvenu.

      –Une condescendance aussi magnifique ouvrirait tous les replis de mon cœur, quand même il ne renfermerait que trahison et qu’infamies de toute espèce. Je suis heureux, très-honoré, et, je n’en doute pas, très-honorable personne, d’avoir cette occasion de faire preuve de mon dévouement pour le roi devant quelqu’un qui ne manquera pas de redire mes faibles efforts aux oreilles de Sa Majesté.

      –Parlez librement, interrompit l’étranger avec l’air de condescendance d’un prince, quoiqu’un homme moins simple et moins occupé de sa grandeur naissante que le tailleur n’eût pas eu de peine à s’apercevoir que ses protestations trop prolongées de dévouement commençaient à l’impatienter; parlez sans réserve, mon ami: c’est ce que nous faisons toujours à la cour. Puis, frappant sa botte de sa badine, il se dit tout bas à lui-même en tournant légèrement sur ses talons d’un air d’insouciance:–S’il croit cela, Il est aussi simple que son oie.

      –Que vous êtes bon! Monsieur, et que c’est une grande preuve de charité de la part de votre noble personne de vouloir bien m’écouter! Vous voyez ce grand vaisseau, là-bas, dans le havre extérieur de ce loyal port de mer?

      –Je le vois; et ce paraît être l’objet de l’attention générale parmi les dignes habitants de l’endroit.

      –Eh bien! Monsieur, vous faites trop honneur à la sagacité de mes compatriotes: voilà plusieurs jours que ce vaisseau est là où vous le voyez, et je n’ai pas encore entendu proférer une seule syllabe sur le louche qu’il y a là-dessous par âme qui vive, excepté moi.

      –En vérité! dit l’étranger en mordant le bout de sa badine et en fixant son regard étincelant sur les traits du brave homme, qui étaient à la lettre tout gonflés de l’importance de son secret; et quelle peut être la nature de vos soupçons, à vous?

      –Écoutez, Monsieur, je puis avoir tort, et que Dieu me pardonne dans ce cas! mais voici, ni plus ni moins, ce qui m’est venu dans l’esprit à ce sujet: ce vaisseau et son équipage passent, parmi les bonnes gens de Newport, pour s’occuper innocemment et sans malice de la traite des nègres; et ils sont tous reçus à merveille, le vaisseau dans un bon ancrage, et les autres dans toutes les tavernes et chez tous les marchands. N’allez pas croire au moins que jamais gilet ou pantalon soit sorti de mes mains pour un de ces gens-là; non, non! Pour que vous le sachiez, ils n’ont eu affaire qu’au jeune tailleur nommé Tape, qui attire toutes les pratiques en disant toutes sortes d’horreurs de ceux qui savent mieux que lui leur métier; non, retenez bien que je n’ai pas fait un point même pour le dernier mousse de l’équipage.

      –Vous avez du bonheur de n’avoir rien à démêler avec ces drôles, répondit l’étranger; mais vous avez oublié de me signaler l’offense particulière dont je dois les accuser à la face de Sa Majesté.

      –J’en viens, aussi vite que possible, au point important. Vous devez savoir, digne et respectable personne, que je suis un homme qui ai beaucoup vu et beaucoup souffert au service de Sa Majesté. J’ai passé par cinq longues et sanglantes guerres, sans parler d’autres aventures et d’autres épreuves, telles qu’il convient à un humble sujet d’en supporter patiemment et en silence.

      –Tous ces services seront rapportés fidèlement aux oreilles royales. Maintenant, mon digne ami, soulagez votre esprit en me communiquant franchement vos soupçons.

      –Merci, très-honorable


Скачать книгу