Iza Lolotte et Compagnie. Alexis Bouvier

Iza Lolotte et Compagnie - Alexis Bouvier


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suicide.

      » Près de la couche, le corps, complètement nu, est étendu sur les marches du lit, plus blanc de l’intensité du noir de la peau d’ours sur laquelle il est couché; les pieds sont restés sur la marche du haut; la tête est en bas, un peu penchée sur le bras droit recourbé et sur les cheveux d’un blond éclatant formant une auréole; l’autre bras est abandonné dans un mouvement pudique; le corps a gardé une souplesse qui ferait douter de la mort. On dirait une nymphe endormie; le visage est doux, reposé, comme souriant à un songe voluptueux.

      » A la suite des premières constatations, on a conclu que la malheureuse femme devait être tombée dans un guet-apens. Le crime a été combiné et exécuté dans une histoire d’amour. Un homme aurait été vu la veille au soir amenant la jeune femme dans cette maison de la rue Lacuée. Les docteurs ont attribué la mort à un de ces poisons mystérieux qui donnent avec l’ivresse les rêves les plus singuliers.

      » La belle Léa est une étrangère; on ne s’expliquait guère son existence à Paris. Des propos étonnants couraient sur les sources de sa vie opulente. Nous sommes sur ce sujet obligé à la plus grande réserve. Son véritable nom était Léa Médan; elle était née en Moldavie.»

      Chadi avait pris dans son portefeuille la coupure du numéro du journal et l’avait donnée au commissaire, qui la lisait attentivement pendant que le jeune ouvrier allait et venait, content d’être mêlé à l’affaire, cherchant partout et oubliant absolument l’heure du travail. Le commissaire lisait le fait divers aux agents qui l’avaient accompagné, causant en attendant les ordres qu’il avait demandés.

      Au bout d’une grande heure, une voiture s’arrêta au bas de la maison. Les curieux s’étaient depuis longtemps dispersés. Chadi courut à la fenêtre, souleva le rideau, et, voyant un homme descendre d’un fiacre, il exclama joyeusement:

      –Ah! ça tombe bien; c’est M. Huret.

      Et il s’élança dans l’escalier au-devant du nouveau venu.

      Celui-ci, le reconnaissant, s’écria:

      –Comment! c’est vous, Chadi? Et comment diable êtes-vous ici? Est-ce que vous savez quelque chose?

      –Mais oui, monsieur Huret; je suis prédestiné à m’occuper de cette affaire-là. Vous savez que je suis du quartier. Je partais travailler ce matin.

      –Vous êtes toujours chez Tussaud?

      –Je vous crois, plus que jamais, maison Tussaud et Ferrand, s’il vous plaît. Pour lors, monsieur Huret, j’allais donc à l’atelier; en passant là, je vois la porte entre-bâillée, les fenêtres d’ici ouvertes. Je me dis: Tiens, est-ce qu’il y a du nouveau? Est-ce qu’on déménage pour la vente? Est-ce que c’est loué? Ça me semble louche; j’avance, je regarde; rien. Je crie dans l’escalier, on ne me répond pas. J’ose pas entrer tout seul; vous savez, depuis l’affaire de Maurice, je suis circonspect. Je me dis: Allons chercher du monde, il y a du nouveau. Vous répétiez souvent qu’ils avaient dû faire le coup à plusieurs; je pensais que peut-être on allait prendre l’autre.

      —Oh! l’autre, je le connais, grogna l’agent.

      –Et j’ai couru chercher le commissaire de police.

      –C’est vous qui avez encore découvert cela, mon brave garçon?

      –Et sans me donner beaucoup de peine pour ça.

      –Vous nous serez probablement utile.

      Et, s’adressant au commissaire de police:

      –Monsieur le commissaire, voici l’ordre; si vous le voulez, nous allons procéder à une première enquête. Le magistrat instructeur ne se lève pas si matin, et nous pouvons préparer sa besogne.

      –Volontiers, monsieur. Êtes-vous renseigné sur les particularités de cette maison?

      –Oh1parfaitement; c’est moi qui ai dirigé les recherches lors du crime, et c’est parce que l’on est assuré que l’effraction et le vol signalés par vous se rattachent à cette affaire que l’on m’a choisi. C’est Elle qui revient.

      –Je vous connais de réputation, monsieur Iluret, je m’abandonne à vous.

      –Commençons. Voici le coffre-fort fracturé.

      –Ç’a été fait à l’aide d’un ciseau à froid, dit Chadi; il y a de violentes pesées.

      –Oui!. Et il a fallu un homme fort. Et cependant vous supposez que cette effraction était dirigée par une femme?

      –J’en suis convaincu, monsieur le commissaire. Ne cherchez pas ici une histoire de voleurs. Les portes, les fenêtres restent ouvertes; le moindre bon sens aurait commandé à un voleur de tout fermer derrière lui, et des jours, des semaines se seraient passés sans qu’on découvrît l’effraction.–En laissant tout ouvert, on avait un but; il faudrait le trouver.–Écartons l’idée du vol.

      –Cela se rattacherait à l’assassinat.

      –Non, monsieur le commissaire; l’assassinat était un moyen, voilà tout;.. il était une partie d’une large action.

      –Vous m’effrayez. Qu’est-ce donc?

      –Vous m’en demandez plus que je n’en dois et n’en peux dire.

      Huret eut un sourire discret, et le commissaire reprit aussitôt:

      –Nous devons préparer l’enquête par nos constatations; je suis à vos ordres.

      –Une seule personne pouvait avoir encore des craintes sur cette affaire; je la connais, et c’est sur elle que vont se porter mes recherches. Il y a là un fait bizarre qui va apporter peut-être un peu de clarté dans ce mystérieux drame.

      Chadi, l’œil brillant, la bouche mi-ouverte, «buvait», selon l’expression populaire, les paroles de l’agent. C’est que, pour lui, Huret était un malin, et, pendant qu’il parlait, il faisait des signes d’yeux aux agents, leur faisant remarquer certaines déductions et semblant dire:

      –Hein! il est fort celui-là.–Croyez-vous qu’il voit clair tout de suite?

      L’agent, regardant tour autour de lui, continuait:

      –Qu’est-on venu chercher? Cela devait être bien important, puisque l’affaire est éteinte, oubliée, et que l’on n’a pas reculé devant une effraction, la nuit, dans une maison où tout devait être encore sous les scellés. Croyez-moi, monsieur le commissaire, il n’y a pas là une banale histoire de vol. Les héritiers de Léa Médan, des étrangers, ont ordonné de vendre, et cela se fait par les soins du consulat. Cette vente est annoncée. On savait qu’il y a ici de l’argenterie et quelques bijoux. Argenterie et bijoux sont dans le petit chiffonnier, et rien n’a été touché. On est venu ici avec des données précises, avec mission de briser le coffre secret qui avait échappé à toutes nos perquisitions, à toutes nos enquêtes. Puis, quelque autre chose était cachée, enterrée dans la jardinière; on a arraché les fleurs, vidé la terre qu’on a jetée dans la cheminée. Voici la jardinière vide, et depuis peu, car il n’y a pas de poussière. Voyez dans la cheminée, il y a des fragments de terre sèche qui ont l’apparence d’une empreinte, de morceaux d’un moule. L’objet qui y était caché a été pris. On n’est –pas venu voler, on est venu chercher ou détruire ces objets et des papiers, compromettants sans doute. Et on l’a fait de façon ostensible, laissant tout ouvert, comme pour qu’on sût bien que la chose était faite.

      –Ça doit être ça, exclama Chadi émerveillé. Oh! quel nez, quel œil vous avez, monsieur Huret!

      –Monsieur le commissaire, vous aurez la bonté de faire desceller ce coffre dans l’état où il est, puis vous l’enverrez avec la jardinière et ses fragments de terre que je vais faire rapprocher et dans lesquels on coulera du plâtre pour avoir la forme exacte de l’objet qui y était


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