Iza Lolotte et Compagnie. Alexis Bouvier

Iza Lolotte et Compagnie - Alexis Bouvier


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gai, encadré par des’ oreilles immenses; il se livrait de tout cœur.

      Chadi, en entrant dans le poste de police, fit sursauter par son air égaré tous les agents à moitié endormis. Sans qu’on lui adressât la parole, sans dire bonjour, tombant là comme une bombe, il éclata:

      –Vite, vite, venez; il y a du nouveau rue Lacuée; la maison du Crime est toute grande ouverte, porte et fenêtres. Il a dû se passer quelque chose cette nuit.

      Remis de leur surprise, les agents se renseignèrent –en interrogeant le jeune homme. Sur l’ordre de l’officier de paix, on alla réveiller le commissaire, qui résidait quelques maisons plus loin, et, moins d’une demi-heure après, Chadi revenait rue Lacuée avec le commissaire accompagné des agents.

      Mais alors quelques voisins stationnaient devant la porte, s’interrogeant entre eux, personne n’osant franchir le seuil de la maison signalée. On se racontait ce qui s’était passé en ce lieu,–de bien singulières choses.

      En voyant les agents, précédés du commissaire marchant côte à côte avec Chadi, qui dirigeait le groupe, parlant haut et gesticulant mieux, ils se rapprochèrent curieusement de la porte, afin d’assister à la perquisition et aux constations.

      Chadi, le commissaire, les agents pénétrèrent dans la mystérieuse maison et la porte se referma sur le nez des curieux désappointés. Mais les badauds sont tenaces; sans se lasser, ils passèrent de l’autre côté de la rue, afin de voir dans l’intérieur des appartements par les fenêtres béantes. Cette satisfaction leur fut refusée; les agents, arrivant au premier étage, fermaient toutes les croisées.

      Le commissaire, guidé par Chadi, qui connaissait les êtres–nos lecteurs se l’expliqueront plus tard– passait d’une pièce dans l’autre sans rien remarquer de suspect. Tout était en l’état laissé par les agents le jour des confrontations à la suite desquelles l’assassin présumé s’était suicidé...

      Le grand lit d’ébène, tout défait, avec ses tentures déchirées, l’épais tapis taché, la grande peau d’ours noir. Sur un petit chiffonnier d’ébène incrustée de nacre très bas et couvert d’un marbre noir, était posé et soigneusement rangé tout un arsenal d’objets de toilette en nacre sculptée, portant les initiales L.M. surmontées d’une couronne ducale, montée en or. Sur la cheminée, une garniture de bronze magnifique. Sur de petits fauteuils et sur une chaise longue se trouvaient soigneusement étalés deux jupons de fine batiste à traîne de dentelle, un grand peignoir de faille bleu clair, garni de valenciennes; des bas de soie diaphanes, des jarretières de soie blanches aux agrafes d’or. Sur le bateau en avant du lit, une admirable chemise, une merveille, si fine, si dentelée, qu’on eût dit une toile d’araignée. Sous le guéridon, une paire de bottines d’enfant, toute petite, mais haute de cambrure et fine de cheville.

      Tout cela était couvert d’une épaisse couche de poussière, sur laquelle aucune main n’avait laissé sa trace. Rien n’avait donc été dérangé. On ouvrit les meubles, les armoires; tout était en ordre: aucun objet ne manquait.

      Le commissaire, horhant la tête avec désappointement, suivait Chadi en disant:

      –Nous n’avons pas affaire à des voleurs.–

      –Oh! ce n’est pas de voleurs qu’il peut être question en cette maison, fit Chadi.

      Ils revinrent vers le salon: là encore, les meubles étaient en place, bien fermés; tout était en ordre. Chadi et les agents allaient et venaient dans l’appartement, cherchant partout, sans rien découvrir d’anormal. Tout à coup, le jeune ouvrier s’écria:

      –Ah! monsieur le commissaire, venez donc voir.

      Et il montrait la plaque de marbre placée devant le foyer de la cheminée, sur laquelle la poussière qui couvrait tout l’appartement était enlevée. Le commissaire se baissa et commanda à Chadi de lever le tablier de la cheminée à la prussienne.

      L’âtre était plein de terre fraîchement remuée et de fleurs desséchées.

      –Qu’est-ce que c’est que ça? firent les agents surpris.

      Ils allaient fouiller la terre; mais le commissaire dit:

      –Ne touchez à rien, laissons tout dans l’état. Il suffit d’avoir constaté qu’on s’est nuitamment introduit dans cette maison, close et sous scellés.

      Chadi cherchait toujours; il jeta encore un cri.

      –Qu’est-ce?

      –Venez voir, monsieur le commissaire.

      Et il montrait entre la cheminée et la fenêtre un trou dans le mur.

      On regarda. C’était un petit coffre-fort scellé dans la muraille, absolument dissimulé sous une tapisserie au milieu d’un panneau, et dont la porte avait été défoncée.

      –Décidément, il y a vol et effraction; je dois aviser aussitôt le parquet. Ici, je suis gêné pour agir seul... Dans cette maison, un fait aussi singulier prend de plus graves proportions.

      Il écrivit quelques mots qu’il remit à un agent. Celui-ci partit, et le commissaire commanda:

      –Ne touchez à rien; bornez-vous à rechercher, jusqu’à l’arrivée des instructions que j’ai demandées.

      Le commissaire ne résidait pas dans le quartier de la Râpée lorsque le crime avait été commis rue Lacuée; il en ignorait les mystérieuses circonstances, et, sur sa demande, Chadi lui raconta l’assassinat d’une admirable jeune femme nommée Léa Médan. Longtemps on avait cherché le coupable; on s’était trompé d’abord; enfin on avait attribué le crime à un individu qui, dans un accès de rage jalouse, s’était tué dans la chambre même où ils étaient, le jour des confrontations. S’était-il donné la mort parce qu’une femme l’accablait de sa haine, ou s’était-il tué étant découvert? La vérité, c’est qu’on n’avait jamais été bien éclairé sur cette lugubre affaire.

      –Ce que vous me dites là me montre combien j’avais raison en demandant tout de suite des ordres. Dans cette circonstance, je dois agir avec la plus grande réserve.

      Le lecteur sera plus rapidement instruit en lisant ce qu’un journal parisien, avec la minutie du reportage actuel, racontait le lendemain de la découverte du crime:

       Le crime de la rue Lacuée.

      «Hier, vers six heures du soir, le commissaire du quartier de la Rapée était appelé à constater un assassinat commis dans de mystérieuses circonstances. Voici les détails que nous avons pu recueillir.

      » C’est au premier étage d’une maison particulière, située rue Lacuée, que le crime a été commis. La chambre, très luxueuse, est une vaste pièce; le lit, en bois sculpté, est très large, presque carré; il occupe, sous une épaisse tenture bleue et blanche, le fond de la chambre; il est à colonnes cannelées, ornées de chapiteaux; on y monte, pour se coucher, par trois marches couvertes d’une ample peau d’ours noir; en face se trouvent deux fenêtres garnies de petits vitraux qui donnent rue Lacuée; entre les fenêtres est placé un petit chiffonnier d’ébène très bas; sur le marbre noir s’étale tout un service de toilette en nacre, brosses, peignes, ongloirs, limes; au-dessus, une large glace de Venise biseautée, à large cadre d’ébène sculpté. Dans chaque coin de la chambre, un petit fauteuil bas, capitonné de soie bleue et blanche, et une chaise longue, de même étoffe. A droite du lit une haute cheminée ornée de bronzes magnifiques; devant, un guéridon bas qu’on a dû pousser là en se couchant. Sur ce guéridon, deux bouteilles à champagne et deux coupes vides.

      » Dans des assiettes de vieux chine, quelques gâteaux. Sur la chaise longue, deux jupons de batiste à traîne de dentelle, un peignoir de soie bleu clair, garni de valenciennes; au pied de la chaise longue, de petites bottines, des bas de soie, des jarretières de soie bleue à boucles d’or; sur le pied du lit, une fine chemise


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