Mariages d'aventure. Emile Gaboriau

Mariages d'aventure - Emile Gaboriau


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Mais une explication était imminente entre Pascal et son père, cette explication pouvait être orageuse. Ne fallait-il pas prévenir Pascal, obtenir de lui quelque concession? Elle voulait s’interposer, au risque d’attirer sur elle le poids de deux colères.

      —Ton père est bien irrité, méchant enfant, dit-elle; tu nous donnes, tu lui donnes du moins bien des tourments.

      —Mais non, chère mère, je t’assure; va, sois tranquille, ce ne sera rien.

      —Au moins fallait-il le prévenir, lui demander conseil.

      —Certain d’avance d’un refus! Quelle folie! j’aurais passé outre: juge alors.

      —Au moins promets-moi d’être raisonnable s’il te gronde, de ne pas te mettre en colère.

      —Je te le promets; mais tu verras comme j’ai eu raison.

      —Ah! je le souhaite, murmura tristement madame Divorne.

      Pascal l’embrassa, et sa cause fut gagnée. Désormais elle était prête à se ranger du côté de son fils, sûre qu’il ne pouvait avoir tort.

      Voilà pourtant comme toutes les mères sont difficiles à convaincre! Ah! elles ne se paient pas de mauvaises raisons!

      Il paraît que l’avoué ne recouvra pas son courage en route. Lorsqu’il revint, l’affaire urgente terminée, sa figure était loin d’avoir gagné en sévérité. Il ne fut question de rien. Il causa fort amicalement avec son fils. Il rit, plaisanta, mais de la démission, pas un mot.

      Il n’en fut pas question davantage le lendemain, ni les jours suivants. Dieu sait pourtant qu’on ne se faisait pas faute de lui demander partout où il paraissait:

      —Votre fils est donc ici? Eh bien?...

      Le bruit de ce retour s’était en effet répandu très vite. On avait vu le facteur entrer chez l’avoué avec une malle et un carton à chapeau: les visites assiégèrent la maison. Mais madame Divorne défendit sa porte. Elle s’est fait ce jour-là des ennemis qui ne lui ont pas encore pardonné.

      Une fois, Pascal s’avisa de sortir. Il n’avait pas fait cent pas dans la rue que cinq personnes déjà, dont deux qu’il ne connaissait guère et une qu’il ne connaissait pas du tout, étaient venues lui serrer la main et lui demander hypocritement des nouvelles de l’École des ponts et chaussées.

      Il rentra tout courant, maudissant ses compatriotes, et se jurant bien de ne plus mettre le nez dehors.

      Les jours se passaient, et M. Divorne semblait avoir complétement oublié ses griefs contre son fils. Vingt fois celui-ci, que cet état d’incertitude tourmentait, serait allé au-devant de l’explication qu’il était venu chercher; sa mère le retint toujours.

      —Attends, lui disait-elle. Je connais ton père, il est très long à prendre un parti. Il réfléchit depuis ton arrivée. Lorsque sa décision sera bien arrêtée, il t’en fera part, sois tranquille.

      Un matin, en effet, après déjeuner, lorsque la nappe fut ôtée, l’avoué, d’un air grave, pria son fils de lui prêter toute son attention.

      —Allons, pensa Pascal, le moment est venu.

      M. Divorne était prolixe d’ordinaire, on le lui reprochait au palais; mais jamais, comme en cette circonstance solennelle, il n’abusa du don précieux de la parole.

      L’exorde de son discours fut une sorte d’invocation à l’amour paternel. Qui mieux que lui en avait compris les devoirs? Il en faisait son fils juge: avait-il assez donné de preuves de son affection? Et quelle avait été sa récompense?

      Puis il passa à l’énumération des soucis sans nombre que donnent les enfants. Rien ne fut oublié, ni les inquiétudes de la première dentition, ni un voyage en poste à Paris, à une époque où Pascal avait été malade. Ce fut le premier point.

      Le second traita des sacrifices pécuniaires. Ce fut le plus long. L’avoué calcula, chiffra tout ce qu’il avait déboursé,—à une paire de souliers près,—pour donner à son fils les bienfaits de cette éducation qui lui avait manqué à lui-même.

      Enfin, comme de juste, dans une troisième partie, il aborda le chapitre des compensations: il tint compte des satisfactions de tout genre qu’il devait à Pascal. Elles étaient nombreuses, il n’en omit pas une seule.

      En un mot, ce discours fut comme la lecture du grand-livre en partie double de la paternité, avec ses chagrins, ses pertes d’une part, ses joies, ses bénéfices de l’autre. Jusqu’alors, M. Divorne le constatait, la balance était en faveur de son fils, et lui, le père, se reconnaissait débiteur.

      —Et maintenant, ajouta-t-il en manière de conclusion, j’espère, Pascal, que tu ne voudras pas changer cet état de choses. Tu as dû réfléchir depuis que tu es ici, tu dois regretter d’avoir si follement brisé ta carrière. Reviens sur ta décision, adresse-toi au ministre, il ne te refusera pas ta réintégration, et je suis prêt à te pardonner le vif chagrin que tu m’as causé.

      L’effet produit fut loin d’être celui qu’attendait M. Divorne. Pascal garda quelques instants le silence, comme s’il eût rassemblé toutes ses forces. On eût pu croire qu’il hésitait à répondre. Enfin, d’une voix ferme:

      —Mon père, dit-il, ce que vous désirez est impossible. Ma demande, croyez-le, serait repoussée; d’ailleurs, je ne saurais me décider à la faire.

      —Fort bien, reprit l’avoué de l’air le plus mécontent; il est si facile aujourd’hui de se faire une position. Sans doute, vous avez trouvé mieux?

      —Sinon mieux, au moins plus à mon goût. Vous devez penser que j’ai réfléchi avant d’agir. Quant à mes intentions, je suis venu ici précisément pour vous en faire part. C’était d’autant plus nécessaire, que j’aurai besoin de vous.

      —C’est vraiment fort heureux. Je comprends alors que tu aies songé à moi. Et en quoi pourrai-je t’être utile?

      —Avant de rien entreprendre, il est nécessaire que je me procure des fonds, et j’ai compté...

      —Ah! nous y voici donc, dit l’avoué d’un ton goguenard; il te faut des fonds... Mais il me semble qu’avant de quitter une position toute faite, tu devais t’assurer de ma bonne volonté. Si je te refusais... et certes, je refuserai...

      —Mais, mon père, reprit Pascal avec un peu d’impatience, il me semble qu’il y a dix ans à peu près une de mes tantes m’a laissé par son testament une quarantaine de mille francs.

      Une vieille plaideuse de soixante ans, à peu près certaine du gain d’un de ses procès, serait venue dire à l’avoué: «—J’y renonce,» elle l’eût certes moins surpris qu’il ne le fut aux paroles de son fils.

      —C’est-à-dire que tu me demandes des comptes, prononça-t-il avec amertume. Ah! c’est une surprise cruelle.

      Pascal eut beau se défendre, le coup était porté. Il essaya d’expliquer ses projets à venir, il voulut se justifier, faire connaître l’emploi de l’argent qu’il demandait, M. Divorne se refusa même à l’écouter.

      —Eh! que m’importe, disait-il, je ne veux rien savoir.

      En effet, il était bien loin de la discussion présente. Il avait oublié jusqu’à la démission; il ne songeait plus qu’au moyen de sauver cet argent que Pascal, il devait bien se le dire, était en droit de réclamer.

      Il cherchait quelque moyen pour donner le moins possible, convaincu qu’un si jeune homme ne pouvait faire qu’un détestable usage d’une somme aussi forte.

      —Voyons, Pascal, dit-il enfin, je comprends que tu aies besoin d’argent. Cependant, tu pouvais t’y prendre d’une autre façon pour m’en demander. Suis-je donc un père ridicule? T’en ai-je jamais refusé? Tu n’as pas abusé, je


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