Nouvelles. Amédée Achard

Nouvelles - Amédée Achard


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jamais que dans les circonstances graves qu’on en agissait ainsi. Elle tremblait donc un peu en entrant chez sa mère. — Asseyez-vous là, ma fille, dit celle-ci en posant sur un guéridon à vieille galerie de cuivre un papier qu’elle tenait à la main.

      Ce début ne rassura point Esther. Madame de Carnavon avait-elle découvert le fameux livre à serrure auquel sa rêveuse fille tenait plus qu’à la prunelle de ses yeux? Quelle homélie alors! Il y eut un instant de silence, après quoi, arrêtant son regard froid sur Esther qui restait immobile et presque en équilibre sur le rebord de sa chaise: — Une personne qui est d’une naissance honnête a demandé votre main, ma fille, reprit madame de Carnavon.

      — Ah! fit Esther, qui rougit jusqu’à la racine de ses cheveux.

      Elle pensa aux confidences qu’elle avait écrites sur les pages de son livre, aux songes qu’elle avait faits tout éveillée, et ses yeux firent le tour de la chambre comme si elle se fût attendue à voir sortir de derrière quelque meuble l’être mystérieux qui voulait unir sa vie à la sienne. Son cœur battait à coups pressés. — Vous ne répondez pas, ma fille, reprit la mère.

      — Et que vous répondrai-je, ma mère? J’attends pour vous exprimer ma pensée que vous m’ayez fait connaître le nom de la personne qui vous a adressé cette demande.

      — Il n’est pas nécessaire qu’une fille bien née sache le nom de l’homme qu’elle doit épouser avant que la chose soit décidée, et celle-ci ne l’est pas. Qu’il vous suffise de savoir que cette alliance, en supposant qu’elle soit acceptée, vous laisserait au rang que votre famille, bien qu’appauvrie, occupe dans le pays. Celle où il vous est loisible d’entrer est honorablement posée, et celui de ses membres de qui vient la proposition que je vous communique a du mérite et du bien au soleil. Il vous a vue à l’église, et la personne discrète qu’il a chargée de m’informer de sa recherche m’assure que tout en lui témoigne de l’éducation pieuse qu’il a reçue. Il le prouve en ne voulant paraître dans les maisons où il pourrait vous rencontrer qu’après avoir obtenu mon agrément.

      — Mais, si les choses sont ainsi, pourquoi m’interroger? C’est à vous de répondre.

      — Je voulais savoir tout d’abord si votre inclination vous pousse vers le mariage, ou si, comme vos sœurs Hortense et Charlotte, vous êtes résolue à vivre dans le célibat.

      — Puisque vous voulez bien me demander mon avis, je vous avouerai que je n’ai aucune objection contre le mariage, qui est un état honnête vers lequel toute femme se sent appelée.

      — C’est me dire que vous voulez entrer dans la voie où il est le plus difficile de faire son salut, ma fille; je ne m’y oppose pas... Reste à présent la question de la dot.

      — La dot? répéta Esther.

      — Il est rare qu’on épouse une fille pour ses beaux yeux. Le jeune homme dont on m’a parlé dépend d’un grand-père qui a des idées arrêtées là-dessus. Vous avez en propre, sans parler de ce qui vous reviendra après mon décès...

      — Ma mère!

      — Pourquoi s’effaroucher des mots quand la chose est inévitable? Je disais donc que vous teniez de votre père une somme de quarante mille francs à peu près, laquelle est hypothéquée sur cette terre, qui est un bien de famille et qui en vaut, à ce que prétend mon notaire, quatre cent mille environ. Vos sœurs ont droit à une part égale, ainsi que votre jeune frère. Le surplus constitue mon avoir personnel.

      — Je le sais, ma mère, et vous n’avez pas pu croire qu’il entrerait jamais dans ma pensée de rien faire qui pût diminuer votre bien-être.

      — J’en suis convaincue; mais là n’est pas la difficulté. Pour présenter au contrat en argent liquide cette somme de quarante mille francs qui vous appartient, il faudrait vendre une portion de cette terre, sur laquelle nous vivons tous, et que j’ai pu sauver d’une ruine vers laquelle nous courions; or quelle portion vendre, les prés, les vignobles ou les bois? Et cette vente ne diminuerait-elle pas la valeur totale de l’immeuble, sans parler du déplaisir que me causerait le morcellement d’un domaine où je suis née?

      — Mais alors que faire? car pour rien au monde je ne voudrais vous causer aucun déplaisir.

      — Je savais bien que votre bon cœur ne voudrait pas attrister mes derniers jours par une vente qui atteindrait le Courtil. Ce serait comme une amputation dont je souffrirais à un âge où l’on a bien le droit de mourir tranquille. Dans de telles conditions, et en vous remerciant de l’honnête résolution à laquelle vous vous êtes arrêtée, si vous persistez dans la pensée du mariage, je n’ai plus qu’un conseil à vous donner... adressez-vous à votre sœur.

      — A madame d’Équemaure?

      — Elle-même. Je l’attends aujourd’hui. Elle a quitté Cannes pour nous rendre visite. Mes chevaux avec la calèche l’attendent à la gare voisine, et c’est pour qu’ils fussent en état de l’amener plus vite que j’ai pris soin de ne pas m’en servir hier.

      — Mais les siens, ma mère, n’en a-t-elle pas de fort beaux?

      — C’est bien pour cela! Des chevaux de prix... y pensez-vous? Elle n’entend pas qu’ils se fatiguent, et elle a raison. C’est bien le moins, quand elle abandonne la compagnie brillante qui l’entoure pour nous consacrer quelques heures, que notre seul souci soit de lui être agréable! Parlez-lui de votre projet,... elle est riche; peut-être, si son mari l’y autorise, consentira-t-elle à vous faire l’avance de cette somme sur l’abandon de votre part d’héritage. Votre sœur aînée, Hortense, a déjà disposé de la sienne en faveur de votre frère, en qui repose l’espoir du nom. J’ai tout lieu d’espérer que votre sœur Charlotte fera de même, ce qui le mettra plus tard en état de s’établir.

      Madame de Carnavon se leva là-dessus; la conférence était close. Esther l’imita et sortit.

      Un peu troublée du tour qu’avait pris l’entretien, elle descendit au jardin. C’était un enclos irrégulier assez vaste qu’un saut de loup séparait d’un bois voisin. On y arrivait par une porte à claire-voie disposée sur un perron de quatre ou cinq marches qui le mettait en communication avec une espèce de terrain vague en contre-bas dont la surface inégale servait de cour à la maison.

      Lorsque Esther pénétra dans le jardin, elle y fut accueillie par des pigeons familiers qui s’abattirent autour d’elle, faisant luire leur gorge irisée et les tons de moire de leurs ailes sur le sable fin des allées. Des arbres fruitiers de toute nature y mêlaient leurs branches, croissant à la diable entre des carrés de légumes. Des papillons blancs voletaient partout, et des abeilles, pareilles à des étincelles d’or, remplissaient les plates-bandes de leurs bourdonnements. La jeune fille n’était pas en humeur de répondre aux agacements des belles colombes qui roucoulaient sur ses pas, et prit une allée bordée de buis qui conduisait à un épais massif de pins et de chênes verts. Elle y trouva à l’ombre, sur un banc de bois vermoulu, sa sœur Charlotte, qui tirait l’aiguille. Sans arrêter plus d’une seconde le mouvement de ses doigts, celle-ci ramena autour de ses jambes les pans de sa robe de laine, et par un geste muet l’invita à s’asseoir à son côté. Esther obéit machinalement. Alors, sans lever les yeux de sa broderie: — Dans cette conversation que tu viens d’avoir avec notre mère, dit Charlotte, n’est-ce pas une question de mariage qui s’est débattue entre elle et toi?

      — Comment sais-tu?

      — Je sais que quelqu’un a demandé ta main. Hortense et moi en avons été informées hier.

      — Avant moi?

      — Avant toi, parce que, n’étant pas intéressées personnellement dans cette affaire, nous pouvions avoir une opinion plus claire et plus saine à émettre.

      — Je ne comprends pas bien.

      — Tu me comprendras plus tard; passons. Ma mère ne t’a-t-elle point parlé d’une dot?

      — Oui,


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