Les casseurs de bois. Michel Corday
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Michel Corday
Les casseurs de bois
Publié par Good Press, 2021
EAN 4064066079734
Table des matières
I
LE CHOIX D'UN MARI
Popette se planta devant moi et, décisive:
—Cher ami, je veux épouser un aviateur.
C'était au premier soir de la Quinzaine d'Anjou, qui s'ouvrait dans la douceur de l'automne. L'essor simultané d'une douzaine d'aéroplanes sur un couchant de nacre avait transporté la foule. Les cris et l'enthousiasme montaient jusqu'aux grands oiseaux de toile. On communiait dans la stupeur et le charme. Il semblait advenir à tous un même grand bonheur. Une flamme aux joues, une larme aux yeux, Popette répétait d'une voix ardente et rapide:
—Je veux épouser un aviateur.
Un vague cousinage et une vraie sympathie m'unissent à Popette. Elle a vingt-quatre ans. Son père, un céramiste de valeur mort prématurément, a laissé aux siens une solide aisance. Grandie en plein milieu artiste, Popette mène une libre existence. Tantôt on la rencontre suivie de loin par une maman spirituelle et débonnaire qui s'essouffle, lève des bras courts, soupire: «Oh! cette enfant!» et s'assoit. Tantôt elle est chaperonnée par son jeune frère Loulou, dont les douze ans se dépensent en galopades de poulain échappé.
Saine et pure, Popette a toutes les audaces de l'ignorance. Ses dehors délurés enveloppent une petite âme de romance. Elle s'exprime avec une volubilité dont elle cherche vainement à se guérir. Elle a bien essayé de sucer des cailloux. Mais elle les avale.
Sa beauté gamine a la frappe nette d'une monnaie neuve. Popette est de petite taille et s'en félicite:
—Une petite femme, dit-elle, ça doit être plus facile à prendre dans ses bras qu'une grande.
Depuis qu'elle a l'âge du mariage, Popette le déclare à tout venant: elle n'épousera que l'homme qui saura lui plaire. Elle l'espère et l'attend sans impatience apparente. Jusqu'ici, je ne lui ai connu que des emballements sans consistance ni durée, qu'elle appelle négligemment des amitiés tendres. Mais, cette fois, elle paraît bien décidée à fixer son choix.
Et comme je m'effraie un peu d'une passion si prompte, Popette s'indigne. Il y a belle lurette qu'elle et son frère ne rêvent qu'aviation. C'est inimaginable ce que Loulou a déjà construit d'aéroplanes en chambre, ce qu'il a déjà consommé de cannes à pêche, de torsades de caoutchouc, d'hélices en carton et de mouchoirs de batiste. Et il est arrivé à des résultats. Ses appareils volent. Même qu'ils ont démoli la suspension, brisé une glace, cassé deux potiches.
Puis, les cils baissés, le bout du petit nez frémissant de malice, Popette me révèle un culte plus secret. Dans un lieu retiré, qu'il est convenu de ne pas désigner par son nom, où les regards inoccupés errent au long de la muraille, Loulou s'est avisé de coller tous les portraits d'hommes volants, découpés dans les journaux. Panthéon modeste, autel caché, où l'on se recueille devant ces traits illustres. Pressé d'obéir à la nature et contraint de ne