Le domino rose. Alexis Bouvier

Le domino rose - Alexis Bouvier


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      –Tu pourras, aujourd’hui, me faire rire et pleurer.

      –C’est absolument sérieux. Alors, parle.

      Et se rapprochant d’elle, lui prenant une main dans chaque main, l’appuyant sur ses genoux, le corps courbé, la tête près de sa tête, il obéit lorsqu’elle lui dit:

      –Oui, écoute-moi, et comme cela, les yeux dans les yeux, que nous puissions bien voir si c’est le mensonge ou la vérité qui glisse sur nos lèvres… Oh! ne souris pas! je lis dans tes yeux, moi, et j’ai toujours su y voir lorsque tu me mentais.

      –Quand t’ai-je menti?

      –Une fois!

      –Une fois… Comment, et en quoi!

      –En me disant que tu n’aimais que moi…

      –Je n’ai pas menti, Caro, tu le sais bien, je t’aime…

      –Tu m’aimes, je le sais, je ne dis pas que tu ne m’aimes pas, je dis que tu en aimes une autre…

      La jeune fille sentit dans ses doigts le tressaillement des mains du jeune homme; mais le visage était resté souriant… Elle continua:

      –Tu m’aimes mieux que cette femme… je le sais encore!… Mais cependant tu l’aimes assez pour avoir jusqu’à ce jour refusé de réparer la faute que tu m’as fait commettre… tu sais comment et par quels indignes moyens… Oh! je ne reproche rien, tu m’as promis, j’ai confiance en toi… J’ai attendu… j’attends encore…

      Le jeune homme était devenu soucieux. Il avait retiré ses mains de celles de sa belle maîtresse et mordant ses lèvres, clignant des yeux, il observait ces yeux aux francs regards qui restaient obstinéments fixés sur lui, il écoutait cette voix brève qui parlait la vérité…

      Il y eut un silence de quelques secondes, au bout duquel Henri dit:

      –Tu reviens toujours à cette idée de mon amour pour une grande dame… pour une dame mariée!

      –Oui, j’y reviens.

      –Mais cent fois je t’ai dit, et je te le répète encore: c’est faux!

      –Aujourd’hui, je t’ai demandé la vérité en te promettant de la dire. Depuis deux mois, je sais tout… Je t’ai vu une fois avec elle et je sais son nom. C’est une femme mariée qui mène une vie singulière avec tes amis du quartier Latin. Elle se nomme Hélène Verdier; vous l’appeliez la Dame aux Violettes et le portrait que tu as ici dans ce médaillon, que tu me disais être le portrait de ta sœur, c’est le sien!

      Le jeune homme était devenu livide, ses lèvres s’agitaient sans parler.

      La jeune fille reprit:

      –Je sais plus encore…

      Henri releva vivement la tête,

      –Je sais que depuis longtemps tu voulais rompre avec elle, que tu ne le pouvais pas… qu’elle te poursuivait sans cesse, qu’elle était la cause du mal que j’endurais… je savais tout cela… et je ne t’ai jamais rien dit, Henri, est-ce vrai?

      –C’est vrai! dit le jeune homme plus calme en hochant la tête.

      –Et c’est bien le seul obstacle à notre union?… et tu m’aimes? et dégagé d’elle tu m’épouserais?… réponds-moi?…

      –Je te le jure! Caro puisque tu sais cela!…… Je n’aime pas la personne dont tu me parles, je n’aime que toi, ce n’est qu’une question de temps.…je ne vois plus cette femme, mais notre union serait le sujet d’un scandale que je veux éviter.…pour elle et pour moi, car son mari est capable de tout.

      –C’est bien la vérité? Regarde-moi en face pour me répondre.

      –Oui, ma belle Caro.

      –Tu ne l’aimes pas?

      –Non.

      –Plus du tout?

      –Non.

      –Tu la crains seulement?

      –Je crains ce qu’elle fera. C’est une nature étrange, capable, dans un mouvement de colère, de se perdre en perdant tout le monde.

      –Si elle se lassait.…si elle t’oubliait?

      –Cela arrivera bientôt, et c’est pourquoi je te dis: ce n’est qu’une question de temps.

      Et, attirant la jeune fille vers lui et l’embrassant amoureusement:

      –Bientôt, ma Caro!

      –Ecoute, Henri… tu n’as qu’à vouloir… Cette femme, dis-tu, t’ennuie, t’obsède… tu ne l’aimes pas… Eh bien, sache-le… elle est morte.

      A ce dernier mot, le jeune homme se redressa, son regard rapide tourna autour de la chambre, puis se fixa, terrible, sur la jeune fille. Celle-ci, épouvantée, se recula tremblante en disant:

      –Qu’as-tu?… Ah! mon Dieu! tu l’aimes… tu l’aimes…

      Le jeune homme fit un effort, grimaça un sourire et ayant passé la main sur son front, il revint vers Caroline…

      –Non… mais ce mot brutalement dit, a évoqué comme le fantôme de cette femme, j’ai eu peur. elle est morte!.. Morte, dis-tu?….

      Ces mots étaient dits d’un ton bref, saccadé, qui inquiétait la jeune fille…

      –Tu l’aimais…

      –Mais non, ma Caroline… au contraire… ce genre d’amour, sans estime, finit toujours dans la haine ou dans le mépris… Non, je n’aime que toi…

      Et la prenant dans ses bras:

      –Caro, avant un mois nous serons mariés… je t’aime… Et il l’embrassa longuement…

      Rassurée, la jeune fille raconta à son amant la scène du matin, celui-ci l’écouta attentivement… lorsqu’elle eut terminé son récit, il lui dit:

      –Tu ne sais rien de ce qui est survenu?…

      –Non.

      Il dissimula l’émotion qui l’étreignait, et dit:

      –Il est trop tard pour que tu retournes chez ta mère… tu resteras ici…

      –Oui, répondit Caroline… car, seule cette nuit, je ne rêverais que de tout cela.

      –Prépare tout pour souper… je vais descendre chercher ce qu’il nous faut pour manger un morceau, depuis presque quatre heures je dormais et j’ai oublié de dîner.

      –Va et reviens vite, dit la jeune fille.

      Ils s’embrassèrent; Henri descendit, et courut aussitôt dans la direction de la rue Gaillon.

      Mademoiselle Caroline mettant le couvert disait pour s’excuser:

      –C’est cruel ce que j’ai fait!... Je la haïssais cette femme… Elle est morte, je lui pardonne!… Mais Dieu est juste, puisqu’elle vivante, Henri ne m’épousait pas… Mon enfant alors n’aurait pas eu de père!…

       LES TERREURS DE CAROLINE

       Table des matières

      Caroline avait dressé le couvert, elle attendait, et Henri ne revenait pas; elle était heureuse des déclarations nouvelles de celui qu’elle aimait, et calme, pour effacer de son cerveau le sinistre tableau du matin, sa pensée se portait vers l’avenir. Elle créait dans les nuages bleus de son imagination le monde


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