L'Holocauste: Roman Contemporain. Ernest La Jeunesse

L'Holocauste: Roman Contemporain - Ernest La Jeunesse


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qui te chasse et qui m'isole.

      Je ne suis plus nu, je ne suis plus l'être qui t'a aimée.

      Je suis le monsieur qui passe, qui passe devant les horloges, pour souffrir.

      Je suis dans la rue.

      Je cherche. Je ne sais plus ce que je cherche. Je suis seul. J'ai aimé la solitude, j'ai aimé les longues courses au hasard, les promenades à l'aventure, la quête du néant.

      Mais aujourd'hui il me semble qu'on m'a coupé des bras et des jambes, les jambes et les bras qui m'enserraient tout à l'heure, qu'on m'a coupé les cheveux, les cheveux où je me suis perdu, qu'on m'a arraché la bouche, les yeux et le cœur.

      Je me sens nu sous mes vêtements, je me sens impudique et ridicule sous ma loque de passant.

      Je rentre, je me précipite, je me meurtris aux bras adorés, aux lèvres que j'ai meurtries, aux cheveux que j'ai échevelés: je presse, j'étreins, je tâche à me faire petit au creux de tes seins et de ton amour, à m'ensevelir en toi, je m'enfonce en toi, en ton cher corps et je pleure, je pleure...

      Tu t'effares: «Qu'as-tu? il est si tard?»

      Non, il n'est pas si tard, chérie.

      Il est tôt, il est étrangement tôt. C'est l'aube et l'aube hésitante de ma vie, c'est la minute où je nais amant.

      Tu as commencé à t'habiller en attendant.

      Ah! reste nue puisque tu as voulu être nue!

      Mais tu as ton idée. «Tu ne me dis pas l'heure.»

      Je ne sais pas, chérie. J'ai voulu te défendre contre l'heure, j'ai voulu être défendu par toi contre l'heure. Le rempart jumeau, le double rempart de nos corps contre l'heure, l'heure mesquine qui amène en sourdine la fatigue, la vieillesse et la mort...

      Tu t'entêtes.

      «Quel enfant! Mais mon petit, il faut cependant que je sache l'heure.»

      Il faut aussi que nous soyons heureux.

      Mais l'heure, ton heure, je veux te la jeter. Tu t'en couvriras les épaules comme d'un manteau de misère, tu égrèneras toutes ses secondes comme une pluie de cendres sur la cendre de tes cheveux; mais c'est rageusement que je retourne la prendre, d'une traite, entre deux baisers et ton baiser encore tiède sur moi, m'enveloppant tout entier contre l'air froid de la rue... «Oui, il est temps que je parte. Il est grand temps.»

      Le temps! le temps! c'est comme une profanation, c'est comme un vieillard qui se glisse entre notre amour et qui te tire, hypocrite, par les cheveux, par les épaules...

      Tu es levée.

      Tu termines ta toilette, ta toilette de fuite. Amoureuse qui va rentrer dans le siècle, tu t'enroules dans tes parures de femme: on ne se doutera pas dans la rue que tu es un sanctuaire de tendresse, un autel de passion, un chemin de foi et d'ardeur.

      Mais tu as froid: ah! chérie! il n'y a pas de feu ici: c'est ma faute. J'aurais dû penser au froid, je n'ai pensé qu'à toi.

      Je suis un amant novice, je n'ai aimé personne avant toi et tu es ma première femme. N'insistons pas: c'est ridicule. Je connais pour avoir lu de mauvais contes, pour avoir vu de mauvais dessins, les rencontres brèves et leurs accessoires. Il n'y a pas d'accessoires ici.

      Tu grelottes un peu: c'est de n'avoir plus autour de ton cou le hausse-col brûlant de mes bras.

      Je te rends mes bras, je te rends mon cœur «... comme il bat!...»

      Ah! tu t'aperçois de ma fureur? tu vois que j'ai mal!

      J'ai une émotion un peu brutale: elle me tue, elle me défonce la poitrine! j'ai un cœur mal élevé qui se heurte, qui se brise, qui bondit de joie et de tristesse et j'ai un sourire aussi qui est un peu naïf, un peu brouillé, trop tendre, trop triste, trop reconnaissant—et qui demande trop de choses...

      Tu es pressée, tu as hâte de t'ensevelir en ton foyer, en ton foyer glacé où il fait moins froid qu'en cette chambre froide.

      Tu prononcerais volontiers des paroles pour caractériser notre délice, pour en dire toute la saveur, toute la férocité, pour souhaiter en notre union la bienvenue à la volupté et pour m'avouer encore que tu m'aimes, que tu es mienne, mais ta voix tremblerait un peu en cet endroit où il n'y a pas de feu—et tu n'as pas le temps.

      Va-t'en donc, douce victime, va-t'en pour me revenir.

      «... demain?»

      Ah! que je t'ai implorée parfaitement! Et comme je suis sincère! Jamais je ne retrouverai l'accent, le ton dont j'ai nuancé, dont j'ai chargé, dont j'ai précisé, dont j'ai élargi, dont j'ai empli d'immensité, de fatalité et de tendresse, cette date, ces deux fades syllabes.

      «Je tâcherai. Oui, je crois. Sois sage.»

      Un baiser qui fuit lui aussi—et c'est ta fuite.

      Je ne te suis pas. Je ne veux pas te voir partir. J'entends ma clef qui tourne, ma porte qui se referme.

      C'est tout.

      Il n'y a plus que moi chez moi. Il n'y a plus que la lassitude et la tristesse.

      Les ailes ont troué ma porte et s'en sont allées.

      PETIT PANTHÉISME SENTIMENTAL

       Table des matières

      La chambre vide, la chambre veuve s'emplit de silence jusqu'aux murs, d'un silence énorme, électrique, hostile, d'un lourd silence de reproche: la lumière de la lampe qui se jeta sur les épaules et sur les seins de celle qui n'est plus ici, qui se baigna à l'ambre pâle de ses hanches, la lumière de la lampe qui, en un tourbillon, s'épandit et s'abandonna, qui dansa, frénétique, qui jaillit et qui fusa comme une rosée, qui garrotta de clarté notre étreinte et qui l'enlaça d'un collier de perles et de flammes, la lumière de la lampe est devenue frêle et frileuse, malheureuse aussi; elle se plaint vers la lune invisible et semble ne plus vouloir briller et agoniser que pour la lune.

      Les fauteuils s'accroupissent comme des Arabes en deuil et c'est comme un affaissement de tout en cette chambre, de toutes les choses sans âme: leur âme, l'âme de cette chambre s'est enfuie.

      Oui, ç'a été une fuite et l'âme est partie trop vite.

      Mais ce n'est pas ma faute.

      Et vraiment, chambre infortunée, tu t'étais trop vite, toi-même, habituée à cette âme blonde.

      Tu n'as pas toujours eu une âme: tu es une chambre médiocre et si la pauvreté l'habita, comme c'est trop vraisemblable, ce fut humblement.

      Je t'ai louée parce qu'un marchand de vin n'avait pas voulu de toi.

      Ton silence, chambre, devient plus agressif.

      Je comprends. Le marchand de vins ne t'a pas louée parce que tu étais prédestinée à moi, à nous et parce que les aventures les plus fatales doivent, par le temps qui court, avoir un prétexte, un alibi naturel, un alibi de banalité.

      Eh! chambre, tu es triste,—comme moi, tu es pauvre, comme moi, tu es vide—comme moi.

      Et nous ne pouvons nous consoler puisque nous sommes faits pour être tristes ensemble et pour nous réjouir ensemble—moins souvent.

      Tu as été sanctuaire: tu as connu la gloire, les fêtes absolues, l'intimité qui comporte, qui apporte avec soi l'immensité, tu as été l'univers et tu as été l'au-delà: c'est fini pour aujourd'hui, morne chambre.

      Et tu ne resteras vêtue que de tes souvenirs et de ton silence.

      Je ne puis te consoler puisque je ne puis être consolé et je trouve comme


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