L'Holocauste: Roman Contemporain. Ernest La Jeunesse

L'Holocauste: Roman Contemporain - Ernest La Jeunesse


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grises, nous ne vous fîmes pas peur de notre férocité. Nous eûmes un amour respectueux et sans date, l'amour que vous aviez connu au temps où l'on savait aimer et où l'on savait être aimée, un amour d'attente et de fidélité, un amour de discrétion, de tact et de délicatesse, un amour de fatalité. Et je t'avais, en chemin, mon amie, remis la clef de cet appartement en rougissant tellement que tu ne t'en étais pas aperçue. Je t'avais glissé l'adresse en un écho de caresse—et tu te rappelas la caresse.

      Tu vis cette chambre en l'horreur de son papier de tenture, en l'horreur de son parquet écorché. Trois chaises que j'avais achetées—par pudeur—indiquaient clairement que ce n'était pas «une chambre meublée».

      Nous habillâmes les murs d'affectueux babil, nous couvrîmes le plancher des fleurs d'un tapis d'étreintes, des entrelacs d'un tapis de baisers. Et tu revins.

      Tu t'étonnas d'un fauteuil, d'un autre fauteuil et d'une table.

      Je tâchais à être riche.

      Puis je t'attendis vainement—parce qu'il y avait du monde.

      Du monde qui te haïssait pour me haïr, du monde qui te suivait sans mandat, qui t'espionnait par désintéressement, qui te harcelait de lettres anonymes—par devoir.

      Et la chambre fut veuve, de toi, de moi, de notre amour blessé qui boitillait parmi les grands magasins, parmi les rues et parmi les soleils mourants.

      Et te revoici aujourd'hui.

      Tu as laissé les lettres anonymes à la porte, à ma porte où des ailes, à toi, ont effacé la méchanceté des hommes.

      Tu laves les murs de ton regard.

      Il y a quelques affiches. Pas de portraits d'aïeux, pas de portraits d'aïeules.

      C'est peut-être que je n'ai pas d'aïeux.

      C'est aussi qu'il n'y a qu'une seule femme, toi.

      Je n'ai pas voulu t'humilier d'autres portraits, d'autres fautes de femmes. Je n'ai pas voulu de comparaisons, d'excuses, d'encouragements, d'excitations.

      Tu es chez toi, dans une chambre nouvelle, dans un monde nouveau, sans lois, sans coutumes. Fais ce qui te plaît: tu n'engages que toi—et tu ne t'engages pas.

      Personne ne fera après toi ce que tu auras fait, je te le jure. Tu es, tu seras seule.

      Ne demande pas aux murs leur avis: ils auront la couleur de ton caprice.

      Tu ne t'arrêtes pas aux murs: de ton regard tu embrasses toute cette chambre, avant de m'embrasser—pour faire durer le plaisir.

      Tu connais le mobilier: il n'a pas de style. Ce ne sont pas des meubles, c'est un décor, c'est un alibi: ce fauteuil est bleu, ce fauteuil est bleu et or, cette table est brune et cette chaise est verte: je suis pauvre. Tu n'as pas à connaître ces tapis: ils coûtent trente-neuf sous et si cette glace est profonde, c'est que tu t'y mires.

      Mais une chose énorme te tire les yeux, te tire la face, t'attire toute: le lit, le lit qui n'y était pas lorsque tu vins, le lit qui est là maintenant, qui est peut-être venu tout seul, qui s'allonge, qui s'élargit, qui prend toute la chambre, le lit odieusement calme, odieusement patient, le lit passif, le lit tyrannique, le lit avide,—fatal.

      C'est pourtant un lit très étroit, un lit presque d'hôpital, le lit qu'il faut à deux vieillards pour mourir côte à côte. La couverture est légère, légère pour la saison.

      Ne regarde pas le lit de cette façon. Ça n'a pas d'importance. Il est gentil.

      Non. Il te prend. Je n'ai plus rien à dire.

      Je n'ose rien dire, ce lit m'effraie.

      Et puisque c'est lui qui commande ici...

      Chérie, chérie, tu as posé ton chapeau, tu as ôté ta voilette, tu as couché des épingles qui piquaient ta voilette, qui piquaient ton chapeau, qui entraient en tes cheveux et qui en sortaient.

      Tu avais du blanc sur le bleu de ton corsage, un petit col blanc très modeste auquel tu donnais de la fierté, la distinction d'une guimpe vierge, nonne et princesse, un petit col blanc d'Anglaise moderne auquel tu donnais l'archaïsme d'une collerette florentine et d'un col génois aussi, un petit col très blanc que tu historiais de l'argent brodé de je ne sais quelles broderies d'ambiance et de l'or serpentin de ta nuque, chérie.

      Tu n'as plus ton petit col blanc, tu n'as plus ton col bleu et des agrafes sautent, claquent, ton corsage a l'air de bondir, de voleter autour de toi, de s'en aller sans le vouloir, arraché de ton corps où il s'attache jalousement.

      Tu te dévêtiras—puisque tu te dévêts—parmi des baisers et des baisers désolés.

      Je les embrasse, tes pauvres vêtements qui s'en vont, ton corsage qui se désole de te quitter comme je me désolerai tout à l'heure, ton col qui a scellé ton cou pour mon cou, pour ma bouche et pour ma gorge, ton jupon, tes jupons aussi qui te voilèrent pour ma pudeur—et ta chemise dont je ne dirai rien car j'en voudrais trop dire.

      Chérie, chérie, pourquoi te déshabilles-tu?

      Je ne te le demanderai pas parce que tu me répondrais: «Tu dois le savoir.»

      Tu aurais tort: c'est toi qui ne sais pas.

      Quand je t'ai aimée, tu faisais avec tes vêtements un tout harmonieux et harmonique.

      Tu avais une robe et tu avais besoin d'une robe. Car la femme n'est pas une statue, la femme n'est pas une académie.

      Je t'ai aimée comme on aime une reine lointaine, je t'ai prêté l'escorte des siècles, les escadrons de toutes les épopées et les couronnes fermées qui sommeillent dans des cimetières de bruyères.

      Je t'ai aimée comme une fée, une fée qui a une robe de lune, une robe de soleil, une robe d'or, une robe d'argent et une robe couleur du temps, je t'ai aimée comme Ophélie qui a une robe blanche, comme Desdémone qui a une robe noire, comme Portia qui a une robe de feu, je t'ai aimée comme sainte Blandine qui a une robe de sang et comme Iphigénie qui a une robe de larmes: tu as passé, tu es restée toute vêtue et en robe à longue traîne en mes méditations, tu as été la grande dame, la dame de mes pensées et voici que, pour le sacrifice, tu renonces à tes bandelettes de victime, que tu renonces à tes voiles, à tes parures.

      Je n'aurai pas le courage de t'arrêter: tu ne comprendrais pas.

      Je n'ai pas le courage de te remettre ton chapeau, de me rendre ma chimère.

      D'ailleurs quand ai-je vécu conformément à mon rêve? Quand ai-je eu ce que je voulais, tout ce que je voulais?

      Et ça me va bien de me plaindre: on me donne plus que je ne voulais!

      C'est peut-être ça.

      Et puis il n'y a pas que moi dans l'aventure, dans l'idylle, dans le conte.

      Nous sommes deux.

      Tu m'aimes, chérie, après tout, avant tout. Tu as des subtilités, toi aussi et de si absurdes, de si radieuses délicatesses! Tu as cherché ce qui pouvait me faire plaisir, la preuve à me donner de ta foi, de ta bonne foi.

      Et tu as trouvé.

      Tu t'es trouvée.

      Tu te donnes. C'est ce que tu as de meilleur en toi: c'est tout toi.

      Je plaisante encore avec moi, pour étouffer mes sanglots intimes et mon attendrissement.

      C'est que je t'aime plus que jamais, c'est que je t'admire d'être si simple, d'être si humble. Pour que tu ne t'aperçoives pas de mon émoi, je me dépouille moi aussi de ma livrée de philosophe, de ma livrée de pessimiste: je serai nu avant toi, chérie.

      Tiens! je suis nu.

      Et tu es nue aussi, chérie.

      Je te considère du lit où je me suis réfugié


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