L'ancien Figaro. Anonymous
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Un auteur célèbre a dit que l’existence entière des jésuites fut un grand dévoûment à la religion et à l’humanité; ajoutez: et aux petits garçons.
Les vengeances et les colères d’une réaction furieuse donnèrent, sous la Restauration, un rôle des plus importants à la délation. Les délateurs, comme ceux de la Rome antique, sûrs de l’impunité, que dis-je, certains d’obtenir des récompenses et «des honneurs,» ne se renfermèrent pas toujours dans leur strict devoir. D’espions, ils devinrent agents provocateurs et, pour satisfaire leur «honnête ambition,» se mirent au service des rancunes. De là, des piéges honteux tendus à la crédulité d’une foule de malheureux, qui payèrent de leur tête le crime d’avoir écouté les propositions de misérables chargés d’organiser des émeutes et des complots, où d’autres misérables plus puissants qu’eux ramassaient dans le sang des victimes des croix et des cordons.
On est révolté au seul souvenir des crimes des cours prévôtales, en ce temps de terreur contre-révolutionnaire. Que de sang, à Grenoble! on y exécuta des hommes, des vieillards, un enfant, et plusieurs cependant avaient été reconnus innocents. A Lyon, on décima un village. Un député put s’écrier à la chambre: «Tous vos complots, jusqu’ici, ont été organisés par la police.» La droite ne dit pas non. Qui ne sait les tristes détails de la conspiration Berton, à Saumur; de l’affaire du colonel Caron! Ils avaient été vendus à l’avance.
«L’espionnage, disait M. de Montlosier dans son mémoire, était autrefois un métier que l’argent commandait à la bassesse; il est aujourd’hui commandé par la probité, par les devoirs que la congrégation impose. On assure que l’espionnage est devenu comme de conscience: on est prêt à lui donner des lettres de noblesse.»
En 1826, partout et toujours, l’opinion émue voyait des mouchards et des agents provocateurs.
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Samedi, 12 août 1826.
NOTES MANUSCRITES
EXTRAITES DES MÉMOIRES D’UN MOUCHARD
Ma naissance ne fut pas plus célèbre que celle de Lazarille de Tormès: fils d’une femme de mauvaise vie, je fus vendu par elle à l’âge de cinq ans à un vieux mendiant; j’appris des camarades de mon sort, dans les tavernes où mon maître allait s’enivrer avec des confrères dignes de lui, mille jolis tours d’adresse que je mis en pratique dans plusieurs occasions assez importantes. Une seule manqua et me fit un nom: j’allais être pris, je défilais avec deux aigrefins de ma taille, et, trop fier pour mendier désormais, nous associâmes nos rares talents. Je gravissais avec légèreté cette échelle de drôleries qui conduit raide à la potence, lorsque l’exemple de mon meilleur ami, suspendu par le cou à un gibet, refroidit subitement mes principes chevaleresques. Ayant trop de cœur pour en revenir à mon premier état, pas assez pour persévérer dans le second, je me fis mouchard. Là se développa le génie que m’avait donné la nature. J’ai servi tour à tour à Londres, à Paris, à Vienne; les mystères de l’Escurial, le sphynx du Saint-Office, les énigmes du Vatican, ne furent pour moi que des secrets de Polichinelle: j’étais un joyau qu’on se prêtait par considération. J’ai tramé dans la machine infernale, mis, un des premiers, le feu à Moscou, et jeté le cri de sauve qui peut à Waterloo. J’étais présent au dix août. J’ai porté des rafraîchissements à l’Abbaye dans les premiers jours de septembre. J’ai traité de puissance à puissance avec Robespierre, soupé avec Lequinio, qui soupait avec le bourreau. J’étais un des gendarmes d’élite qui ont mis à mort le duc d’Enghien dans les fossés de Vincennes. Je fus un moment revêtu d’un caractère semi-diplomatique pour vendre Paris aux Cosaques; depuis j’ai parcouru Avignon, Grenoble, Nîmes, où périt Brune, et finalement Lyon. Tout jusque-là m’avait réussi. Ma fortune donna contre un écueil. Chargé de mettre des papiers parmi ceux d’un général royaliste, je refusai: j’avais fait l’honnête homme, je fus destitué; je le devins tout à fait. S’il n’y avait que la vertu qui surnageât, que d’Excellences on pourrait noyer dans un verre d’eau.
En devenant honnête, je devins furieux; cela se voit souvent, surtout lorsque la rancune est plus forte que l’amour-propre: je résolus de faire mes Mémoires; je les fis. J’allais les publier, lorsqu’un de mes amis, ancien prêtre, aujourd’hui père légitime d’une demi-douzaine de marmots qu’il élève à la Lancastre et pour les arts libéraux, homme de mœurs douces et d’esprit prudent, me représenta que les minutes officielles de mes aventures existaient, signées de ma main, au dépôt des archives, et qu’ainsi l’anonyme même ne saurait me mettre à l’abri des investigations de mes anciens compagnons d’armes. Je ne voulais pas donner quinze et brisque sur mon jeu, et mourir martyr après avoir vécu comme un gredin. Je me tus: je serrai mes paperasses, comme fit le courageux Ducis quand il écrivait contre Napoléon. Mais j’enrageais, j’enrageais... Je découvris bientôt un nouvel argument à l’appui du premier.
C’est moi, disais-je, qui ai révélé à Napoléon les conciliabules secrets du mont Saint-Valérien; le Calvaire a repris sa splendeur, certains messieurs, que l’on dit y apparaître encore, pourraient bien se piquer d’être plus chrétiens que l’Évangile. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.
C’est moi, disais-je, qui ai démontré la connexion de l’affaire Pichegru avec celle de Georges; bien que M. Basterèche l’ait dit en toutes lettres à la tribune, il doit peu me convenir à moi de traiter Pichegru d’assassin. On lui élève une statue et, quoi qu’en dise l’article 8 de la Charte, ses amis et les amis de leurs amis pourraient se montrer plus royalistes que le roi. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.
Si, ajoutai-je encore, je me vantais d’avoir mis le nez jadis dans les papiers de Cambacérès, on pourrait me faire des questions embarrassantes sur la cause de leur disparition, et si je disais ceci et cela, je pourrais passer pour un calomniateur, parce que je ne les ai plus devant moi, et que du reste je ne voudrais pas les avoir dans ma poche, Dieu m’en garde! Ainsi taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.
Si je racontais l’histoire de la souricière (celle de Bayonne, bien entendu), je sais bien que le prince de T.... et l’archevêque de P.... ne m’accuseraient pas de mensonge. M. le duc de R..... pourrait faire une seconde publication, à cet égard, aussi risible que la première, mais ni lui, ni moi, ni nos amis, ne regagnerions nos entrées, et je ne vois là que dangers sans honneurs pour sortir d’un pas de clerc. Sylla, en affranchissant ses esclaves, se créa par cette adresse des légions de clients. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.
J’aurais parlé, disais-je encore, de l’affaire des sous-traitants à qui Napoléon fit rendre gorge un peu à la turque: c’est moi qui avais arrêté le gros maréchal-ferrant millionnaire: mais que d’allusions à l’affaire Ouvrard! On dit que celle-ci tient à tant de choses si délicates, à ceci, à cela, à presque tout enfin. Je veux croire que ce sont des propos de gobe-mouches, c’est bon. Mais taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent.
On sait, disais-je enfin, comment est mort Paul Ier, et moi aussi, je le sais: mais si, comme le dit M. Dulaure, les Anglais ont semé l’or sterling à la brouette dans les quarante-quatre mille communes de la France, pour faire bouillir le vif-argent dans toutes les cervelles gauloises, aux bons vieux jours de Foucher, Carrier, Marat et Compagnie, ne trouveraient-ils pas dans quelques petits coins de leur escarcelle, toute délabrée qu’elle me paraît aujourd’hui, de quoi acheter à bon compte la peau de moi, chétif, dussé-je, comme une grenouille dépouillée, ne vivre que juste ce qu’il faut après pour la voir bien et dûment tannée pour en faire un tambour. Pas de ça, s’il vous plaît. Taisons-nous: tout n’est pas gain pour ceux qui écoutent. Et je jetai mes Mémoires au feu....
COUPS DE LANCETTE.
Dans un pays qui touche à la Turquie, les uns reçoivent des cordons, les autres n’obtiennent que la corde.
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