Iza Lolotte et Compagnie. Alexis Bouvier

Iza Lolotte et Compagnie - Alexis Bouvier


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se secouant et exhalant la conclusion des idées qui tourmentaient son cerveau:

      –Ah! baste! La mort finit tout; ce n’est qu’une seconde d’énergie.

      Il cria:

      –Entrez!

      Son valet de chambre parut et lui dit:

      –Madame fait prévenir monsieur qu’elle part et elle prie monsieur de la rejoindre immédiatement.

      –Eh bien! venez vite, Justin, habillez-moi.

      Quelques minutes après, le comte Oscar de Verchemont montait à cheval, se rendant au bois de la Cambre, où nous l’avons vu arriver le front tout soucieux de ce qu’il venait d’apprendre.

      Lorsqu’il s’approcha de la belle Iza Lolotte, on s’écarta pour qu’il pût lui tendre la main. La voyant encore sous l’impression qu’elle avait ressentie en voyant Huret dans la foule, il lui demanda:

      –Mais, qu’avez-vous, Iza? voussemblez souffrante. Que vous est-il arrivé?

      –Mais rien, monsieur, fit-elle se dressant; j’étais impatientée de vous voir arriver si tard. Vous venez quand la course est terminée.

      –Ne m’en voulez pas, ma chère belle; je viens seulement d’avoir la réponse pour l’affaire dont je vous ai parlé.

      –Ah! fit-elle vivement, est-ce terminé?

      –Oui, ce soir je signerai avec la personne que vous savez.

      –Descendez de cheval et montez près de nous.

      –Non; permettez-moi d’aller jusqu’au pesage, puis nous retournerons à Bruxelles.

      –Vous savez que ce soir nous dînons chez Van Ber-Costeinn?

      Un des jeunes gens dit alors:

      –Verchemont, vous allez boire avec nous à Van Ber-Costeinn; c’est son cheval Nichette qui a gagné.

      On lui tendit une coupe, et le toast recommença.

      Le comte Oscar de Verchemont semblait embarrassé, gêné, au milieu de ce monde. Il paraissait contraint dans ce milieu. C’est à peine s’il mouilla ses lèvres dans la coupe qu’on lui tendait, et qu’il rendit aussitôt au valet de pied.

      Il se tourna vers Iza, lui disant:

      –A tout à l’heure.

      Et, lançant son cheval au galop, il tourna la piste, se dirigeant vers l’enceinte du pesage.

      Depuis quelques mois seulement, le comte Oscar avait quitté la France, pour aller retrouver celle qu’il adorait, et, depuis ce jour, sa vie était bien changée.

      Celle qu’il avait connue autrefois si réservée, si mystérieuse, s’était tout à fait transformée. Était-ce pour oublier les tourments qu’elle avait endurés? Était-ce pour ne pas penser à la honte qu’elle avait subie en se voyant expulser de France? Était-ce parce qu’un secret était dans sa vie et qu’elle n’y voulait pas penser?

      La Grande Iza menait à Bruxelles une vie tapageuse, scandaleuse, brillante et bruyante, ayant hôtel, chevaux, équipages, allant grand train, gâchant l’argent. Tout Bruxelles parlait des fêtes qu’elle donnait la nuit dans son hôtel de la rue de la Loi; elle vivait rieuse, gaie, à côté du jeune gentilhomme toujours plus sombre, souffrant de tout cet éclat et ne pouvant y résister.

      Elle était fidèle à son amant, et, à cause de cela, certains disaient qu’ils s’étaient mariés secrètement. Vivant, sinon honnêtement, fidèlement, elle avait les apparences de la vie la plus dépravée, toujours entourée des femmes les plus connues par les viveurs, obligeant Verchemont à se faire l’ami des gommeuxde haute volée de Bruxelles. On racontait d’elle des folies, des extravagances, des fêtes singulières où les femmes avaient des costumes d’une simplicité toute primitive; vivant au milieu de toutes ces femmes faciles, elle seule restait imprenable, disant bien haut qu’elle n’aimait et n’aimerait qu’un seul homme, le comte Oscar de Verchemont.

      Le malheureux avait mangé d’abord les rentes, puis il avait vendu les prés, les fermes, les bois, les terres. Tout cet argent s’engloutissait à mesure, sans rien laisser dans les mains où il passait.

      C’est alors que, tout autour d’Iza, on la désignait sous le nom de Iza la Ruine.

      C’est le nom que lui donnaient les bourgeois; car, dans son entourage, on l’appelait la Lolotte.

      Le comte était visiblement changé; son front plissé, ses yeux éteints, ses lèvres sèches attestaient qu’il était surmené par cette vie sans repos. L’éternel besoin d’argent venait le tourmenter sans cesse; puis peut-être aussi était-il anéanti par les violences amoureuses. de celle qu’il aimait. Il avait vieilli de vingt ans en moins d’une année, le comte Oscar de Verchemont.

      Au contraire, la Grande Iza, la belle Lolotte, était dans tout l’éclat de sa beauté. Elle paraissait toujours de vingt à vingt-cinq ans. Ses grands yeux avaient la douceur du velours; leurs grands cils mettaient, par leur ombre, une langueur dans le regard plein de voluptueuses promesses, augmentant le brun des pupilles en rendant plus net le blanc de l’orbe; le nez malin, charmant, était fin, franc de lignes; ses narines, roses, presque diaphanes, se dilataient selon l’impression ressentie; les lèvres, d’un rouge ardent, étaient toujours fraîches, humides, formant par le rire un splendide écrin pour les dents d’une blancheur de nacre; les oreilles, toutes petites, étaient d’une transparence rose; le front était resté pur, superbe, dans l’encadrement de magnifiques cheveux, si noirs qu’ils avaient les reflets bleus des ailes du corbeau.

      Oh! c’était bien la même toujours; tracas, tourments, folies, amour, fatigues, rien ne l’avait changée. Elle avait toujours ce charme, cette grâce sauvage, cette allure étrange et distinguée qui la faisaient remarquer entre toutes; ce corps superbe dans sa doucè langueur, –ce corsage robuste et plein de grâce, ces formes fermes et élégantes à la fois rappelaient et les sculptures grecques et les admirables femmes de la Renaissance. Elle eût pu servir de modèle à Praxitèle comme à Jean Goujon.

      Sur son visage, l’esprit flottait; l’œil, la bouche’ étaient provocants, et l’éclair de son regard révélait une ardeur que chacun aurait voulu juger.

      Nous l’avons dit, elle se flattait bien haut de n’avoir qu’un amour, de Verchemont, et, quand on lui parlait de la santé chancelante de l’ancien magistrat, elle avait un sourire qui semblait dire:

      –C’est mon œuvre.

      Comme les goules, ses baisers étaient mortels, et elle en était fière.

      Pour elle, Verchemont avait tout sacrifié, perdant à Paris sa situation et sa considération, à Bruxelles sa dignité et sa fortune. Il était entraîné, il le sentait et ne pouvait résister; au bout du chemin, c’était l’abîme; il fermait les yeux pour ne pas le voir, et il marchait. C’était la décadence du gentilhomme.

      Il était convaincu de l’amour exclusif de sa Lolotte, et assurément il aurait ri et ne se serait pas fâché si on lui avait dit que, certaines nuits, Lolotte, dans un costume étrange et couverte d’un grand manteau, s’en allait courir dans un coin de Saint-Josse-ten-Noode, pour ne rentrer chez elle qu’aux premières lueurs du matin. Oui, il aurait bien ri, car cela n’était pas possible à croire.

      La dernière course s’achevait au milieu de l’indifférence générale, la plus importante étant finie. La foule commençait son mouvement de retraite, se dirigeant vers les avenues, afin de voir le défilé du retour; les voitures préparaient leur départ, les domestiques rentraient hâtivement dans les caissons les paniers de Champagne; chacun se replaçait; les jeunes gens remontaient dans leurs phaétons, les femmes s’étendaient sur les coussins de leurs équipages.

      Oscar de Verchemont apparut à cheval; il fit signe aux postillons, et la grande calèche


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